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Alors que les vacances estivales approchent et que le mouvement du printemps a déjà rejoint les archives des mobilisations numériquement massives mais politiquement deceptives, nous avons reçu cet excellent retour d’expérience des lycéens parisiens de la MALA (Mouvement d’Action des Lycéens Autonomes). Toujours plus nombreux, toujours plus déter, ils reviennent sur un printemps chargé : manifs sauvages dans les beaux quartiers, blocus, occupations de lycées…
Entre tradition et innovation, le mouvement contre la réforme des retraites aura permis de révéler quelques vocations. À la fois carnet de bord, bilan de fin d’année, clarification stratégique et invitation adressée aux générations futures, certains membres du Mouvement d’Action des Lycées Autonomes nous racontent ici comment les corps des plus jeunes se sont rassemblés et dressés ensemble contre la réforme, la police, les organisations de jeunesse et le siège de Renaissance.
« C’est vrai que ça nous a fait du bien, ça a donné un nouveau souffle quand la jeunesse nous a rejoint après le 49.3 ». C’est le discours qui ressort à chaque fois. La remarque qu’on entend tout le temps quand on évoque ‘’la jeunesse’’ à un gréviste qui a participé au mouvement des retraites. À partir du 16 mars 2023, la génération covidée est sortie de chez elle pour un premier appel nocturne place de la Concorde. On pouvait enfin ressentir un air insurrectionnel, comprendre la force d’un rassemblement spontané qui passa en deux heures de 1500 à 15 000 personnes. On se disait qu’on avait trouvé notre dose de courage et notre forme d’action dans les allées en feu des beaux quartiers.
Réforme des retraites et 49.3, voilà un cocktail parfait pour faire émerger des vocations, pour faire passer le corps dans la lutte à ceux qui ont l’habitude de la voir sur Instagram, Snapchat ou encore BFM TV. On a vu et très vite compris que ce Mouvement allait interpeller nos potes de lycées, bien plus que les lois spécialisées, comme la Loi Sécurité Globale.
Pourtant, au terme de cette séquence de lutte, peu d’entre eux ont réellement mis un pied dans le militantisme. Au-delà de la défaite syndicale donc, il y a celle du milieu autonome, porte d’entrée désormais officielle de la jeunesse dans le monde de la contestation politique. Au dénouement de cette mobilisation, il est temps de regarder en arrière et de faire un bilan de nos forces. Tandis que l’intersyndicalme fait état d’une augmentation de 30% de leur nombre d’adhérents, le mouvement autonome [1] aura du mal à voir un réel renouvellement de ses forces (écologie exceptée ?), comme ce fut le cas avec les jeunesses des campagnes avec les Gilets Jaunes, ou lors de la loi travail en 2016 dans les grandes villes.
Le mouvement n’avait-il pas assez d’ampleur ? Impossible, si l’on s’en tient au décompte ; la mobilisation contre la réforme des retraites ne peut que se réjouir. On peut alors trouver des éléments de réponse côté policier, qui avait peut-être compris l’enjeu plus tôt et qui a marqué au fer rouge la jeune masse indignée par la répression physique et judiciaire. L’Etat faisait prendre conscience précocement des répercussions qu’il y avait de passer le corps dans une idée. Sur nos blocus, en manifestation, en sauvage, les gens disaient d’abord : ‘’On a raison d’avoir peur’’ avant de dire ‘’On a raison de se révolter’’.
Le rôle du militant aguerri, s’il en a un, c’est justement de ne pas dénoncer la répression mais de s’y préparer et d’organiser des lieux de lutte et de réflexion pour les forces en devenir. Côté étudiant, la jeunesse semble avoir la tête dans le guidon entre trotskysme, mouvance groupusculaire et difficulté à occuper dans la durée. En 2023, les murs des facs chargés de tags et d’inscriptions politiques ne peuvent rien y faire, à l’intérieur de celles-ci, plus rien ne résonne.
Le Mouvement lycéen, plus spontané et innocent semble lui, un peu plus épargné.
