Zine :
Lien original : Os Cangaceiros n°2

Pour la première fois dans ce pays pourri, un mouvement de sympathie pratique s’est manifesté dehors en faveur des prisonniers révoltés. Voilà un coup du sort auquel ne s’attendait pas tout ce qui réforme et qui gémit, tout ce qui croit pouvoir s’autoriser sans vergogne de la souffrance des détenus pour justifier sa propre lâcheté, son propre inté­rêt au statu quo. Voilà surtout un mauvais coup pour l’État !
Il y a, dehors, une multitude de crétins qui se permettent de l’ouvrir pour disserter à l’infini sur ce qu’ils veulent bien nommer pudiquement « le problème de la détention », alors qu’ils n’ont pas même l’expérience de la chose et qu’ils feraient mieux de la fermer. Leur vacarme prétentieux contraste avec le silence qui est imposé de force aux détenus révoltés (et la censure unanime dont leurs communiqués ont fait l’objet).
A l’intérieur d’une prison, c’est la rumeur publique et souterraine qui fait circuler l’infor­mation. D’une prison à l’autre, il en va autrement. C’est ce qui donne une certaine impor­tance en prison à la presse écrite (en plus du fait que la lecture d’un canard permet toujours de tuer une heure ou deux). L’ennui et l’isolement sont les deux seules choses qui font qu’en taule, on accorde un peu d’intérêt à la presse écrite : et chacun de ses mensonges fait d’autant plus mal.
L’hostilité de toute la presse à l’égard des détenus révoltés est unanime : quand elle ne suit pas la politique du silence, elle suit celle de la calomnie. Et tous ses commentaires résonnent des mêmes questions stupides que seuls des intellectuels peuvent se poser, dans le but évident de semer le doute et la confusion. La seule chose qui les différencie est la façon dont ils en appellent à l’autorité de l’État pour mater la révolte. A une extrémité du spectre, Le Figaro appelle à serrer la vis encore davantage aux détenus et ne cesse de s’indigner d’une prétendue complaisance gouvernementale ; à l’autre extrémité. Libération soutient joyeusement un gouvernement qui parle de réformes, et s’extasie sur les gadgets culturels avec lesquels il compte apprivoiser la colère des taulards.
L’hostilité est encore plus grande quand il s’agit pour tous ces menteurs de rapporter quel­ques gestes de solidarité réelle envers les détenus, et qui donc contredisent leur prose [1].

