Zine :
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En anglais :
En 1984, la revue Emma publie cet « entretien avec deux membres de Rota Zora ». En réalité, aucune journaliste d’Emma n’a réellement interviewé les Rote Zora : il s’agit d’une auto-interview faite à plusieurs et adressée ensuite au journal.
Commençons par dire qui vous êtes.
Zora 1 : Si c’est une question personnelle, alors, nous sommes des femmes de 20 à 51 ans. Certaines d’entre nous vendent leur travail où elles peuvent, certaines prennent ce dont elles ont besoin et d’autres ne sont pas encore tombées à travers le filet de l’État-Providence. Certaines ont des enfants, d’autres pas. Certaines femmes sont lesbiennes, d’autres aiment les hommes. Nous consommons dans des supermarchés dégoûtants, nous vivons dans des maisons affreuses, nous aimons nous promener, aller au cinéma, au théâtre ou en boîte. Nous faisons la fête et nous cultivons l’oisiveté. Et bien sûr nous vivons avec la contradiction que la plupart des choses que nous voulons faire ne peuvent être faites spontanément. Mais quand on réussit une action, on a vraiment beaucoup de plaisir.
Que signifie votre nom ?
Zora 2 : Ca vient de Zora la Rousse et sa bande — c’est une gosse des rues, sauvage, qui vole les riches pour donner aux pauvres. Jusqu’à aujourd’hui, il semblait que c’était un privilège masculin de monter des bandes ou d’agir en dehors de la loi. Et pourtant, justement, parce que les filles et les femmes sont étranglées par des milliers de chaînes personnelles et politiques, cela devrait faire de nous des masses de « bandites » qui combattrions pour notre dignité, notre liberté et notre humanité. La loi et l’ordre sont fondamentalement contre nous, même si nous sommes péniblement parvenues à obtenir certains droits et que nous avons à nous battre tous les jours pour les garder : les luttes de femmes radicales et le respect de la loi, ça ne va pas ensemble !
Ce n’est pourtant pas une coïncidence que votre nom ait les mêmes initiales que les Cellules révolutionnaires (RZ)
Zora 1 : Non, bien sûr que non. Rota Zora exprime le fait que nous avons les mêmes principes que les RZ, la même conception de construction de structures illégales et d’un réseau qui soit en dehors du contrôle par l’appareil d’État. C’est uniquement de cette façon que nous pouvons donner naissance à des actions directes subversives — en relation avec les structures légales et ouvertes de différents mouvements. « Nous répliquons ! », ce slogan des femmes de mai 68 n’est plus sujet à controverse aujourd’hui en ce qui concerne les violences individuelles faites aux femmes.
Mais c’est toujours très polémique et la plupart du temps tabou en tant que réponse aux conditions du pouvoir qui reproduisent constamment ces violences.
Quelles actions avez-vous menées ?
Quel en était l’arrière-plan ?
Zora 2 : Les femmes des RZ ont commencé en 1974 en posant une bombe à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe parce que nous voulions la suppression totale du paragraphe 218 et non un texte indicatif constamment manipulable1. La nuit de Walpurgis de 1977, nous avons posé une bombe à l’Ordre fédéral des médecins parce qu’ils voulaient saboter même cette réforme partielle de l’avortement. Ensuite, il y a eu la bombe contre Schering pendant le procès Duogynon, et des attaques permanentes contre des sex-shops. En fait, il faudrait qu’il y ait un de ces magasins porno qui brûle ou qui soit dévasté chaque jour. De là, nous pensons qu’il est absolument nécessaire de sortir du « domaine privé » l’oppression des femmes comme objets sexuels et productrices d’enfants, et de montrer notre colère et notre haine à coup de feu et de flammes.
Zora 1 : Nous ne nous limitons pas à l’oppression directe c’est-à-dire évidente des femmes. En tant que femmes, nous nous sentons également concernées par les conditions de pouvoir social, qu’il s’agisse des moyens de production capitalistes, ou de la destruction du milieu urbain, ou de l’environnement ; des conditions donc auxquels les hommes sont aussi confrontés. Nous ne voulons pas la « division du travail » de la gauche sous le slogan : les femmes pour les questions concernant les femmes, les hommes pour les questions politiques globales. Personne ne nous retirera la responsabilité de changer notre vie quotidienne. De là, par exemple, nous avons mis le feu aux jolies voitures à la mode des avocats de Kaußen, « le requin des loyers », qui étaient responsables d’une série d’expulsions brutales. Avec les RZ, nous avons imprimé ensemble des faux tickets de transports en commun et nous les avons distribué dans le bassin de la Ruhr pour y mettre un peu de tarif zéro.