DES GOSSIPS A L’EMEUTE
Le lycée est ce petit village où tout se sait et où l’on côtoie les mêmes camarades 35h par semaine. La lutte contre l’ennui y est permanente, si elle a l’habitude de passer par les gossips et le debrief des séries Netflix, certains contextes mettent la politique dans les couloirs. Les discussions dans les lycées finissent à 17h et reprennent à 8h le lendemain. On se projette plus vite et on a envie de passer à l’action. Grâce au fort esprit de camaraderie des salles de classe, la contagion est souvent très rapide. Par exemple lorsqu’on prépare une occup’ : la cantine, la pause, les heures de colle deviennent des moments d’organisation. Tout à coup, on se rend compte que le lycée n’est plus un lieu d’écoute mais notre cellule d’action…
Cette particularité propre au lycée a toujours fait émerger un grand nombre d’initiatives.
MILI, CAIL, CLAP, MALA : Quelles leçons tirer de cette succession d’acronymes qui dessinent les contours de la protestation lycéenne parisienne depuis 7 ans ?
On peut d’abord rendre compte de leurs ressemblances tactiques. Face à l’impuissance des syndicats lycéens et suite à un certain travail de fond pour les dégager, les lycéens et lycéennes ont créé leur propre mode d’organisation : une force d’appel qui cristallise les énergies sur une date. Les lycées déploient ensuite leur autonomie pour bloquer et se préparer à un rassemblement inter-lycée.
Pour constituer une force d’appel, le premier enjeu est de créer du lien. Se connaître et se reconnaitre : savoir qui veut vraiment se bouger au sein de chaque lycée. A partir de là, les premières rencontres se font, la confiance se crée, et on commence à matérialiser la lutte, souvent par des banderoles et des premiers achats. Le comité d’action vient de naître.
Toutes les différences se situent dans le mode d’organisation pour s’assurer d’être à la hauteur des mots d’ordre proclamés dans les fameux « visu », qui sont passés de Facebook à Instagram et rejoindront probablement un jour, le média du Parti ‘’Communiste’’ Chinois : TikTok. En dehors des visuels, les reels, les storys, les photos, jouent un rôle majeur en 2023, ils ambiancent et donnent envie d’en être. S’assurer d’avoir un bon tiktok des meilleurs moments de la journée est tout aussi important que de préparer des banderoles avant les manifs.
La mobilisation lycéenne suivant la vague autonome de 2016, s’est basée sur le classique : affinitaire, logo, émeute. Si le goût de l’émeute est désormais le moteur de la lutte lycéenne, en revanche l’affinitaire et le groupuscule semblent avoir montré certaines limites.
Sur l’autoroute de la fausse bonne idée, se trouve les symboles d’appartenance à un groupe qui poussent inévitablement en marge de l’organisation et de son apprentissage, un grand nombre de lycéens et lycéennes découvrant la politique. Derrière ces logos, se trouvent des structures basées sur des liens affinitaires qui ne déploient pas la discipline nécessaire pour durer dans le temps. Certes la chaleur de l’amitié nous permet de garder une pleine détermination et une forte volonté mais elle n’est pas une fin en soi. Si nous voulons avoir la capacité de massifier dans nos lycées, il ne faut pas se baser sur des ‘’private joke’’ et une série de ‘’-ismes’’ (anticapitalisme, antifascisme, antiimpérialisme etc. : cette série de -ismes doit être pratiquée plutôt que déclinée comme un contrôle d’identité politique. Celui qui a compris pourquoi il en est là, mortier en main, comment l’étiqueter ?), mais sur une série d’objectifs à remplir :
- Avoir des connexions dans tous les lycées de la ville et entre les villes
- Organiser des moments de rencontres entre banlieue et centre
- Diffuser et répartir le travail politique à tout le monde
- Que chaque lycée possède du matériel d’action et de fête
Pour autant, la participation de tous et toutes ne signifie pas quête de l’unanimité. A partir de 2020, le mouvement lycéen rentre peu à peu dans l’engrenage des AG permanentes, des discussions sans fin et de la représentativité par le vote : « Depuis quand on vote une émeute ? Si on a les forces pour, on y va ! ». L’immobilisme provoqué par la sacralisation du vote démontrait l’absence d’un véritable comité d’action. Au lieu d’évaluer les enjeux, les rapports de force, les options à notre portée, on debrief sur le passé, on attend de voir se dessiner une majorité passive, pour finalement commencer à s’organiser, deux jours avant le jour J… A terme, le modèle assembléiste pour agir dans les lycées tue les initiatives. Entre l’idée et l’action se trace un long parcours fait de validations démocratiques et d’ennuyeux bla-bla sur les difficultés futures. En 2023 où en sommes-nous ?
