Zine :
Lien original : anarkismo
En anglais : Salish Sea Intifada – Notes On Expanding the Struggle for the Liberation of the Palestinian People
Notes sur l’élargissement de la lutte pour la libération du peuple palestinien
Ce texte est une traduction et une adaptation collectives d’un texte originellement écrit sur Puget Sound Anarchists à l’attention des anarchistes nord-américain/e/s. La section « cibles » a été adaptée par nos soins à la situation européenne et plus particulièrement française.
Ce texte se propose d’apporter des solutions à la passivité dans laquelle nombre de camarades se sont enfermé/e/s face à l’horreur des crimes d’Israël, leur permettant des sorties par le haut et qui reposent sur des principes horizontaux et anti-autoritaires, sur des modes d’action à notre portée géographique.
Le monde occidental reste sidéré face à l’attaque surprise spectaculaire menée contre une superpuissance coloniale, et les colons autant que les spectateur/rice/s occidentaux/les réclament fanatiquement du sang, craignant que sinon iels « seront les prochain/e/s ». Pour venger cette humiliation mondiale, l’État colonial exige des centaines d’yeux pour un œil, des milliers de dents pour une dent et mène une campagne agressive d’extermination de la population palestinienne qu’il retient prisonnière.
Ce génocide se déroule sous nos yeux, tandis que les idéologues du monde colonial s’empressent de nous expliquer que la vie d’un/e Israélien/ne vaut autant que celles de centaines de Palestinien/ne/s, qu’un/e otage israélien/ne équivaut à des milliers de prisonnier/es/s palestinien/ne/s, et que 70 ans de nettoyage ethnique, 16 années de blocus militaire total sur Gaza, et les bombardements et opérations militaires constantes d’une superpuissance nucléaire ne sont rien face à une offensive à coup d’armes légères et de roquettes bricolées.
Certain/e/s anarchistes, encore pétri/e/s de l’humanisme des Lumières, pourraient être tenté/e/s d’hurler qu’on ne devrait pas soutenir cet acte et qu’on devrait condamner le Hamas et les atrocités qu’il commet ! Mais à l’attention de qui formulent-iels cette condamnation ? Les Gazaoui/e/s ne peuvent nous entendre à travers le blocus, assourdi/e/s qu’iels sont par le grondement de leurs estomacs vides, par les frappes aériennes constantes ou par les pleurs des parents sans enfants et des enfants sans parents. Et même s’iels le pouvaient ? Que leur importerait, puisqu’on ne peut leur envoyer ni cargaisons d’armes, ni nourriture, ni eau potable, ni médecins.
C’est vrai : le colonialisme produit des monstres. Cependant, si on veut vraiment condamner les monstres et leurs atrocités, pourquoi ne pas alors commencer par celles du colonisateur, car c’est bien le colonialisme qui engendre ces monstres, et les modèle à son image.
On ne peut pas se contenter de condamner. Quand les bombes pleuvent, les mots ne peuvent rien. On doit penser, on doit agir. C’est par l’action que se forgent de nouveaux liens. C’est par l’action que se concrétise la solidarité. C’est par l’action qu’on peut avoir un impact tangible sur l’occupation et faire advenir un pôle d’opposition anti-autoritaire conséquent.
Je souhaite partager humblement ces quelques mots avec les anarchistes de France, et peut-être d’Europe, pour qu’iels méditent, réfléchissent, critiquent, adaptent et agissent afin d’étendre la lutte pour la libération du peuple palestinien et s’engagent dans une forme de solidarité plus durable, plus concrète et plus menaçante.
Sensibiliser, Agiter, Attaquer – Multiplier les modes d’actions
La guerre n’est pas aussi lointaine qu’il n’y parait. Israël est précurseur dans le développement de techniques de contre-insurrection et de maintien de l’ordre qui s’exportent ensuite dans le reste du monde. Ce qu’Israël fait à la Palestine, notre police et notre gendarmerie nous le fera subir. Mais cet échange n’est pas à sens unique. D’une part, de grands groupes français et européens fournissent l’infrastructure qui contribue à l’apartheid et au génocide tandis que d’une autre, nos impôts financent le terrorisme d’État si directement que ça fait de nous, plus que de simples complices, de véritables coupables.
