Zine :
Lien original : The Anarchist Library, par Alfredo Bonanno
Par espace social autogéré, nous entendons un espace urbain pris par un certain nombre d’individu-e-s dans le but de l’utiliser directement, pour leurs propres objectifs, au-delà de la logique du pouvoir capitaliste et de l’exploitation.
Par rapport à des espaces sociaux (écoles, casernes, usines, etc…), où une fonction spécifique est imposée, visant à garantir les intérêts du capital, la lutte pour la conquête d’un espace social autogéré constitue une tentative importante et continue de pratiquer une liberté d’action et d’expression qui serait impossible partout ailleurs.
Depuis le début, donc, cette lutte s’est constituée d’un certain nombre d’actions anti-autoritaires qui sont parties d’une analyse critique de la société de classes et de ses principales fonctions.
Ce sont donc des luttes qui adoptent la méthode auto-organisationnelle, elles essaient de réaliser la liberté et l’égalité sociale et individuelle, indispensables tout au long de la route qui procède de l’abolition du pouvoir et de l’exploitation capitaliste.
La méthode auto-organisationnelle est la seule qui empêche une instrumentalisation de la lutte par les partis politiques, syndicats, représentants du Conseil, etc. Mais pour que cela se produise, il est nécessaire que cette méthode soit employée correctement, garantissant la liberté de décision dans tout ce ce qui se fait au cours de la lutte.
De cette auto-organisation, deux phases peuvent être distinguées :
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L’auto-organisation de la lutte pour la conquête de l’espace social par le biais du squat (de l’occupation)
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L’auto-organisation de la lutte pour la défense de l’espace social à travers une ouverture vers l’extérieur.
En ce qui concerne la première phase, il faut dire que l’occupation ne peut être réalisée que si elle a réussi à constituer une structure collective basée sur une affinité précise entre les individu-e-s qui lui appartiennent. Cette affinité n’est pas tant idéologique que substantielle. L’existence de désirs et de problèmes en communs permettent, à un moment donné, pour un groupe de personnes de se réunir pour lutter contre l’exploitation en commun. C’est une chose sur laquelle nous devons être très clairs.
La domination de classe du capital est la cause de l’absence actuelle d’espace sociaux autogérés, et la cause de la présence d’espaces sociaux fictifs : Précisément parce que l’exploitation économique et sociale qui sert les intérêts du pouvoir et du capital est réalisée au sein de ces derniers. La lutte pour la conquête de « véritables » espaces sociaux passe donc nécessairement par une rupture violente avec la logique de domination du capital. Celle-ci ne peut pas et ne restera pas passive devant nos initiatives concrètes de libération des espaces sociaux, parce que ces initiatives constituent un danger considérable pour elle.
L’État et le capital nous imposent des limites précises qui, lorsqu’elles sont dépassées, nous mettent immédiatement dans la condition de « hors la loi ». Squatter signifie aller au delà de ces limites, squatter signifie devenir « hors la loi». C’est pourquoi une rupture violente avec les règles qui nous ont été imposées est nécessaire. C’est pourquoi il est nécessaire de squatter.
Concernant la deuxième phase, il est plus qu’évident que nous devons savoir comment prendre notre liberté nous-mêmes, par le biais de nos luttes. Il n’est écrit dans aucune constitution que quelqu’un nous la donnera. Et ceci est valable pour l’espace social : personne ne nous le donnera. Quiconque en est propriétaire le gère et l’utilise en fonction de ses propres intérêts (qui sont parfois de ne pas les utiliser du tout et simplement les laisser vides).
Lorsque ces espaces nous sont donnés, c’est afin de mieux nous contrôler et nous ghettoïser, au lieu de nous jeter les flics au cul (ce qui coûte de l’argent), ils peuvent savoir où nous sommes et le genre de choses dont nous parlons. C’est pourquoi, parfois, ils sont bien contents de nous donner des espaces, surtout après que nous entreprenions des actions d’intervention dans la réalité sociale. Il est évident que nous n’avons pas besoin d’espaces de ce genre, qui ne peuvent pas être appelées auto-gérés, parce que l’autogestion n’est pas seulement une question de gestion de l’intérieur du lieu.
Nous devons donc prendre nos espaces nous-mêmes, c’est à dire les squatter. Mais la question n’est pas seulement de les prendre, il s’agit aussi les défendre. Cette défense ne doit pas se résumer à nous barricader nous-mêmes derrière un mur et mettre des barbelés à l’extérieur. Nous ne pouvons pas nous limiter à simplement nous assurer que les flics ne rentrent pas.
Pour défendre un espace social, il est nécessaire de développer, qualitativement et quantitativement, une intervention extérieure et une capacité à développer un discours ayant une certaine signification et ne pas simplement nous réduire à la satisfaction de nos propres intérêts ou l’exercice de nos capacités personnelles.
Musique, poésie, etc, sont des activités très intéressants, mais si elles restent enfermées dans l’espace, même squatté, elles tendent tout simplement à devenir une autre caractéristique du ghetto.
La meilleure façon de défendre l’espace conquis est donc l’ouverture vers l’extérieur. Pour conclure nous pouvons dire : la conquête de l’espace ne peut se faire qu’avec l’occupation par la force, en cela que les autres chemins (tel que la négociation) ne fonctionnent pas (ne sont pas valides).
Après l’auto-gestion de l’espace, vient la question de la défense en général qui ne consiste pas seulement en des aspects minimes que nous pourrions définir comme « militaristes», mais aussi, et surtout, à l’ouverture vers l’extérieur, au fait de parler aux gens, de se rencontrer et de lier sa propre situation à la situation du quartier où on se trouve.
Alfredo M. Bonanno