EN LYCEES ORGANISES PERSONNE PEUT NOUS CANALISER ?
C’est en tirant les leçons de l’assembléisme et du groupusculaire que le Mouvement d’action des lycées autonomes (MALA) s’est lancé en mars 2023. Pour commencer, il fallait s’exfiltrer des quelques bandes de potes pour engager un vrai tour d’horizon des forces lycéennes. Les gens se rassemblaient autour de la MALA non pas pour lancer un groupe, ni une coordination, mais d’abord et avant tout à travers un projet d’action : une sauvage lycéenne au départ du lycée Racine.
C’était l’endroit idéal, un lycée habitué au blocus dans le 8e arrondissement. L’objectif était clair, déambuler dans les beaux quartiers de Paris en s’amusant de l’absence policière. On en profita pour poser notre premier fait d’armes, passer devant l’Élysée avec torches, « Macron démission » et pétards. En rejoignant ensuite par Madeleine la manif syndicalme, non sans laisser derrière nous quelques barricades. On préférait faire de la première sauvage un moment enjaillant plutôt que cassant, afin d’éviter l’erreur du « trop vite-trop fort ». La semaine suivante, une nouvelle sauvage est lancée, cette fois-ci au départ du lycée Colbert, qui monta encore crescendo en nombre et en offensivité avec toujours 0 interpellation.
POINT DE DEPART – POINT DE RENCONTRE – POINT DE DEPART
Après des sauvages réussies, il était peut-être temps de mettre de l’énergie dans un travail de terrain moins explosif. A la place de prendre un lycée comme point de départ en sauvage on décide d’en faire un point de rencontre pour toute une journée. Logiquement, on s’est tous retrouvés au lycée Jacques Decour : un grand lycée à côté de Montmartre qui re-découvrait les blocus lycéens depuis peu et faisait preuve d’une incroyable détermination. Blocus total du lycée, occupation de l’avenue, barbecue, tournoi de foot, musique et poubelles en feu ont rythmé la journée. Ce moment nous a tous marqué et en premier lieu les lycéens et lycéennes de Decour non bloqueurs, qui ont participé spontanément à un mouvement politique parce qu’ils occupaient différemment leur lieu d’étude. Grâce à ce genre de blocus et de rencontres, on avait confiance dans l’afflux de nouveaux militant.es après les vacances. Un nouveau rassemblement est lancé en dehors des dates syndicales : rendez-vous tous et toutes au lycée Condorcet le 16 mai. A 10h, certains blocus étaient plus fragiles que prévu. On commençait à douter de notre capacité à lancer un départ en sauvage, mais lorsque les lycéens-lycéennes de Decour arrivèrent en nombre, l’enthousiasme prit le dessus ! Et go back to le 8e arrondissement !
Attaque du siège renaissance rue du rocher 75008, le 16/05/2023
Cette attaque nous semblait être la cerise sur le gâteau d’autant plus que le mouvement social des retraites déclinait définitivement.
Il était temps pour nous de s’essayer à d’autres formes de luttes moins répandues. On n’arrivait plus à bloquer, les gens étaient fatigués, mais il fallait bien finir l’année. Dès que le symbole d’une occupation était invoqué, la fatigue militante disparaissait. On a compris que cette initiative était le cap à franchir, la pièce manquante d’une puissante lutte lycéenne.
C’est la date du 8 juin qui s’impose et le lycée Victor Hugo pour l’assumer. Pendant l’occupation, on était entre barricades et détente, personne n’avait de rôles, tout le monde s’occupait de tout. [2] Cette action déclencha deux phénomènes : la réappropriation d’une culture étudiante issue de 68 et un certain phénomène de désapprentissage de la peur. Cependant, l’occupation a été confrontée à des prouts assembléistes, avec des votes sur la prolongation ou non de l’action, pourtant déclarée illimitée dès le départ (6 assemblées en 5 heures wesh !). A posteriori, on a compris qu’un vide avait été laissé autour des prises de décisions et que la panique s’en était emparée.