Nous ne sommes pas de ceux qui se font une spécialité d’écrire et de parler sur la prison (nous ne sommes pas non plus de ceux qui tentent d’organiser des rassem­blements à Beaubourg, ou qui vont converser 2 heures durant avec le directeur de Fleury-Mérogis, comme certains n’ont pas eu honte de le faire l’an dernier).
Il se trouve que le risque d’atterrir en prison, el le fait pour beaucoup d’entre nous d’y avoir passé du temps, conditionne en grande partie notre vie. Précisons que ceux d’entre nous qui ont déjà été condamnés et détenus l’ont toujours été suivant le droit commun ; nous n’avons aucune espèce d’affinité envers les « prisonniers politiques ».
La lutte des prisonniers nous concerne donc entièrement. Nous avons diffusé un dépliant, début juin, qui donnait un écho, amplifié, aux revendications des mutins, et cela dans l’esprit même de la révolte. C’est à notre connaissance le seul document [2] commis dehors qui ait pris clairement le parti de la révolte, sans céder en rien aux explications embarrassées des mili­tants de tout poil. Les 4 exigences qui le concluaient ne faisaient que reprendre dehors celles exprimées dedans par les mutins, dans les rares écrits qui ont pu filtrer et surtout dans leurs actes. Un certain nombre de gens ont ensuite mené scandale, notamment en perturbant le trafic ferroviaire en différents endroits du pays. Ils ont ce faisant donné à ces exigences la notoriété qui leur était jusque là refusée ; et ont donc rendu ses droits à la réalité dé la révolte.
La malveillance des médias a été dès le départ systématique ; tous ont parlé au moins d’attentats à propos de ces actions, dès les premières. Et qualifier d’ »attentat » le barrage d’une voie ferrée ou le bris de signaux lumineux est non seulement une énormité mons­trueuse, mais une manière d’appeler à la répression en assimilant toute action de solidarité pratique avec les mutins à du terrorisme. A fortiori, parler comme l’ont fait certains jour­naux, de « terroristes du rail » est carrément ignoble. Un journal a même été jusqu’à parler des « voyageurs pris en otages » à la suite d’une action contre le TEE (à propos d’otages, il ne parlait pourtant pas des 25 000 détenus en préventive ? !). Si l’on ramène les choses à la juste proportion, il s’agit au mieux de vandalisme organisé.
Nos moyens d’actions sont ceux qu’utilise n’importe quel prolétaire : sabotage et vanda­lisme. Nous ne faisons pas d’actions symboliques ; mais nous créons le désordre, comme savent le faire couramment des ouvriers en lutte qui barrent des routes ou des chemins de fer, sabotent du matériel, des relais TV etc…
Ce qui a caractérisé le style d’actions menées pendant un mois, de la mi-juin à la mi-juillet 85, c’est la simplicité. Ainsi le TEE Paris-Bruxelles a pu être arrêté avec de simples pinces à batteries, qui reliant les 2 rails permettent de simuler le passage d’un train, mettant automati­quement la signalisation au rouge. Une quinzaine de personnes ont suffi à arrêter un train important, tracer à la bombe de peinture les exigences des mutins de mai, briser les vitres pour y introduire des tracts (les douaniers et flics en civil, toujours présents dans le premier wagon du Paris-Bruxelles, n’ont pas bougé le petit doigt). La signalisation du TGV a pu être saboté avec un simple marteau isolant ; sur diverses lignes, des armoires électriques ont été incendiées avec un peu d’essence.
La paille flambe bien l’été comme a pu s’en rendre compte à Toulouse ce rempailleur qui faisait ses bénéfices sur le dos des taulards. Les « Bandoleros » l’ont mis sur la paille ! A Nantes, l’imprimerie qui tire la presse nationale pour l’Ouest a été sabotée en introduisant du sable, des graviers et des clous dans les compresseurs alimentant les rotatives. À Paris, 2 lignes de métro ont été bloquées, le plus simplement du monde : en jetant sur les voies du matériel de chantier.
Toutes les précautions ont à chaque fois été prises afin que la sécurité des voyageurs ne soit pas menacée. C’est cette nécessité d’éviter tout accident qui nous a fait renoncer à arrêter le TGV de la même façon que nous avions arrêté le TEE. Il nous a semblé trop dangereux d’arrêter brutalement un train lancé à grande vitesse, et nous nous sommes contentés de saboter du matériel, ce qui perturba le trafic.
Enhardis par l’arrestation de 4 personnes à Rouen, début juillet, les meneurs spécialisés ont franchi alors un degré de plus dans l’ignominie : en insinuant que ces 4 là auraient bien pu être responsables du déraillement survenu, trois jours après l’action des « Hobos du Val-de-Seine » sur la ligne Le Havre-Paris. La presse relatait qu’ils avaient incendié des armoires électriques servant à la signalisation, ce qui entraînait le dérèglement du dispositif. Mais, comme la SNCF l’a elle-même affirmée à plusieurs reprises, cela ne peut avoir de conséquen­ces pour la sécurité des voyageurs parce qu’automatiquement de telles destructions entraî­nent la mise au rouge de la signalisation, c’est-à-dire l’arrêt des trains approchant du secteur, puis leur remise en route en « marche à vue » (soit une vitesse de 35 km/h).
La responsabilité des « Hobos du Val-de-Seine » n’est en rien impliquée dans cet accident. Et pourtant ! Ils ont été inculpés de « destruction de matériel pouvant entraîner un danger pour les personnes », ce qui les met sous le coup d’une inculpation criminelle, relevant des assises. Et Antenne 2, France-Soir et Paris-Normandie ne se sont pas privés d’enfoncer le clou de la calomnie ! Tout ceci dans le but d’impressionner et d’intimider les éventuels ama­teurs de ce genre d’action.
A Paris, le métro a été interrompu simultanément en deux endroits vendredi 12 au matin ; le soir même. Le Monde et France-Soir, rapportant cela annoncent que les auteurs de ce sabotage ont laissé sur place des tracts signés « Ordre Noir » : c’est faux. Il doit s’agir d’une provocation des flics, qui accourus les premiers sur place ont dû ensuite présenter les choses à leur façon : on sait qu’« Ordre Noir » est le nom sous lequel les services secrets italiens avaient fait sauter des bombes meurtrières dans la gare de Bologne, voici quelques années. On voit de suite l’analogie qu’ont voulu induire les flics… Malgré un démenti le soir même, France-Soir reprenait encore cette extravagante invention dans son édition du lendemain.