Zora 2 : Nos dernières attaques étaient dirigées contre Siemens et la compagnie informatique Nixdorf. Ils promeuvent le développement de nouvelles technologies de domination pour créer des possibilités encore plus sophistiquées de guerre de production et de contre-révolution. De plus, il s’agissait là d’attaquer la fonction d’innovateurs qu’ils ont dans la restructuration du travail, en particulier sur le dos des femmes du monde entier. Alors qu’ici on exploite les femmes en les faisant travailler isolées les unes des autres dans des boulots à temps partiel et sans sécurité sociale — grâce à la technologie de ces compagnies —, dans le dit tiers-monde elles sont usées jusqu’à l’os pour produire ces mêmes outils électroniques. À 25 ans, elles sont complètement bousillées.
Quelle est l’importance pour vous du rapport avec le tiers-monde, avec l’exploitation des femmes là-bas ?
Zora 1: Nous l’avons manifesté dans toutes nos attaques, quand nous avons attaqué des marchands de femmes et l’ambassade des Philippines l’an passé aussi. Nous ne combattons pas pour les femmes dans les pays de la périphérie, nous combattons avec elles, par exemple contre l’utilisation des femmes comme produit de consommation courante. Cette traite moderne des esclaves a son équivalent ici dans la possession conjugale. Les formes d’oppression sont différentes mais elles ont toutes les mêmes racines. Personne ne jouera plus avec nous. La séparation entre les hommes et les femmes a un équivalent international, la division entre les peuples du premier et du tiers-monde. Nous-mêmes profitons de la division internationale du travail. Nous voulons rompre avec notre implication dans ce système et comprendre nos intérêts communs avec les femmes des autres pays.
Vous avez expliqué comment vous concevez votre pratique, mais vous n’avez pas expliqué pourquoi vous vous organisez dans le cadre des RZ.
Zora 2 : D’abord, la raison principale est que cette politique a été développée par les RZ et nous estimons toujours qu’elle est juste. Durant notre développement, nous avons déterminé nos propres contenus politiques — de là, nous nous sommes organisées en tant que femmes de façon autonome — mais nous sommes retombées sur les expériences des RZ. Nous pensons aussi que la coopération des groupes radicaux peut renforcer la résistance militante. Il y a eu des formes de coopération productives, telles que les actions contre la visite de Reagan, ou l’article de débat sur le mouvement pacifiste (« Dans le danger et l’extrême urgence, le compromis c’est la mort »). Mais il y a aussi eu des discussions chiantes. Parfois des hommes — qui d’autre part transforment leur rupture radicale d’avec le système en pratique conséquente — sont loin, et c’est alarmant, de réaliser ce que signifie la lutte antisexiste, et quelle signification elle a pour une perspective sociale-révolutionnaire. Il y a eu également des controverses entre nous, entre femmes, pour savoir où sont les limites de la coopération, pour savoir quand elle renforce ou paralyse nos luttes de femmes ; mais nous pensons que notre identité féministe nous unit à certaines femmes des RZ.
Est-ce que cela signifie que vous vous définissez comme féministes ?
Zora 1 : Oui, bien sûr, nous pensons que le personnel est politique. C’est pourquoi nous croyons que tous les faits sociaux, économiques ou politiques qui structurent et renforcent le soi-disant personnel sont une invitation à la lutte, en particulier pour nous les femmes. Ce sont les chaînes que nous voulons briser. Mais ce serait une vision incomplète des choses que de faire de l’oppression des femmes en Allemagne de l’Ouest la seule orientation politique, et de ne pas voir les autres situations d’oppression, telles que l’oppression de classe, le racisme, ou l’annihilation de peuples entiers par l’impérialisme. Cette attitude ne comprend jamais les racines de la misère : à savoir que l’oppression des femmes et la division sexuée du travail sont des présupposés qui sont fondamentaux à n’importe quelle forme d’oppression — contre les autres races, minorités, les vieux, les malades, et en particulier contre ceux qui se révoltent.
