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Déclaration de Miguel en réaction à la décision du tribunal

Depuis la prison de Cuicatlán, Oaxaca

Une nouvelle fois, nous avons pu vérifier de quel bord se situait la loi, de celui de l’ambition, du pouvoir et de l’argent. Le cynisme de la « justice » a soufflé sur les braises rageuses de nos cœurs et nous encourage à continuer la bataille contre le pouvoir. Aujourd’hui, les sentiments se démêlent, mais la raison de la liberté pousse avec plus d’empressement dans ce sac de nœuds. Nous nous débarrassons du goût amer que nous a laissé cette hypocrisie de la part du procureur du tribunal de Huautla de Jiménez, Juan León Montiel, qui répétait à l’envi que le corrompu n’était pas corrompu, et que son travail pendant 18 ans au sein de ce système en était la preuve, maintenant, il n’y a que lui pour affirmer cela. Nous continuerons à aller de l’avant, à reprendre des forces, à embrasser l’essence de la liberté. Nous ne céderons pas avant d’avoir retrouvé l’harmonie dans notre communauté, à Eloxochtilań de Flores Magón, nous ne céderons pas avant d’avoir fait respecter nos formes d’organisation, avant d’avoir démantelé les mensonges qui nous maintiennent prisonniers et persécutés, avant d’avoir fait éclater la vérité. Bien qu’ils essaient de nous faire taire en nous gardant enfermés, nous n’abdiquerons jamais.

Miguel Peralta
Depuis la prison de Cuicatlán, Oaxaca
Avec toute ma rage

______________

07/11/2018

Le 26 octobre, notre compagnon Miguel Peralta a été personnellement informé que le juge Juan León Montiel le considérait pénalement responsable d’avoir commis le délit de tentative d’homicide qualifié, avec circonstances aggravantes, sur la personne d’Eliza Zepeda Lagunas (ex-présidente municipale d’Eloxochitlán et actuellement députée locale de MORENA pour le district 04 de Teotitlán, Oaxaca), ainsi que de son frère Manela Zepeda Lagunas ; prononçant une sentence de 50 années de prison, en plus du paiement en réparation du dommage subi, estimé à cent cinquante mille pesos. Pour cette raison, Miguel a décidé de mettre un terme à sa grève de la faim initiée le 19 octobre dernier, afin de recouvrer des forces et de continuer dans cette deuxième étape de la lutte pour l’obtention de sa liberté.

Le processus pénal initié à l’encontre de Miguel, qui culmine maintenant avec cette sentence, a été parsemé d’irrégularités et d’inconsistances juridiques depuis son début, le tout orchestré et subordonné par la famille Zepeda Lagunas, caciques et répresseurs d’Eloxochitlán.

Sources : Instinto Salvaje  CNA  Sentencia Instinto Salvaje


Entretien de Voices in Movement avec Miguel Peralta Betanzos, prisonnier anarchiste d’Eloxochitlán de Flores Magón, Oaxaca

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Voices in Movement (ViM):

Bonjour, bonsoir à toutes et tous, nous sommes ici avec le compagnon Miguel Peralta, prisonnier politique de Oaxaca au Mexique, nous allons parler un peu avec lui à propos de son procès politique, sur les différentes perspectives des luttes dans l’Etat de Oaxaca et au Mexique ainsi que sur les relations entre les mouvements anarchistes et autochtones et pour finir nous aborderons quelques aspects concernant les relations de solidarité internationale et nous envisagerons les différentes formes possibles de soutien à son procès judiciaire.

Bonjour Miguel, merci d’être avec nous aujourd’hui.

Miguel (M): Salut bonne nuit ou bonjour à toutes et à tous ceux qui nous écoutent

ViM : Bon on va commencer. Est-ce que tu peux nous parler un peu de toi, qui es-tu, d’où tu viens ? Où tu te trouves en ce moment et ce dont tu aurais envie de parler avec les compagnons qui écoutent cet entretien ?

M : Bien, mon nom complet est Miguel Ángel Peralta Betanzos, je suis membre de la communauté d’Eloxochitlán de Flores Magón, qui elle-même fait partie du groupe indigène mazatèque, situé dans le nord-ouest de l’Etat de Oaxaca. Dans la communauté et dans la région mazatèque et nous parlons la langue mazatèque.

