Zine : Imprimer | PDF de lecture
Lien original : via anarchy euphoria
Extrait de : Recherches – Trois Milliards de Pervers, La Grande Encyclopédie des Homosexualités
En anglais : To destroy sexuality


Le texte ci-contre est parfois attribué à Guy Hocquenghem, parfois attribué à Félix Guattari. Il a été publié sans signature dans le numéro spécial (impulsé par Hocquenghem) de la revue (dirigée par Guattari) Recherches « Trois Milliards de Pervers, La Grande Encyclopédie des Homosexualités » majoritairement rédigé par un groupe du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) et publié en mars 1973 (avant d’être saisi et interdit à la publication).

pour

Quelles que soient les pseudo-tolérances qu’il affiche, l’ordre capitaliste sous toutes ses formes (famille, école, usines, armées, codes, discours…) continue de soumettre toute la vie désirante, sexuelle, affective à la dictature de son organisation totalitaire fondée sur l’exploitation, la propriété, le pouvoir patriarcal, le profit, le rendement…

Inlassablement, il continue sa sale besogne de castration, d’écrasement, de torture, de quadrillage du corps pour inscrire ses lois dans nos chairs, pour river dans l’inconscient ses appareils à reproduire l’esclavage.

A coup de rétentions, de states, de lésions, de névroses, l’état capitaliste impose ses normes, fixe ses modèles, imprime ses caractères, distribue ses rôles, diffuse ses programmes… Par toutes les voies d’accès de notre organisme, il plonge dans le plus profond de nos viscères ses racines de mort, il confisque nos organes, détourne nos fonctions vitales, mutile nos jouissances, soumet toutes les productions « vécues » au contrôle de son administration patibulaire. Il fait de chaque individu unE estropiéE, coupéE de son corps, étrangèrE à ses désirs.

en finir

A grand renfort de terreur sociale vécue comme culpabilité individuelle, les forces d’occupation capitaliste avec leur système toujours plus raffiné d’agression, d’incitation, de chantage, s’acharnent à réprimer, à exclure, à neutraliser toutes les pratiques désirantes qui n’ont pas pour effet de reproduire les formes de la domination.

Ainsi se prolonge indéfiniment le règne millénaire de la jouissance malheureuse, du sacrifice, de la résignation, du masochisme institué, de la mort : Le règne de la castration qui produit le « sujet » coupable, névroséE, laborieuxse, soumisE corvéable.

Ce vieux monde qui de partout pue le cadavre nous fait horreur et nous avons décidé de porter la lutte révolutionnaire contre l’oppression capitaliste là où elle est le plus profondément enracinée : dans le vif de notre CORPS.

avec

C’est l’espace de ce corps avec tout ce qu’il produit de désirs que nous voulons libérer de l’emprise « étrangère ». C’est « par là » que nous voulons « travailler » à la libération de l’espace social. Il n’y a pas de frontière entre les deux. JE m’opprime parce que JE est le produit d’un système d’oppression étendu à toutes les formes de vécu.

La « conscience révolutionnaire » est une mystification aussi longtemps qu’elle ne passe pas par le « corps révolutionnaire », le corps producteur de sa propre libération.

Ce sont les femmes en révolte contre le pouvoir patriarcal – implanté depuis des siècles dans leur propre corps – les homosexuels en révolte contre la normalité terroriste, les « jeunes » en révolte contre l’autorité pathologique des adultes, qui ont commencé d’ouvrir collectivement l’espace du corps à la subversion et l’espace de subversion aux exigences « immédiates » du corps.

Ce sont elles, ce sont eux qui ont commencé à remettre en cause le mode de production des désirs, les rapports entre la jouissance et le pouvoir, le corps et le sujet, tels qu’ils fonctionnent dans toutes les sphères de la société capitaliste y compris dans les groupes militants.

le massacre

Ce sont elles, ce sont eux qui ont fait craquer définitivement la vieille séparation qui coupe « la politique » de la réalité vécue pour le plus grand profit des gérants de la société bourgeoise autant que de ceux qui prétendent représenter les masses et parler en leur nom.

Ce sont elles, ce sont eux qui ont ouvert les voies du grand soulèvement de la vie contre les instances de mort qui ne cessent de s’insinuer dans notre organisme pour soumettre toujours plus subtilement la production de nos énergies, de nos désirs, de notre réalité, aux impératifs de l’ordre établi.