Zora 2 : Pour nous, les difficultés commencent quand les revendications féministes demandent des « droits égaux » et la reconnaissance dans cette société. Nous ne voulons pas de femmes dans des positions d’hommes, et rejetons les femmes qui font carrière à l’intérieur de la structure patriarcale sous prétexte de lutter pour les femmes. De telles carrières demeurent des actes individuels dont ne peuvent profiter que quelques femmes privilégiées. Car, dans cette société, les positions d’administration, de gestion du pouvoir, sont cédées aux femmes uniquement lorsque les intérêts des hommes y sont représentés ou lorsque la position, de toutes façons, ne permet pas l’influence des intérêts des femmes.
Le mouvement des femmes était assez fort dans les années soixante-dix : il a abouti à pas mal de choses de façon légale. Par exemple, le combat contre la loi sur l’avortement, la communication faite autour des violences contre les femmes dans la famille et du viol en tant qu’acte de pouvoir et de violence, la construction de contre-structures autonomes. Pourquoi soutenez-vous la nécessité de la lutte armée ?
Zora 1 : Bien sûr, le mouvement des femmes a réussi de nombreuses choses, et pour moi la plus importante d’entre elles est le développement d’une large conscience de l’oppression des femmes dans la société. De plus, les femmes ne ressentent plus leur oppression comme une histoire individuelle, ou ne pensent plus qu’elles en sont responsables, mais, à la place, elles se réunissent et prennent conscience de leur force commune. Les choses qui ont été organisées par le mouvement des femmes, comme les librairies de femmes, les centres de femmes, les journaux de femmes, les meetings, les congrès, tout cela fait maintenant partie de la réalité politique et fait partie intégrante du développement de notre lutte.
Zora 2 : Certains de ces succès étaient plutôt l’expression d’une situation sociale dans laquelle des espaces de liberté ont pu être cédés aux femmes. Bien sûr, quand ils ont voulu qu’il y ait des femmes dans les usines et les bureaux, ils ont créé plus de places dans les jardins d’enfants, mais cela n’a pas apporté de changement fondamental dans la façon de vivre des femmes. Il faut un mouvement continu, dont les buts ne puissent être récupérés, et dont la part sans compromis ne peut être mise de force dans des cadres légaux, dont la colère et la volonté de se consacrer aux luttes anti-parlementaires et aux formes anti-institutionnelles sont exprimées sans limites.
Zora 1 : La voie légale n’est pas suffisante, parce que généralement les structures de la violence sont légales. C’est légal que des maris frappent et violent leurs femmes. C’est légal que des marchands de femmes achètent nos sœurs du tiers-monde et les vendent à des hommes allemands. C’est légal que des femmes détruisent leur santé et fassent des boulots monotones pour gagner juste de quoi survivre. Toutes ces choses sont des conditions violentes que nous ne voulons plus accepter ni tolérer et qui ne peuvent être changées simplement par la critique. C’est un pas important de créer une conscience publique des violences faites aux femmes mais ça n’a pas suffi à les empêcher. C’est phénoménal à quel point les injustices criantes dont souffrent les femmes peuvent rencontrer une incroyable proportion d’ignorance. C’est une tolérance qui met en relief le parasitisme masculin. Cette « norme » est liée au fait qu’il y a peu de résistance. L’oppression n’est reconnue que lorsqu’il y a résistance. C’est pour cela que nous sabotons, boycottons, endommageons, et nous vengeons des violences et humiliations subies en attaquant ceux qui en sont responsables.
Que pensez-vous du mouvement des femmes actuel ?