Si on veut considérer sérieusement la question de la solidarité, on doit abandonner notre attitude de soutien passif et faire nôtre leur lutte en s’y impliquant pleinement, avec tous les risques que ça entraîne. Je souhaiterais proposer un modèle d’analyse et d’action adapté à notre échelle géographique. Tirez de cet outil ce que vous trouvez pertinent et débarassez-vous du reste. La stratégie que je vous soumets repose sur trois piliers : Sensibiliser, Agiter, Attaquer. Ces trois aspects ne doivent pas forcément rester séparés ; la meilleure sensibilisation est parfois l’agitation et l’attaque peut contribuer à l’agitation tout autant qu’à la sensibilisation. Avec un peu de créativité, ces trois aspects peuvent être articulés de nombreuses manières fascinantes.
Il est important de noter que ces trois aspects ne sont pas les étapes distinctes d’une stratégie, mais des outils individuels qui se combinent aisément, ne doivent pas nécessairement être séparés, et gagneraient au contraire à être mobilisés simultanément. N’attendez pas pour passer à l’attaque et ne vous engluez pas dans la sensibilisation en étant persuadé/e/s qu’il faille, pour agir plus efficacement, atteindre un certain degré de quelque conscience abstraite.
Sensibilisation et Contre-Information
Je pense que de nombreux/ses anarchistes prennent pour acquis notre degré d’information sur les actualités mondiales et s’imaginent que tout/e un/e chacun/e est autant informé/e que nous. Non seulement est-ce tout bonnement faux mais ça revient à oublier que la majorité des informations auxquelles la population a accès sont soumises à des intérêts idéologiques privés (rappelons qu’en France, 90 % des médias sont détenus par de grands groupes privés dirigés par exemple par Bolloré, Niel, Lagardère…), des intérêts idéologiques étatiques, ou, plus fréquemment, à un déluge de fausses informations qui inondent les réseaux sociaux. S’il y a bien une chose sur laquelle les anarchistes ont 20 ans de retard, c’est sur la guerre de l’information, devenue pourtant un aspect incontournable de la lutte révolutionnaire.
Chaque jour, les canaux d’informations de l’ennemi débitent des absurdités, les idéologues en ligne rédigent leurs tweets et leurs petits blogs ridicules, et les officines militaires et autres agences de renseignement déploient leurs armées de bots pour inonder de conneries et polluer l’écosystème informatif. Le faux bon sens nous commanderait alors de faire la même chose, mais en mieux ! Ce serait cependant une impasse pour les anarchistes. On n’est pas là pour produire un flux constant de contenu pour un public passif, et on ne dispose pas non plus des capacités de financement pour entretenir l’infrastructure qu’exigerait un réseau national d’information en continu ou une armée de bots (quoique, pour celleux qui s’y connaissent en informatique, des armées de bots sont peut-être à notre portée, mais c’est une question qui mérite sa propre réflexion). Non, on doit être plus créatif/ve/s et favoriser les interventions visant à sensibiliser dans l’espace physique.
Ça inclut par exemple les traditionnels graffitis et collages (à faire régulièrement, environ tous les deux-trois jours, pour conserver une présence dans l’espace public, pas juste une fois de temps en temps), ou encore installer une table dans un parc, en pleine rue ou dans un autre lieu public et y disposer des zines ainsi que des tracts sur les évènements en cours et à venir pour tenter d’interpeler les passants. Sinon, on peut également passer à des modes d’action plus originaux quoique, c’est vrai, un peu plus embarrassants peut-être. Si vous voulez faire un collage, pourquoi ne pas le faire en pleine journée dans des costumes outranciers ou masqué/e/s et habillé/e/s tout en noir pour attirer ouvertement l’attention ? Pourquoi ne pas aller avec quelques ami/e/s et un mégaphone dans une zone très fréquentée (dans l’idéal en bloquant une route ou en perturbant un lieu, par exemple en tirant des feux d’artifice) pour parler de la situation ? Il peut alors être utile de distribuer des tracts aux gens ou même d’en lancer en l’air par centaines. Et pourquoi pas même du théâtre de rue ? Idéalement en perturbant autant que possible. Ou plus généralement, n’importe quoi qui sorte les gens un instant de leur routine et les interpelle.