Une nouvelle ligne de rupture, une nouvelle ligne d’affrontement plus radicale, plus définitive, est tracée à partir de laquelle se redistribuent « nécessairement » les forces révolutionnaires.

du CORPS

Nous ne pouvons plus supporter que l’on nous vole notre bouche, notre anus, notre sexe, nos nerfs, nos boyaux, nos artères… pour en faire des pièces et des rouages de l’ignoble mécanique à produire du capital, de l’exploitation, de la famille…

Nous ne pouvons plus souffrir que l’on fasse de nos muqueuses, de notre peau, de toutes nos surfaces sensibles, des zones occupées, contrôlées, réglementées, interdites.

Nous ne pouvons plus supporter que notre système nerveux serve de relai au système d’exploitation capitaliste, étatique, patriarcal, que notre cerveau fonctionne comme une machine suppliciaire programmée par le pouvoir ambiant.

Nous ne pouvons plus souffrir le lâcher, de retenir notre foutre, notre merde, notre salive, nos énergies, conformément aux prescriptions de la loi et de ses petites transgressions contrôlées :

Nous voulons faire voler en éclat le corps frigide, le corps carcéral, le corps mortifié, que le capitalisme ne cesse de vouloir construire avec les débris de notre corps vivant.

SORTIR de la SÉDENTARITÉ

Ce désir de libération fondamentale pour nous introduire à une pratique révolutionnaire appelle que nous sortions des limites de notre « personne », que nous renversions en nous le « sujet », que nous sortions de la sédentarité, de l’« état civil » pour traverser les espaces du corps sans frontière, et vivre dans la mobilité désirante au-delà de la sexualité, au-delà de la normalité, de ses territoires, de ses répertoires.

C’est dans ce sens que nous avons à quelques-uns ressenti la nécessité vitale de nous libérer « en commun » de l’emprise que les forces d’écrasement et de captation du désir ont exercé et exercent sur chacun de nous « en particulier ».

Tout ce que nous avons vécu sur le mode de la vie personnelle, intime, nous avons entrepris de l’aborder, de l’explorer, de vivre collectivement. Nous voulons briser le mur de béton qui sépare dans l’intérêt de l’organisation sociale dominante, l’être du paraître, le dit du non-dit, le privé du social.

Nous avons commencé à mettre au jour ensemble toute la mécanique de nos attirances, de nos répulsions, de nos résistances, de nos orgasmes, d’amener à la connaissance commune l’univers de nos représentations, de nos fétiches, de nos obsessions, de nos phobies. « L’inavoué » est devenu pour nous matière à réflexion, à diffusion, à explosions politiques au sens où la politique manifeste dans le champ social les aspirations irréductibles du « vivant ».

Nous avons décidé de casser l’insupportable secret que le pouvoir fait peser sur tout ce qui touche au fonctionnement réel des pratiques sensuelles, sexuelles, affectives comme il fait peser sur le fonctionnement réel de toute pratique sociale qui produit ou reproduit les formes d’oppression.

DÉTRUIRE LA SEXUALITÉ

A explorer en commun nos histoires individuelles, nous avons pu mesurer à quel point toute notre vie désirante était dominée par les lois fondamentales de la société étatique, bourgeoise, capitaliste de tradition chrétienne, et en fait subordonnée à ses règles d’efficacité, de survaleur, de reproduction. A confronter nos « expériences » singulières quelque « libres » qu’elles aient pu nous paraître, nous nous sommes aperçus que nous ne cessions de nous conformer aux stéréotypes de la sexualité officielle laquelle réglemente toutes les formes de vécu et étend son administration des lits conjugaux aux chambres de bordels en passant par les pissotières, les bals, les usines, les confessionnaux, les sex-shop, les prisons, les lycées, les autobus, les maisons de partouses, etc…

Cette sexualité officielle, cette sexualité tout court, il n’est pas question pour nous de l’aménager comme on aménage ses conditions de détention. Mais de la détruire, de la supprimer parce qu’elle n’est rien d’autre qu’une machine à castrer et à recastrer indéfiniment, une machine à reproduire en tout être, en tout temps, en tout lieu les bases de l’ordre esclavagiste. La « sexualité » est une monstruosité aussi bien dans ses formes restrictives que dans ses formes dites « permissives » et il est clair que le processus de « libéralisation » des mœurs et « d’érotisation » promotionnelle de la réalité sociale organisée et contrôlée par les gérants du capitalisme « avancé » n’ont d’autre but que de rendre plus efficace la fonction « reproductrice » de la libido officielle. Loin de réduire la misère sexuelle, ces trafics ne font qu’élargir le champ des frustration et du « manque », qui permet la transformation du désir en besoin compulsif de consommer et assure « la production de la demande » moteur de l’expression capitaliste. De « l’immaculée conception » à la putain publicitaire, du devoir conjugal à la promiscuité volontariste des partouses bourgeoises, il n’y a pas de rupture. C’est la même censure qui est à l’œuvre. C’est le même massacre du corps désirant qui se perpétue. Simple changement de stratégie.