Zora 2 : Nous pensons qu’il est faux de parler du mouvement des femmes. D’un côté, le terme de mouvement des femmes comprend ce qui résulte des structures anciennes et ce qui en est resté, des projets et rencontres jusqu’à la mystique. Il y a beaucoup de courants qui ne se renforcent pas les uns les autres de façon fructueuse, mais qui, en partie, se combattent et s’excluent. D’un autre côté, de nouvelles impulsions politiques émergent de contextes variés, dans lesquels les femmes prennent conscience de leur oppression, questionnent de façon radicale les structures patriarcales et développent une ligne politique dans l’intérêt des femmes — par exemple les femmes dans les groupes de solidarité latino-américains, dans le mouvement squatter, dans les groupes anti-impérialistes. C’est pourquoi il est approprié de dire « le mouvement des femmes est mort, vive le mouvement des femmes ! ». Le mouvement des femmes n’est pas un mouvement partiel comme le mouvement antinucléaire ou le mouvement squat, qui ne survivront pas si on arrête de construire des centrales nucléaires, ou s’il n’y a plus de propriété soumise à la spéculation. Le mouvement des femmes est en lien avec la totalité des structures patriarcales, leur technologie, leur organisation du travail, leur relation à la nature, et à cause de cela c’est un phénomène qui ne disparaîtra pas en supprimant quelques excroissances cancéreuses, mais plutôt dans le long processus de la révolution sociale…
Zora 1 : Le mouvement des femmes n’a jamais vraiment analysé ses défaites autour de la loi sur l’avortement, sur le financement de projets comme des centres d’abri pour femmes battues. Il lui manque le rejet de la politique d’État. D’autre part, il a anticipé le tournant de la politique familiale au travers de la vague de nouvelle maternité dans le mouvement des femmes. De plus, la question de classes n’est jamais apparue ; les différences sociales sont niées par l’universalisation de l’oppression sexiste. Cela rend difficile le fait de trouver des réponses aux conditions de travail qui empirent, à l’oppression croissante, et à la politique familiale réactionnaire dans la crise actuelle. Le manque de perspectives d’actions pour réagir de façon appropriée aux attaques mène au dilemme suivant : soit aller de manière offensive contre la politique réactionnaire, soit seulement préserver le peu de lest subjectif qu’on a lâché aux femmes. Nous ne pouvons pas résoudre ce problème en théorie, mais nous ne pensons pas que la construction de comités de femmes soit une solution appropriée. Par expérience nous savons que nous, les femmes, n’atteignons aucun pouvoir par les chemins qui sont justement là pour exclure les femmes, garantir et obtenir la domination patriarcale. C’est pourquoi nous considérons que les comités des femmes qui veulent organiser leur influence dans les partis et les institutions font fausse route.
Zora 2 : Mais, pendant ce temps, d’autres débats et analyses importants, qui prennent en compte le développement futur de la société, ont commencé à se développer. L’oppression croissante, notamment grâce aux nouvelles technologies, est remise en question depuis la base, les nouvelles formes de rémunération et d’organisation du travail des femmes sont analysées, les structures de violence indirecte contre les femmes sont comprises. Beaucoup de femmes perçoivent et rejettent la guerre quotidienne contre les femmes — la vague du porno hard et la propagande méprisante pour elles — et l’appel de la société pour plus de maternité et plus de féminité. Elles comprennent également que les retours en arrière dans la politique qui concerne les femmes et la politique familiale conditionnent de nouvelles stratégies du capital. La politique de contrôle de la population, et le changement de la loi sur l’avortement en fait partie, est une tentative d’avoir une influence qualitative sur le développement de la population. Parmi d’autres choses, son ambition est de multiplier la classe moyenne allemande « en bonne santé », grâce aux technologies génétiques sponsorisées par l’État. C’est un développement que nous devons empêcher. Aujourd’hui, nous avons besoin plus que jamais d’un mouvement des femmes qui a le pouvoir d’empêcher et de briser l’enfermement social et politique, non seulement des femmes, mais aussi des étrangers et des minorités ; un mouvement de libération des femmes qui ne réduit pas l’espoir de la révolution à un joli rêve.
Vous concevez-vous comme partie du mouvement des femmes, ou du mouvement de guérilla, ou les deux, et comment voyez-vous le contexte ?
Zora 1 : Nous faisons partie du mouvement des femmes. Nous combattons pour la libération des femmes. À côté des points communs théoriques, il existe un autre lien entre notre pratique et le mouvement légal des femmes, c’est la radicalisation subjective qui peut encourager d’autres femmes à résister et à se prendre au sérieux, à prendre le combat au sérieux. Il y a un sentiment de force quand tu vois que tu arrives à quelque chose dont tu avais peur auparavant, et quand tu vois que ça apporte quelque chose. C’est cette expérience que nous aimerions aussi partager. Nous ne pensons pas que cela doit forcément se passer de la façon que nous avons choisie. Par exemple, prenons les femmes qui ont interrompu un spectacle de peep show en dessinant des symboles de la femme et en lançant des bombes puantes. Ces actions nous encouragent, nous donnent de la force, et nous espérons que les femmes ressentent la même chose avec nos actions. Notre rêve est que partout existent de petites bandes de femmes ; que dans chaque ville, un violeur, un vendeur de femmes, un mari violent, un éditeur misogyne, un vendeur de pornos, un gynécologue vicelard, s’attende à ce qu’une bande de femmes le retrouve pour l’attaquer et le ridiculiser en public. Par exemple, qu’on écrive sur sa maison, qui il est et ce qu’il a fait, sur sa voiture, à son travail — le pouvoir des femmes partout !