Après s’être d’abord demandé si nous étions des terroristes ou des mauvais plaisants, les menteurs spécialisés sont passés de l’insinuation à la délation : on ne s’en étonnera pas, dans un système social dont le maintien repose sur la police et le mensonge. Ils évoquent « un mystérieux groupe » qui aurait orchestré tout ça ; un ignorant qui se donne de grands airs déclare dans France-Soir que « ces groupes se recrutent en provenance du gau­chisme anarchisant, à la lisière entre la délinquance et le terrorisme ». Précisons tout de suite, et une bonne fois pour toutes, que nous, cangaceiros, ne provenons pas du gauchisme, anar­chisant ou autre : il n’y a parmi nous pas un seul ancien militant. Et aucun d’entre nous n’a jamais trempé d’aucune manière dans quelque racket politique. Et nous n’avons qu’une seule forme de relation avec les groupes et organisations politiques : la guerre. Tous sont nos ennemis, sans exception. Nous ne sommes pas « à la lisière de la délinquance » : nous sommes des délinquants. Ce qui ne veut pas dire que nous ayons « fait de notre situation de délin­quants une situation professionnelle », comme dirait un célèbre commissaire marseillais. Par contre, nous n’avons rien à voir ni de près ni de loin avec le terrorisme. Les pauvre types qui se laissent embrigader là-dedans ne sont que des automates, exécutants d’une idéologie nau­séabonde, au service d’un appareil à la mentalité policière et au fonctionnement hiérarchi­que : comme nous l’avons déjà dit, nous méprisons les militants.
D’autres menteurs insinuent que nous disposerions de gros moyens financiers, sous- entendant que tout ceci serait « soutenu par des organisations plus importantes ». Quoi donc ? la Mafia ? le KGB ? les BR ? et l’Opus Dei ? Enfin, pour dire que nous sommes bien organisés, ils disent que nous sommes « fortement structurés » (quelle horreur !). Ils trouvent que nos textes sont trop bien imprimés : n’importe qui sait bien qu’il n’y a pas besoin de rou­ler sur l’or pour faire imprimer proprement quelques milliers de revues. Seulement, on insi­nue… On calomnie, on recours à l’amalgame, en espérant qu’il en restera bien quelque chose sur le bureau d’un juge…
Parmi les plus dérisoires de ces calomnies, la presse et la télé ont dit de l’un des quatre accusés de Rouen qu’il était prof de philo ! L’Éducation Nationale a elle-même dû corriger quelques jours après : la personne insultée n’a en fait été que simple pion dans un collège, et encore voici dix ans ! On retrouve bien là ce vieux réflexe policier qui consiste à désigner une tête pensante, et pour ces crétins une telle tête serait forcément diplômée. Eux sont tout juste des crétins diplômés. Les prolétaires savent penser par eux-mêmes : ils n’ont pas besoin qu’on leur apprenne. Et de toutes façons, les profs de philo ne savent pas penser, puisqu’ils ne connaissent rien à la vie.
Pour finir avec ces allégations douteuses, disons qu’un groupe qui publie une revue et fait fréquemment connaître ses positions par voie d’affiches, tracts et dépliants ne peut être qua­lifié d’obscur et de mystérieux. Un dépliant, largement diffusé, explique les raisons suffisan­tes de ces actions : aucun journal, télévisé, radiophonique ou imprimé, ne s’est risqué à dire précisément ce qu’il contenait. Ils ont préféré faire des supputations, faire un mystère de choses simples : c’est bien à l’image du caquetage entretenu autour de la révolte des prison­niers, sur le « problème de la prison ». Alors qu’il s’agit d’une chose terriblement simple, ils n’ont de cesse de la compliquer pour qu’on finisse par ne même plus savoir de quoi il est question. Il est question de savoir si on accepte l’existence des prisons, ou si on la refuse. Sans équivoque possible.
Nous voulions faire connaître largement les exigences qui découlaient logiquement de la révolte de mai, et entamer ainsi l’isolement des taulards alors que tout était fait, passé la fièvre des mutineries, pour les étouffer dans le silence.
Dehors, nous sommes habituellement accablés par un sentiment d’impuissance face à ce qui se passe dedans. Pour la première fois ce sentiment d’impuissance a été dépassé. Bien que peu nombreux, avec des moyens simples et efficaces, nous avons assuré à la révolte de mai une belle publicité.
Et si ces actions sont restées limitées, cela tient évidemment à notre propre isolement dans la société.
La venue de la gauche au pouvoir a permis au capitalisme français de surmonter opportu­nément une mauvaise passe : et notamment de mettre au pas la majorité des travailleurs, avec l’aide des syndicats. Elle a intensifié aussi la modernisation de l’isolement social, par une extension du flicage et du contrôle : tout cela a pour condition une politique d’isolement carcéral envers ceux qui échappent encore à ce contrôle. La paix sociale qui règne apparem­ment dans ce pays repose en grande partie sur la surpopulation des prisons. C’est tout.
On pouvait bien sur espérer, sous la pression de la révolte, une bouffée d’air pour le 14 juillet : on a vu jusqu’à quel point les socialistes savent se moquer du monde. Mais qu’espé­rer d’un État, sinon des coups ou des mensonges ? Et qu’espérer d’une salope comme Mitter­rand qui, étant alors ministre de l’intérieur, avait fait tirer sur des ouvriers grévistes, à Nantes en 1955 ?

Tout ce qui rampe sur la terre est gouverné par les coups »

NOS AMITIÉS AUX HOBOS DU VAL-DE-SEINE !!!

NOS AMITIÉS AUX MUTINS DE CHAUMONT, DE LYON, DOUAI, ÉVREUX ET À TOUS LES AUTRES.

Début Août 85

OS CANGACEIROS