Sinon, on peut aussi se lancer dans quelque chose d’un peu plus osé. Peut-être est-il temps que les radios pirates fassent leur grand retour ? Vous pourriez essayer de diffuser des informations sur les évènements actuels et sur où s’informer en piratant les ondes d’autres stations sur les heures de grande écoute. À l’occasion d’une manifestation massive, pourquoi ne pas scinder une partie de la manif vers une station de radio ou de télé et y forcer le passage jusqu’au plateau pour diffuser un message ? Ça peut sembler risqué et invraisemblable, mais merde, un génocide est en cours !
Cependant, la sensibilisation et la contre-information ont leurs limites. Idéalement, on devrait chercher à toucher directement la population, ou bien l’inviter à assister à une rencontre ou une assemblée offrant un point d’accroche concret. Il est essentiel de disposer de tracts avec de plus amples informations et des liens renvoyant à des sites permettant d’en apprendre plus et de se tenir au courant des prochains évènements.
Pour le dire clairement : il faut diffuser l’information et offrir un horizon tangible.
Agitation et perturbation
Mais on ne peut se contenter de sensibiliser. La liberté se conquiert, elle ne s’apprend pas, et on n’arrête pas un génocide seulement en informant de son déroulement. Il est vrai que, la plupart du temps, l’agitation et la perturbation n’y font pas grand-chose non plus mais c’est un début. Par agitation, j’entends mettre les gens en mouvement : motiver les personnes et leur donner une liste concrète de cibles et d’actions potentielles. Par perturbation, j’entends particulièrement la perturbation de la vie économique normale. C’est un élément essentiel, à la fois pour la lutte anarchiste en général, et parce que la France est si banalement et étroitement liée au financement et au soutien logistique du génocide en cours en Palestine.
Quand on se questionne sur la manière de perturber, on doit réfléchir à comment bloquer les échanges commerciaux : empêcher les transactions dans les magasins et les banques, perturber le fonctionnement quotidien des entreprises et des institutions qui soutiennent ou profitent de l’apartheid et du génocide, ou encore bloquer le transport des personnes et le fret. On doit également réfléchir à la manière de briser la routine de la normalité, le sentiment que tout va bien. Penser l’impact économique et psychologique. Toute perturbation est une opportunité de communiquer et de sensibiliser. Des banderoles et des tracts avec des mots d’ordre clairs, des slogans entraînants et de la bonne musique. Un discours peut parfois être utile pour enflammer les foules, mais attention, car il peut également rendre cette même foule passive. Voyez les choses en grand : comment pousser les gens à agir ? La clé est de propager et généraliser le conflit.
Certaines tactiques de perturbation ont fait leurs preuves depuis longtemps. Par exemple, les mobilisations visant à bloquer la circulation et les intersections, ou mieux encore, directement à l’intérieur des entreprises et des institutions pour les forcer à fermer le reste de la journée. Les grèves dans les entreprises et institutions qui soutiennent et s’enrichissent du génocide. Bloquer les autoroutes et les rues les plus empruntées peut se montrer une excellente idée, mais il est peut-être plus efficace encore d’installer une véritable barricade hérissée de drapeaux en ne laissant qu’une seule file ouverte de sorte à ralentir assez la circulation pour pouvoir distribuer des tracts aux conducteur/rice/s. Sinon, mettre en place des déviations, saboter les rails ou bloquer physiquement les trains sont autant de moyens d’entraver les transports ferroviaires afin de perturber efficacement les flux commerciaux.
Il existe encore d’autres moyens percutants, ceux-là exigeant bien plus de coordination et d’efforts, tels que les boycotts ou les blocages. On peut par exemple se rattacher à Boycott Divestment and Sanction (BDS), une campagne de boycott de longue date disposant de nombreuses ressources. Sinon, on peut tout bonnement perturber voire faire fermer continuellement les lieux ciblés par le boycott, voire voler leurs marchandises, idéalement via une action de masse, ou au moins les saboter.
