Zine : read
Lien original : Nantes Indymedia
Suite à l’exécution de Nahel par les flics lors d’un contrôle routier le 27 juin 2023, des révoltes ont embrasé les nuits de la France entière. Ce qu’il s’est passé, les traces que ces quelques nuit sont laissées, sont inoubliables pour chacun-e les ayant vécues. Pour que l’on puisse transmettre ces histoires, ces ressentis, il faut y mettre des mots, faire des récits. C’est grâce à de multiples textes, initiatives,auxquels cette chronologie prétend modestement participer, quel’ont peut arracher au récit du pouvoir ces actes révoltés, et en tirer nos propres bilans dans l’espoir que ça recommence et que la prochaine fois ça aille plus loin dans la remise en cause de ce monde de domination.
Quand il se passe ce que j’ai l’impression d’avoir attendu depuis toujours – pas juste les bras croisés dans une attente passive, mais ce pourquoi je me bouge à peu près quotidiennement dans l’espoir de rencontrer des complices qui partagent ma rage, ce pourquoi je tente de faire des trucs qui pourraient résonner dans le cœur d’inconnu‑es- je me sens partie prenante de la révolte, à la première personne,et j’ai envie d’y porter mes rêves de liberté. C’est pour ça que je suis descendue dans la rue qui grondait sous mes fenêtres, et même si je suis a priori pas la plus représentative des émeutièr-es, j’ai envie de participer à faire vivre ces émeutes et m’en nourrir.
Je n’ai pas la prétention de deviner les pourquois de chacun-e mais de ce que j’ai vu autour de moi et de ce qui ressort de cette chrono (bien que tirée de la presse et forcément pas exhaustive), les actes qui ont été posés me semblent compatibles avec ce qui me met en mouvement. Ça veut pas dire qu’on vit tou-tes la même chose, qu’on subit tou-tes ce monde de la même manière, que tout est homogène dans les vécus qui nous mettent en branle ni dans ce à quoi on aspire. Je ne veux pas tout lisser, nier que des conflits ont aussi existé pendant ces heures libérées des flics et de la normalité marchande, ou parler à la place d’autres, j’ai juste l’espoir qu’en mettant des mots sur ce qui me fait vibrer d’autres émeutier-es ou potentiel-les s’y reconnaissent.
Ça me semble important de continuer à parler de ces émeutes sans se poser en extériorité sous prétexte qu’elles ont été majoritairement portées par des jeunes hommes de cités qui subissent le racisme.Ce qui m’importe ce n’est pas les identités sociales des insurgé-es mais leurs raisons, pas le qui mais le pourquoi. Par exemple qu’on ait ou pas subi personnellement la violence de la police (ce qui arrive malheureusement à plein de gens pour peu qu’on traîne dans la rue et/ou qu’on fasse des trucs illégaux), j’ose penser qu’on se révolte pas seulement contre nos conditions personnelles, mais aussi contre celles que subissent celles et ceux qui nous entourent, même quand nous-mêmes en sommes épargné-es. C’est la seule manière pour moi d’espérer une révolution, car finalement on a à peu près tou-tes un privilège à conserver dans ce monde autoritaire, il y a toujours plus bas que soi sur une des échelles.