Comment pouvez-vous prendre la responsabilité de l’éventualité de mettre en danger des vies de personnes innocentes dans vos actions ?
Zora 2 : Pourquoi les gens imaginent toujours que les personnes qui manient l’engrais et les explosifs ne font pas attention à ce qui va de soi pour vous-mêmes, pour le mouvement des femmes, ou pour la gauche ? C’est le contraire ! C’est justement à cause de la possibilité de mettre des vies en danger nous sommes obligées d’être particulièrement responsables. Tu sais aussi bien que nous que nous pourrions abandonner si ta question était juste. Ce serait un paradoxe de combattre contre un système pour lequel la vie n’a de valeur que tant qu’elle est rentable, et devenir aussi cyniques et brutales que ce système. Nous avons rejeté de nombreuses actions parce que nous ne pouvions éliminer le risque de mettre en danger des personnes innocentes. Certaines firmes le savent parfaitement bien, c’est pourquoi elles préfèrent emménager dans des bâtiments résidentiels. S’ils emménagent dans des immeubles résidentiels pour protéger leur propriété, ils ont spéculé sur notre morale.
Que dites-vous contre l’argument : les actions armées font du tort au mouvement ? Elles contribuent à ce que le mouvement féministe soit plus surveillé et espionné que jusqu’à présent, qu’il soit traité de mouvement terroriste, ce qui pourrait le diviser et l’isoler de la majorité des femmes.
Zora 1 : Faire du tort au mouvement — tu parles de l’instauration de la répression. Les actions ne font pas de tort au mouvement ! Au contraire, elles doivent et peuvent soutenir directement le mouvement. Par exemple notre attaque contre les marchands de femmes a contribué à exposer leur business à la lumière publique, à ce qu’ils se sentent menacés, et maintenant ils savent qu’ils ont à anticiper la résistance des femmes s’ils continuent. Ces « messieurs » savent qu’ils doivent anticiper la résistance. Nous appelons cela un renforcement du mouvement.
Zora 2 : De tout temps la stratégie de contre-révolution a été de séparer l’aile radicale et de l’isoler par tous les moyens pour affaiblir l’ensemble du mouvement. Dans les années soixante-dix, nous avons expérimenté ce que cela voulait dire quand les secteurs de la gauche ont adopté la propagande d’État, quand ils ont commencé à présenter ceux qui se battent sans compromis comme les responsables de la persécution de l’État, de la destruction et de la répression. Non seulement ils confondent la cause et l’effet, mais ils justifient aussi implicitement la terreur d’État. De là, ils affaiblissent leur propre position. Ils réduisent le cadre de leur protestation et de leur résistance.
Zora 1 : Notre expérience : pour rester incontrôlées et nous protéger des attaques de l’État, une forte unité est nécessaire. Nous ne pouvons plus nous permettre de voir chaque groupe répéter les mêmes erreurs. Il doit y avoir des structures dans lesquelles nous partageons les connaissances et expériences utiles au mouvement.
Comment des femmes qui ne sont ni autonomes ni radicales peuvent-elles comprendre ce que vous voulez ? Les actions armées les effraient et les éloignent.
Zora 2 : Pourquoi ce n’est pas effrayant quand un type vend des femmes et que ça le devient quand sa voiture brûle ? Derrière cela, il y a le fait que la violence sociale légitimée est acceptée alors que des représailles similaires en guise de réponse effraient. C’est possible que ce soit effrayant de remettre des évidences en question, que les femmes, à qui on a bourré la tête depuis qu’elles sont gamines avec l’idée qu’elles sont des victimes, se sentent en danger si elles sont confrontées au fait que les femmes ne sont ni des victimes ni des êtres pacifiques. C’est un défi. Les femmes qui ressentent avec rage leur impuissance peuvent s’identifier à nos actions. Alors que chaque acte de violence contre une femme crée un climat de menaces contre toutes les femmes, nos actions — même si elles ne sont dirigées que contre l’individu responsable — contribuent au développement du sentiment que la résistance est possible !
Juin 1984
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1. Le paragraphe 218 est la loi sur l’avortement. Le communiqué de revendication de cette action mentionne la date au 4 mars 1975.