J’ai étudié un peu l’anthropologie depuis tout petit j’ai toujours aimé être sympa, avoir des amis, des copains d’autres endroits et de mon village aussi. Connaître le territoire, connaître un peu l’histoire de la communauté, marcher sur les chemins, j’aime la musique, les rythmes différents et… la nourriture, la gastronomie de la communauté et d’autres endroits, j’aime lire, bien sûr, j’aime le sport, jouer au basket, un peu au foot, j’aime nager, aller à la rivière, toucher l’eau, sentir la pluie, marcher sous la pluie, j’aime aussi que mes pieds s’enfoncent dans la boue, depuis tout petit. J’aime bien les fêtes traditionnelles de mon village, la fête du jour des morts, qui est le moment pendant lequel nous pouvons partager le bien commun, le bien commun avec nos compagnons et nos familles sur nos terres. J’aime bien aussi me souvenir des morts, de mes grands-parents, de mes oncles, qui ont été vivants et qui nous ont laissé comme des empreintes dans nos consciences. Je suis membre de l’Assemblée Communautaire qui est le lieu où se déroulent certaines activités collectives comme le tequio *, les corvées communautaires qui font partie du travail ou du soutien mutuel qui existe au quotidien dans la communauté. Nous avons participé à différentes luttes à l’intérieur de la communauté mais également à l’extérieur comme en 2006 lors des révoltes de Oaxaca.

*Au Mexique on appelle tequio la charge ou le travail collectif non rémunéré que tout habitant d’un village doit à sa communauté. C’est un us indigène que l’on retrouve ailleurs avec des nuances et force diverses mais qui est toujours enraciné dans différentes régions du pays.

ViM :Est-ce que tu peux nous parler des antécédents de certaines luttes de ton village ?

M : Pendant l’apogée du café, c’est à dire dans les années 70, 80, 90 l’importance du pouvoir du cacique s’est renforcée, c’est à dire la place, la figure du cacique était celle qui s’imposait par son pouvoir et son argent et qui avait des gens armés. On décidait ou plutôt il décidait du sort de la communauté, c’est lui qui distribuait les mandats collectifs ou les mandats municipaux. Grâce à des enseignants démocratiques et des paysans conscients, une lutte contre le caciquisme a débuté durant ces années et en 96, le congrès des peuples indigènes a eu lieu dans la communauté de Eloxochitlán. Les thèmes abordés ont été ceux de l’identité et de l’autonomie. C’est juste le moment où en 94 surgit la lutte zapatiste et en 96 se met sur pied ce Congrès dans la communauté de Eloxochitlán. Plusieurs villages des alentours assistent à ce Congrès pour partager leurs expériences de lutte. En 97, pendant l’année 97, tout un cycle d’activités se mène pendant lequel commence une marche-manifestation jusqu’à la ville de Mexico qui dure à peu près cinq jours à laquelle participe, je ne sais pas moi, environ 400 personnes. Cette marche commémorait le premier anniversaire de l’assassinat de Ricardo Florès Magon dans une prison aux États-Unis. A débuté ce que l’on a appelé l’année du citoyen Ricardo Florès Magon : pendant toute cette année on a mis en place différentes activités sur le genre, le féminisme, la paramilitarisation, sur l’auto-défense bien sûr. Il y a eu des concerts rock, punk dans la communauté et on a aussi joué de la musique traditionnelle mazatèque. Il y a eu aussi des ateliers de médecine traditionnelle, des projections de films, des ateliers aussi sur la terre, sur les cultures, les OGM. Ça c’était en 1997, plus tard en 2001, on a installé une radio communautaire qui a servi de pont dans la lutte pour l’autodétermination, en plus un fanzine a été créé qui s’appelait La Voix de N’guixó, et tout ça servait à conscientiser sur la défense des ressources naturelles et en même temps à la lutte contre les partis politiques. Ensuite s’est créé le Conseil que l’on a appelé le Conseil Indigène et en gros je crois que ce sont les moments qui ont précédé la lutte qui a commencé et que nous avons menée contre les partis politiques et aussi pour la défense du territoire.

ViM : Avant de continuer, est-ce que tu pourrais expliquer un peu mieux la politique des peuples de Oaxaca et en particulier le système des us et coutumes ?