Ce qui me saute aux yeux, durant ces quelques nuits destructrices, c’est que dans leur grande majorité les cibles représentent clairement le pouvoir de l’Etat, même celles moins consensuelles qui en sont les cautions humanistes comme les médiathèques, maisons de quartier ou autre salle des fêtes. Et qu’au‑delà de la symbolique, les attaques ont entravé concrètement la normalité de l’exercice de l’autorité et du capitalisme. On a connu le bonheur éphémère de pouvoir se promener dans des rues libérées de la menace des flics, trop occupés à défendre leurs personnes et leurs comicos massivement pris pour cible. Les caméras ont été coupées à plein d’endroits, des quartiers entiers plongés dans le noir, jusqu’à des centres de supervision urbains cramés. Le concept des soldes de cet été n’a pu que donner de l’air à tou-tes celles et ceux, toujours plus nombreux.ses, qui galèrent à boucler les fins de mois, avec nombre de supermarchés en libre service la nuit. Plein de mairies ont été attaquées, et parfois les moyens de nous ficher entravés : états civils détruits, titres d’identité volés… Beaucoup de bus et tramways ont été mis hors d’état de fonctionner,même si finalement lors de ces quelques jours c’est plus le dodo qui a été bouleversé que le métro-boulot. Les vacances d’été ont commencé plus tôt pour certain-es élèves dont les écoles ont été contraintes de fermer ou des bachelier-es dont le centre d’examen a été réduit en fumée. Des metteurs au travail de force ont aussi dû laisser un peu de répit à leurs victimes, comme Pôle emploi, la Missions locale, ou d’autres assos d’insertion qui ont été très ciblées. On a pu imaginer que le slogan «Justice pour Nahel» n’était pas entendu par tou-tes de la même manière, avec une remise en cause plutôt claire de l’institution judiciaire concrètement mise à mal par des attaques de tribunaux, de maisons du droit et de la justice, de services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), de locaux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Jusqu’aux forteresses de la répression elles-mêmes qui ont été prises pour cibles, on parle d’au moins trois prisons visées dont l’attaque mémorable de la maison d’arrêt de Fresnes.
A chaque fois, l’acte a son sens par lui-même et par ses conséquences. Combien de caméras sont encore trois mois plus tard hors d’usage,combien de personnes ont pu esquiver leurs rendez-vous dans des administrations de flicage voire même leurs contrôles judiciaires,combien de flics se sont mis en arrêt, combien de gens ont pu se prendre quelques jours de repos, faute de transport, ou se faire un peu plus plaisir grâce aux marchandises devenues gratuites… ?
De quoi se réjouir donc, mais sans oublier la réaction, rapide,brutale, de l’Etat. Malheureusement on ne peut pas dire que c’est du jamais vu car ça réagit de façon similaire chaque fois que l’ordre des choses est menacé. Mais la violence de la répression qui s’est abattue dans la foulée des émeutes est venue confirmer pourquoi on avait envie de tout détruire en premier lieu. Dans les chambres de comparutions immédiates, la justice a intensifié son travail habituel en envoyant à tour de bras des centaines d’émeutier-es présumé‑es, en extrême majorité pauvres et racisé-es, dans les geôles déjà surpeuplées. Les parents ont été menacés d’être condamné-es pour les enfants. Des couvre-feux ont été instaurés dans plusieurs villes.Dans les rues, des drones et des équipes d’élite telles que le Raid ont été déployées, avec des équipements de ouf genre véhicules blindés ou encore des munitions dites «bean-bags» qui ont plongé une personne dans le coma. Une autre est morte à Marseille tuée par un tir de flash-ball, sans dénombrer toutes celles qui ont été mutilées.Il n’y a même pas eu besoin de mettre en place l’état d’urgence vu que c’est une coquille vide depuis que tout a été passé dans le droit commun en 2016.
Le retour de bâton immédiat est sûrement l’une des explications de comment un mouvement, inédit en france par son intensité et son ampleur géographique, est retombé aussi vite qu’il était monté, nous laissant sur notre faim et se demandant parfois si on n’a pas rêvé tout ça, même si heureusement il reste encore des traces concrètes du passage de la colère : impacts de feu sur les routes, commerces fermés, caméras éteintes,… et nos souvenirs ardents bien-sûr.
Pour tou-tes les Nahel, celles et ceux qui crèvent, à petit feu ou brutalement, aux mains des flics, aux frontières, dans les taules,les CRA, les HP, partout où l’Etat et le capitalisme nous imposent leurs hiérarchies nauséabondes… que vive l’émeute !
[J’ai repris des articles publiés sur le site internet sansnom.noblogs.org tels quels, sauf que j’ai enlevé tout ce qui concernait les appels au calme qui sont venus d’un peu partout. C’est intéressant d’analyser comment, en plus de la répression étatique et du battage médiatique d’extrême-droite, des discours plus de gauche et«compréhensifs» ont tenter d’isoler les révolté-es et de délégitimer la violence. Cependant ce n’est pas le sujet de cette brochure qui propose plutôt un focus sur les actes en eux-mêmes.]