Le point commun entre toutes ces initiatives est qu’elles permettent d’amener un conflit qui paraît lointain au contact direct de la population, de sorte qu’il ne soit plus possible de l’ignorer et de faire comme si de rien n’était ou comme si ça ne nous regardait pas. En outre, notre approche doit être mûrement réfléchie afin que nos actions et notre message incitent la population à s’engager par elle-même, sans attendre un jour bien précis de manifestation ou d’en recevoir l’ordre. Il nous faut constamment insister sur l’idée qu’on est toustes les protagonistes de ce conflit, qu’on ne peut pas attendre que les autres agissent à notre place, que de nombreuses cibles sont à notre portée et qu’on dispose d’un large éventail de tactiques pour s’y attaquer.
Passer à l’attaque !
Fondamentalement, être solidaire signifie attaquer ; détruire physiquement l’infrastructure oppressive et génocidaire. C’est ça qui inflige le plus de dégâts et est le plus à même d’entraver le bon fonctionnement de la machine génocidaire, mais c’est également la tactique la plus risquée. Il y a deux manières, complémentaires, d’approcher cette question : d’une part, en petits groupes, et d’autre part, avec la foule. Les actions en petits groupes ne nous sont pas inconnues puisque les anarchistes ont l’habitude de ce genre de pratiques. Du cassage de vitrine aux incendies volontaires, en passant par les effractions dans les laboratoires et les abattoirs pour en libérer les captif/ve/s ; des tactiques du même genre peuvent sans problème être appliquées dans la lutte pour la libération du peuple palestinien.
Cependant, il nous faut mûrement réfléchir à nos objectifs. Certes, un petit nombre d’entre nous pourrait aller mettre le feu à des infrastructures d’Amazon ou de Carrefour, mais le message envoyé ne serait-il pas bien plus impressionnant si on parvenait à entraîner un millier de personnes avec nous pour vandaliser et piller l’endroit ? On peut et devrait, chaque fois que c’est possible, entreprendre des actions en petits groupes, mais si on cherche à élargir le périmètre de lutte, c’est pour permettre à une masse de personnes de s’impliquer dans des actions enflammées et combattives. Or, forger des relations, organiser des actions et une communication audacieuses, et planifier méthodiquement de telles actions, tout ça est long et fastidieux.
Quelquefois, il pourrait s’agir de prévoir un détachement combattif du cortège de la prochaine manifestation, ou bien alors prendre le risque et faire l’effort de lancer nous-mêmes un appel à une action combattive de masse. Que ce soit à travers des petits groupes ou des actions de masse, toute action expose à des risques et exige des efforts immenses ; c’est néanmoins fondamentalement nécessaire pour ouvrir un nouveau front dans la lutte anticoloniale et prendre de court les colonisateurs.
Il est crucial qu’on cesse de croire à l’idée tenace qu’on ne serait pas capables d’être à l’initiative de grands soulèvements et révoltes, que notre unique rôle se cantonnerait au soutien et à l’intervention. Ce qu’il nous est possible de faire est en grande partie déterminé par l’effort et l’assiduité dont on est en mesure de faire preuve pour une cause déterminée sur une longue période. C’est là notre habituel point faible, mais on peut changer ça et, de toute façon, il faudra que ça change si on veut se montrer à la hauteur de l’immense tâche qui nous incombe au sein de la machine impérialiste.
Définir des cibles
Ce qui suit est une courte liste non exhaustive de cibles qui soutiennent, appuient et/ou profitent de l’apartheid et du génocide en cours depuis la France.
Premièrement, chaque ville de France abrite un certain nombre de personnes dans les administrations, les entreprises, les associations, les institutions, et autres, qui soutiennent l’État d’Israël et se font le relai de sa propagande. En cherchant un peu, on peut aisément les identifier et en faire des cibles prioritaires. On devrait faire de nos espaces des lieux, au moins socialement si ce n’est politiquement, hostiles aux sionistes. N’ayez nul doute qu’iels le font déjà envers celleux qui soutiennent la libération du peuple palestinien, en leur faisant par exemple perdre leur travail ou en les excluant de diverses industries et institutions.
