Zine :
Lien original : Attaque, par Alfredo Cospito
En français :

Croce Nera Anarchica / vendredi 1er juillet 2016

J’ai eu le plaisir de lire, dans la traduction de Sin Banderas, Ni Fronteras, votre écrit en cinq points [1] et j’ai eu très envie de participer à ce débat. Les nouvelles qui arrivent ici en prison en Italie sont limitées et, en espérant que la traduction en espagnol soit digne de confiance, j’essayerai, dans les limites du possible, de dire ce que j’en pense.
Je dis tout d’abord, donc, qu’à cause de la situation dans laquelle je me trouve et à cause du peu que je connais de la situation en Grèce, ma contribution sera limitée. Je passerai rapidement outre votre intéressante analyse de la situation du mouvement anarchiste grec et de son évolution historique lors des dix dernières années, qui me rappelle fortement (une fois gardées les nécessaires différences historiques), la situation italienne du « retrait » après l’expérience de la lutte armée des années 70 (sans, heureusement pour vous, la suite dégueulasse de repentis et dissociées) qui, si on veut être optimistes, sur les cendres du luttarmartisme a fait naître, ici en Italie, un anarchisme plus vital et original.

Je suis d’accord avec vous sur le fait que les mots des anarchistes emprisonnés ne doivent pas être sanctifiés et prises pour des vérités absolues, ce sont simplement des contributions théoriques à la lutte. Également je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous maintenez qu’il faudrait « Se souvenir des expériences du passé non pas pour les imiter, mais pour les dépasser ». Précisément pour cette raison, la création d’un « mouvement anarchiste autonome », d’un « pôle anarchiste autonome pour l’organisation de la guérilla urbaine anarchiste », d’une « fédération anarchiste internationale » me paraît être un pas en arrière. Un retour au passé, aux vieux schémas qui nous font courir le risque de revenir à la classique organisation spécifique de synthèse, un vieux instrument, un scalpel mal aiguisé. Après le « Décembre noir », magnifique campagne d’actions à laquelle ont participé des nombreux noyau de la FAI/FRI, vous avez éprouvé le besoin de proposer un saut qualitatif, vous avez éprouvé le besoin d’un « pôle anarchiste autonome », structuré avec « ses propres mécanismes politiques, sans bureaucratie, nos propres assemblées sans curieux, nos propres organisations sans hiérarchies » et vous avez porté cette proposition au nom de la CCF/Noyau de guérilla urbaine/FAI.

Je comprends parfaitement votre enthousiasme et votre besoin de devenir plus forts, de devenir de plus en plus incisifs, d’unir les différentes courants anarchistes révolutionnaires : individualistes, nihilistes, insurrectionnalistes, rebelles, cependant je ne crois pas que cela soit la bonne route. Surtout, une proposition de ce type ne devrait pas arriver d’une cellule de la FAI/FRAI. Je m’explique : se donner une organisation structurée, avec la création d’assemblées, porterait inexorablement à la naissance d’organisations spécifiques, en dénaturant l’informalité de l’instrument FAI/FRI, déviant des objectifs que la fédération informelle s’est donnés, en lui enlevant sa simple essence d’instrument de communication. Une proposition comme la votre est sûrement une tentative généreuse, mais pousser à la naissance d’un pôle anarchiste autonome en nom de la FAI/FRI, faire un discours quantitatif, visant à agréger des secteurs du mouvement, cela transformerait la fédération informelle en une organisation, qui, par son essence même, à partir de telles bases, ne pourra que se faire hégémonique, en l’appauvrissant, la ralentissant et, sur le long terme, la tuant.
Une proposition telle que la vôtre, faite au nom de la FAI/FRI, diviserait au lieu d’unir, rendrait plus faibles plutôt que plus forts.
Je n’arrêterai jamais de le répéter, à mon avis la fédération informelle doit se « limiter » à être un simple instrument, que même des compagnon.e.s comme moi, éloignés de toute organisation, peuvent utiliser, en s’offrant ainsi la possibilité de se mettre en relation avec d’autres personnes ou cellules partout dans le monde. La FAI/FRI est une arme de guerre et plus sa structure est simple, plus ses dynamiques de fonctionnement sont basiques, plus elle sera efficace. Le fait d’en réduire la complexité en augmente d’autant l’efficacité. Tel un couteau bien aiguisé, tel une Tokarev bien huilée. A mon avis la coordination et l’assemblée sont deux méthodologies qu’il faudrait éviter pour ne pas transformer la FAI/FRI en une organisation structurée, grosse et lente. Deux méthodologies qui risqueraient de la transformer en une organisation anarchiste spécifique, rien d’autre, au fond, de la sempiternelle fédération anarchiste trempée d’idéologie, qui nivelle toute dissension à ses marges, jusqu’à disparaître sous les coups de la répression. Et la coordination et les assemblées ont besoin d’une connaissance directe entre les groupes et les personnes. Pour se coordonner, les représentants des différents groupes doivent se rencontrer et se donner des délais de temps à autre pour les actions. Lors des assemblées, les individus se connaissent et expriment leurs opinions, en créant inévitablement des dynamiques de leadership : ceux qui savent mieux parler ou se présenter, ceux qui ont plus de temps à investir dictent la ligne à suivre, en créant hiérarchie et délégation. Et la coordination et l’assemblée s’exposent à la répression ; tout le monde se connaît, c’est comme un château de cartes : si l’un tombe, tout le monde tombe. De façon très simple et naturelle, avec l’expérience collective de dizaines de groupes éparpillés à travers le monde, la FAI/FRI a remplacé, presque sans s’en apercevoir, ces deux vieilles méthodologies, avec les campagnes révolutionnaires, qui n’ont pas besoin de dates pour agir ou de connaissance réciproque : seul les actions parlent. Il n’y a pas besoin de coordination quand il suffit de communiquer le début d’une campagne à travers les revendications, des textes qui suivent les actions et qui ouvrent des débats entre les différents tensions (insurrectionnalistes, individualistes, nihilistes, anarchistes sociaux et antisociaux), en créant des nouveaux parcours, jamais caractérisés par l’uniformité, l’idéologie, la politique. Pour ce qui concerne l’assemblée, celle-ci est un moyen de politiser et d’idéologiser des simples rapports naturels d’affinité, d’amitié, d’amour, de sororité et de fraternité que chaque groupe de la FAI/FRI contient, qui touchent seulement au plus intime de sa propre vie et que seulement au moment de l’action interfèrent l’existence de la fédération informelle.