Ce que nous voulons, ce que nous désirons, c’est crever l’écran de la sexualité et de ses représentations pour connaître la réalité de nos corps, de notre corps vivant.

EFFACER le DRESSAGE

Ce corps vivant nous voulons le délivrer, le déquadriller, le débloquer, le décongestionner, pour que se libère en lui toutes les énergies, tous les désirs, toutes les intensités écrasées par le système social d’inscription et de dressage.

Nous voulons retrouver le plein exercice de chacune de nos fonctions vitales avec son potentiel intégral de plaisir.

Nous voulons retrouver les facultés aussi élémentaires que le plaisir de respirer, étouffé à la lettre par les forces d’oppression et de pollution ; le plaisir de manger, de digérer, perturbé par le rythme de rendement et la sale nourriture produite et préparée selon les critères de la rentabilité marchande ; le plaisir de chier et la jouissance du cul systématiquement massacrée par le dressage attentatoire des sphincters par lequel l’autorité capitaliste inscrit à même la chair ses principes fondamentaux (rapports d’exploitation, névrose d’accumulation, mystique de la propriété, de la propreté, etc.) ; le plaisir de se branler joyeusement sans honte, sans angoisse, non par manque ou compensation, mais pour le plaisir de se branler ; le plaisir de vibrer, de bruire, de parler, de marcher, de se mouvoir, de s’exprimer, de délirer, de chanter, de jouer de son corps de toutes les manières possibles. Nous voulons retrouver le plaisir de produire le plaisir, de créer, impitoyablement laminé par les appareils éducatifs chargés de fabriquer des travailleureuses – consommateurices aux ordres.

LIBÉRER les ÉNERGIES

Nous voulons ouvrir notre corps au corps de l’autre et des autres, laisser passer les vibrations, circuler les énergies, se combiner les désirs pour que chacun puisse donner libre cours à toutes es fantaisies, à toutes ses extases, pour qu’il puisse se vivre enfin sans culpabilité, sans inhibition toutes les pratiques voluptueuses individuelles, duelles ou plurielles que nous avons impérieusement besoin de vivre pour que notre réalité quotidienne ne soit pas cette lente agonie que la civilisation capitaliste et bureaucratique impose comme modèle d’existence à celleux qu’elle enrôle. Nous voulons extirper de notre être la tumeur infecte de la culpabilité, racine millénaire de toutes les oppressions.

Nous savons évidemment les formidables obstacles que nous aurons à vaincre pour que nos aspirations ne soient seulement le rêve d’une petite minorité de marginaux. Nous savons en particulier que la libération du corps, des rapports sensuels, sexuels, affectifs, extatiques, est indissolublement liée à la libération des femmes et à la disparition de toutes espèces de catégories sexuelles. La révolution du désir passe par la destruction du pouvoir patriarcal, de toutes les modèles de comportement, et d’accouplement qu’il impose comme elle passe par la destruction de toutes les formes de l’oppression et de la normalité.

Nous voulons en finir avec les rôles et les identités distribuées par le Phallus.

Nous voulons en finir avec toute espèce d’assignation à résidence sexuelle. Nous voulons qu’il n’y ait plus parmi nous des hommes et des femmes, des homos et des hétéros, des possesseurs et des possédés, des majeurs et des mineurs, des maîtres et des esclaves, mais des humains transexués, autonomes, mobiles, multiples, des êtres à différences variables capables d’échanger leur désirs, leurs jouissances, leurs extases, leurs tendresses sans avoir à faire fonctionner un quelconque système de survaleur, un quelconque système de pouvoir, si ce n’est sur le mode du jeu.

En partant du corps, du corps révolutionnaire comme espace producteur d’intensités « subversives » et comme lieu où s’exercent en fin de compte toutes les cruautés de l’oppression, en reliant la pratique « politique » à la réalité de ce corps et de ses fonctionnements, en recherchant collectivement toutes les voies de sa libération, nous produisons d’ores et déjà une nouvelle réalité sociale où le maximum d’extase se combine avec le maximum de conscience. C’est la seule voie qui puisse nous donner les moyens de lutter directement contre l’emprise de l’État capitaliste là où elle s’exerce directement. C’est la seule démarche qui puisse nous rendre réellement FORT-ES contre un système de domination qui ne cesse de développer son pouvoir, de « débiliter », de « fragiliser » chaque individuE pour le ou la contraindre à souscrire à ses axiomes. Pour l’affilier à l’ordre des chiens.