Deuxièmement, de nombreuses institutions et entreprises européennes sont directement impliquées dans la colonisation des territoires palestiniens. Une quinzaine de banques européennes financent ainsi à hauteur de dizaines de milliards d’euros des groupes israéliens opérant dans les territoires colonisés illégalement par Israël. Des sociétés d’Europe exploitent les ressources minières de la Palestine et cherchent également à s’approprier ses ressources pétrolières sans que jamais le peuple palestinien n’en tire aucune retombée économique, tandis que d’autres vendent allègrement du matériel de gros travaux à des projets de démolition des maisons palestiniennes et de construction des infrastructures de la colonisation.
Troisièmement, plusieurs institutions financières françaises (donc davantage à notre portée) financent largement la colonisation, dont notamment AXA, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale ou encore BPCE. Les institutions françaises sont les troisièmes d’Europe qui coopèrent le plus avec les banques israéliennes, après celles du Royaume-Uni et d’Allemagne ; sachant que l’intégralité des banques israéliennes sont impliquées de près ou de loin dans des financements d’entreprises colonisatrices. Ce n’est cependant pas une fatalité : de nombreuses institutions européennes ont déjà mis sur liste noire les banques israéliennes après des campagnes de boycott.
Quatrièmement, on ne saurait omettre le sujet du tramway de Jérusalem, construit dans le but de relier Jérusalem-Ouest aux quartiers, illégalement contrôlés par Israël, de Jérusalem-Est et aux colonies alentours. En effet, ce projet a été largement financé par AXA – et d’autres institutions françaises et allemandes – et une importante partie des travaux a été effectuée par les entreprises françaises Alstom et Egis Rail. Plus généralement, Alstom est extrêmement impliqué dans le transport et les infrastructures en Israël et dans ses colonies, ayant par exemple construit des centrales devant les alimenter en énergie, un projet estimé à plus de 300 millions d’euros.
Cinquièmement, le groupe AXA n’est pas en reste puisque l’assureur français commerce régulièrement avec l’entreprise d’armement israélienne Elbit Systems, responsable de la production de drones de combat et de phosphore blanc pour le compte de l’armée israélienne et des colons. Il y a quelques années, AXA a sournoisement feinté de se retirer de cet investissement pour en réalité y réinvestir encore plus d’argent, mais au travers de ses filiales, de sorte que le nom AXA n’y soit plus associé. Elle participe donc toujours activement au meurtre des civil/e/s palestinien/ne/s.
Sixièmement, la campagne NoTechForApartheid explique que les multinationales Google et Amazon ont signé un contrat avec Tsahal d’une valeur de plus d’un milliard d’euros pour fournir à l’armée israélienne la technologie informatique et cloud nécessaires à leurs opérations dans les territoires palestiniens. Autant leurs sièges dans la Silicon Valley nous sont trop lointains, autant leurs sièges et leurs entrepôts en France nous sont plus accessibles.
Septièmement, le géant français Carrefour a fourni bien gratuitement des rations alimentaires aux soldat israéliens qui assaillent actuellement Gaza. Le groupe dispose également de trois magasins dans des colonies illégales en Cisjordanie. C’est à ce titre que la campagne BDS le fait figurer en bonne place dans sa liste d’entreprises à boycotter.
Enfin, le gouvernement français lui-même n’est pas exempt de tout reproche. En effet, la France d’Emmanuel Macron, en s’alignant de plus en plus sur les positions américaines, a rompu ses positions historiques vis-à-vis de la Palestine et en vient à soutenir quasi inconditionnellement l’armée israélienne. En septembre dernier encore, la France organisait un exercice militaire conjoint avec Tsahal et récemment, la France a même dépêché un de ses porte-hélicoptères près des côtes de la région, officiellement pour assister les hôpitaux débordés de Gaza. D’autre part, le ministère de la Défense a signé un contrat de cinq millions d’euros avec Elbit Systems, finançant ainsi la machine de guerre colonisatrice en se servant de matériel testé sur les civils. À travers nos diverses taxes et impôts, chaque fois qu’on achète un produit, qu’on paye notre loyer ou qu’on va au travail, on finance donc la colonisation menée par l’État d’Israël. D’autres pays européens, en particulier l’Allemagne, entretiennent également des liens privilégiés autour du commerce d’armes vers et depuis Israël.