Des rapports qui concernent seulement l’individu et son groupe et qui ne peuvent pas être emprisonnés dans un instrument politique tel que l’assemblée.
Comme il n’y a pas de contacts directs entre les groupes, si jamais il y avait des rapports autoritaires qui se créent, ceux-ci resteraient forcement limités à ce groupe particulier, évitant de contaminer tout l’organisme.
Ceci dit, je sais bien que celui qui veut faire la révolution doit se rapporter avec assemblées et coordinations, aussi parce que la révolution se fait avec les exploités, avec les exclus, avec le soi-disant « mouvement réel ».
L’informalité de la FAI/FRI est inadéquate pour un objectif « politique » d’une telle portée. La fédération informelle suit son parcours de guerre qui, dans les limites de ses forces, veut seulement détruire et rien construire. Un parcours imprévisible, jamais politique, jamais idéologique, jamais constructif, qui parfois croise celui du « mouvement réel ». Deux parcours avec des objectifs différents : le premier est un mouvement anarchiste combatif, violent, révolutionnaire, avec ses assemblées et ses organisations, spécifiques ou pas; le deuxième, la FAI/FRI, est un instrument simple, élémentaire, basique, informel, pour faire la guerre, frapper et après disparaître, communiquer sans jamais apparaître. Il faut garder les deux parcours bien séparés, car ensemble ils s’annuleraient réciproquement.
Une chose doit être claire surtout: on fait partie de la FAI/FRI seulement lors de l’action, après chacun revient à sa vie d’anarchiste, nihiliste, individualiste, à ses projets, à sa perspective de rebelle ou de révolutionnaire avec tout ce qui va avec quant à ses assemblées, coordinations, cellule d’affinité, squats, luttes sur le territoire, et cetera.

La FAI/FRI (c’est du moins comme ça que je la vois) n’est ni un parti, ni encore moins une organisation, mais un moyen pour renforcer et donner de la puissance aux différents groupes d’affinité ou individus qui agissent, avec des campagnes internationales qui unissent nos forces, sans coordinations, sans céder à la liberté précieuse. Un moyen qui peut être utilisé par tout anarchiste qui vise à la destruction ici et maintenant. Ce n’est pas un instrument parfait, plein de choses peuvent être améliorées, à commencer par les campagnes internationales, qui, à mon avis, n’ont jamais été pleinement exploitées.
Imaginez le fait de concentrer les forces sur des objectifs du même type, au niveau international. Qu’est ce qu’il y a de plus international et nuisible que des multinationales de l’industrie technologique, de la science… à mon avis, des campagnes fourre-tout perdent en efficacité et en sens ; quand on se limite à des actes de simple témoignage ou de vague solidarité, on n’exploite pas pleinement les possibilités d’un instrument qui pourrait (dans ce cas) faire un énorme saut qualitatif.
La première génération de la CCF a eu un grand mérite : certains discours qui auparavant avaient seulement été faits de façon théorique se sont concrétisés à travers sa force et sa cohérence, ils ont vécu dans les campagnes internationales. Un discours ancien que les fédérations de la jeunesse anarchiste européenne ont mis en pratique dans les années 60 et qui semblait relégué à un passé lointain, a recommencé à vivre aujourd’hui grâce au courage et à la fantaisie de frères et sœurs qui sont enfermés depuis des années dans les prisons grecques, mais qui ne se sont jamais rendus. Un discours très actuel qui, à travers l’informalité, est réapparu et est plus fort que jamais.

Alfredo Cospito

 

Note de Croce Nera Anarchica : cet écrit d’Alfredo remonte à il y a plus d’un mois. Il nous est parvenu seulement maintenant, avec la demande de le rendre public, pour participer à un débat en cours depuis longtemps parmi les compagnons de langue grecque. Nous rappelons que ce compagnon, toujours soumis au régime de Haute surveillance dans la section AS2 de la prison de Ferrara, n’est  officiellement pas soumis à une quelconque forme de censure de la poste; cependant, les retards et les censures sur son courrier continuent.

 

[1] Note d’Attaque : il s’agit du texte « Chaotic Variables. A Theoretical Contribution In Proposal for an Informal Anarchist Platform« . Nous n’avons pas trouvé la traduction espagnole évoquée par Alfredo, mais on pourra le lire en anglais sur Dark Nights n° 46 ou en italien sur The Hole.