On espère avoir réussi à créer un terreau fertile pour faire fleurir de nouvelles occupations lycéennes. Le Mouvement a comme tâche de répandre cette expérience, de la rendre possible dans d’autres lycées. Pas besoin de beaucoup de monde. Si on est 20 à 6h pour bloquer, on a remarqué qu’on peut être 80 à 17h pour occuper. Les blocus c’est chacun dans son lycée, à l’occup c’est tout le monde dans le même.
Ces événements nous on fait prendre conscience qu’il fallait : ajouter de l’organisation à la rage lycéenne, diffuser des mots d’ordre et des appels sans purisme, être des agents de liaison plutôt que des colleurs de logo. Si ce renouveau lycéen a su éviter très tôt certaines erreurs, c’est aussi dû à un passage de relais avec d’anciennes générations sur les fautes commises et les brèches possibles…
CA S’EN VA ET CA REVIENT, C’EST FAIT DE TOUT PETITS RIENS
C’est ici qu’intervient l’importance d’une transmission intergénérationnelle des principes et surtout, des savoir-faire. « Le rôle des anciens » comme on entend dire sur les blocus lycéens. Si cela semble être le cas aux vues des différentes organisations qui se succèdent, il ne faudrait pas que cela s’arrête. Voire mieux, il faudrait que cela s’améliore, se généralise et qu’on trouve un moyen d’échange stable.
Cet échange primordial entre les nouveaux arrivants et les derniers sortants doit s’organiser plus en profondeur. C’est un travail de fond qui doit s’imposer aux élèves fraîchement diplômés, car avec le turn over lycéens, édifier une nouvelle base de militant.es aguerris dans une ville, prêts à prendre le relai est un travail bi-annuel voire annuel. Une transmission indispensable tout autant qu’est le besoin de se renouveler pour éviter l’immobilisme et des luttes aux odeurs de réchauffé.
Les principes à transmettre permettent de développer chez les nouvelles générations : l’autonomie politique, l’indépendance de la pensée, et l’offensivité de rue. Il faut pouvoir prévenir des dangers de la récupération politique et de l’importance de l’autogestion. Il faut saisir les enjeux stratégiques des cibles, rester vigilant sur les excès de confiance et sur l’importance du rapport de force. Il faut éviter l’impasse de l’entre-soi affinitaire, de la victimisation ou encore écarter tout purisme politique lors des discussions.
Voilà quelques exemples de transmissions ardues mais nécessaires que chaque prédécesseur doit s’efforcer de réaliser. Un travail de fond qui peut commencer par un dernier blocus mené exclusivement par les 2d et les 1re ou un barbecue de rentrée scolaire. Et qui doit ensuite se poursuivre par une disponibilité, des soutiens, des conseils et des contacts à donner, sur l’entièreté de l’année qui arrive. Une chose est sûre, si ça n’est pas fait par les ancien.nes radicaux et radicales du lycée, ça se fera toujours par un ou deux militants encarté…
Un mantra semble alors s’imposer : se renouveler à chaque fois, en tenant compte des erreurs des années passées. Ce sera toujours à travers une forme de continuité et de passation que se fera au mieux la reproduction d’un mouvement lycéen, toujours plus malin, toujours plus déter.
La MALA tente de prendre ce chemin, elle ne cherche pas à courir derrière le nom ou la réputation. Elle souhaite avant tout peser avec des moments de ruptures et de politisations. L’objectif premier est d’avoir un fond politique plutôt qu’une forme : des méthodes qui marchent et qui sont transmissibles. La MALA encore naissante saura, on l’espère, changer d’aspect et se réinventer.
Le nom même des comités d’actions lycéens (symbole de la forme) doit pouvoir se transformer comme il le sera inévitablement pour la MALA.
« Nous sommes en 50 avant l’effondrement. Toute la Gaule est occupée par l’Empire romain… Toute ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles lycéens et lycéennes résiste encore et toujours à l’envahisseur. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de légionnaires romains des camps retranchés du lycée Henaff, du lycée Jean Jaurès, du lycée Lamartine… et du QG impérial Renaissance. ».
Très vite des nouvelles aventures du village de Luxemburgix et de Dettingix JR !
Photos @tulyppe & @pixel_perdu
[1] « Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité ». Marx & Engels, Manifeste du Parti Communiste.