Ces cibles listées ici ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Il nous est nécessaire d’approfondir nos recherches pour obtenir les noms et adresses des individus, entreprises ou autres qui sont également impliqué/e/s.
Être solidaire dans la durée
Ce que j’ai écrit ici s’applique pour le court et moyen-terme, mais la solidarité est un principe qui s’affirme dans la durée et le long-terme et malheureusement, les anarchistes se sont peu illustré/e/s en ce sens. Cela peut et doit changer. On devra continuer de s’impliquer dans le combat quand on n’en entendra plus parler aux informations, et ce jusqu’à la chute d’Israël et la libération du peuple palestinien.
La solidarité entraîne risques et périls, faire nôtre leur combat implique de se mettre soi-même en danger. Nous faut-il alors aller là où pleuvent les bombes pour forger des relations personnelles avec les communautés insurgées ? Les libéraux nous tiennent ici en échec ; il nous suffit de regarder l’exemple de Rachel Corrie qui s’est rendue en territoire occupé et qui a été assassinée par l’armée israélienne quand elle s’est interposée entre un bulldozer et la maison d’une famille palestinienne qui était sur le point d’être démolie. Elle n’aurait pas dû avoir à mourir et la lutte n’a pas besoin de nouveaux/lles martyr/e/s.
Débarquer dans un contexte flou sans avoir aucune connexion nous conduira très certainement à la mort. On doit nouer en amont des relations avec des individu/e/s, des groupes et des organisations qui luttent activement sur place. Le premier pas dans cette direction est d’apprendre leur langue, qui est pour moi l’étape fondamentale à la création d’une solidarité internationale. De là, on peut nouer des liens, parfois favorisés par le biais d’ami/e/s, de réseaux, d’organisations ou d’Internet. Il nous faut ensuite monter des structures, formelles ou informelles, pour faciliter et assumer les coûts de la venue de camarades pour qu’iels puissent nous faire part de leur lutte, et pour nous permettre à nous d’aller sur place pour constater la situation, établir des connexions, nous associer à leur lutte et affronter les mêmes dangers qu’elleux.
À partir de cette base relationnelle et affinitaire, on peut alors se pencher sur des aspects plus complexes de la lutte : Comment falsifier des documents ? Comment faire passer de l’argent, des personnes, du matériel, des informations, de la nourriture et des armes ? Ces propositions peuvent nous sembler lointaines et fantasques mais elles représentaient le b.a.-ba pour nos aînés et sont ce dont a besoin l’internationalisme. Autrefois, les mouvements révolutionnaires et anticoloniaux pouvaient se reposer sur un bloc mené par une superpuissance pour leur fournir l’aide nécessaire, non sans contrepartie cependant. Nous, anarchistes, ne pourrions jamais utiliser un tel ressort, qui de toute façon n’existe même pas. Ce qu’on fait dans notre pays et ce que d’autres font dans le leur (comment on lutte, comment on noue des liens, comment on communique) doit semer les graines d’une Internationale noire, capable d’articuler l’anarchisme comme une force d’opposition mondiale en mesure de fournir une assistance matérielle aux luttes d’émancipation afin que les peuples n’aient pas à choisir entre deux ou trois tyrans différents.
Ça représente un projet à long-terme, comprenez cinq, dix, peut-être vingt ans. Mais c’est ce qu’exigent une véritable solidarité et un internationalisme antinationaliste. La tâche qui nous incombe est immense ; il nous faudra donc être à la hauteur ou sombrer à nouveau dans les bas-fonds de l’Histoire. À nous de choisir.