M : Dans l’État de Oaxaca il existe environ 500 communes, la majorité sont indigènes et se répartissent en huit régions. Cet aspect est très caractéristique de l’État de Oaxaca. Dans la majorité on y parle une langue indigène et depuis bien longtemps elles sont régies par le système des us et coutumes. Plus de 50 % des communes sont régies par ce système qui, depuis cinq ans à peu près, est maintenant dénommé « système de normes internes », ce qui devrait supposer que les communautés ont leur propre autonomie, choisissent leurs autorités municipales et les titulaires des autres mandats. Mais dans l’État de Oaxaca, l’État s’ingère en fin de compte dans les affaires de cette manière : si les communautés régies par le système d’us et coutumes se mettent d’accord à travers des assemblées pour élire leurs autorités, elles doivent quand même envoyer les documents au bureau du Système des Normes internes qui les valide. Alors que ce qui importe, c’est bien la parole des représentants élaborée dans l’assemblée communautaire.

ViM : Bien maintenant avançons avec le panorama historique de la lutte et l’organisation dans ton village.

: Depuis les années 2000, notre communauté est supposée être régie par le système des us et coutumes étant donné qu’il n’y a plus de partis politiques. Après 2006 et la lutte à Oaxaca, il y a eu une tendance dans la communauté à réintroduire les partis politiques, mais cette fois-ci sans scrupule ni sans même se planquer comme on dit par ici, et ils ont commencé avec le PRI parce qu’en vérité ils avaient regroupé pas mal de monde , le PAN, le PRD on n’en parle même pas. Mais il y a eu aussi d’autres partis qui sont apparus comme Convergencia je crois ; ça c’était de 2009 à 2011 environ et en 2011 pour les élections elles se déroulent comme si c’étaient des élections avec des partis politiques. Un gars qui s’appelle Manuel Zepeda Cortés commence sa campagne électorale, une chose qui ne s’était jamais vue auparavant dans notre communauté, ce truc qu’une personne puisse faire du prosélytisme et qu’en plus elle puisse donner de l’argent pour qu’on vote pour elle, parce que dans la communauté on appelle aux élections en soufflant dans un coquillage, on se met d’accord sur la date et les personnes se rassemblent au centre du village sur la place pour choisir les autorités traditionnelles.

Cette fois-ci ça n’a pas été le cas, la communauté s’est divisée en deux groupes, et l’un d’entre eux a apporté ses tee-shirt oranges et les a distribués à ceux de son groupe en guises d’uniforme. C’est là que commence cette tendance des partis politiques et de la lutte contre ces partis politiques mais là de manière plus directe, plus frontale, parce qu’on ne permet pas que cette personne arrive et ouvre le palais municipal, on lui ferme le palais municipal et ce qu’il fait c’est aller chercher la police d’état, de fait arrive aussi l’armée dans notre communauté en février 2011 au prétexte qu’ils cherchent des armes et de la drogue, mais nous savions d’avance qu’ils faisaient ça pour ouvrir le palais municipal à cette personne. Et ainsi tout au long du mandat de trois ans il y a des affrontements. En fait ces trois années de gouvernement de cette personne sont illégales car le Tribunal a contesté ces élections car la communauté n’était pas d’accord pour que cette personne gouverne et de plus il l’a fait de manière dictatoriale parce qu’il a utilisé les moyens policiers, la répression sous toutes ces formes, et pendant ce temps il a commencé à terroriser les personnes dans la communauté en faisant venir des personnes armées, de fait il a créé un groupe paramilitaire pour attaquer les personnes qui n’étaient pas d’accord avec lui.

Une autre chose qu’a fait cette personne c’est d’exproprier l’eau pour ses étangs et acheter des terrains pour en extraire des pierres et du sable. Comme cette personne possédait un broyeur il se chargeait de vendre ces matériaux à des entreprises du bâtiment spécialisées dans la construction de bâtiments et de routes ; et il y a eu beaucoup de gens qui n’étaient pas d’accord avec ces faits car ils étaient en train de prendre beaucoup d’eau ; mais il avait déjà envisagé cela et il avait le groupe paramilitaire et la police de l’état de son côté déjà sur place auxquels il faisait appel chaque fois qu’il se passait quelque chose.

Ensuite en 2012, ils arrêtent le compagnon Pedro Peralta et le torturent, ils l’enferment aussi pendant trois ans dans la prison de Cuicatlán et commence alors une lutte pour la libération des prisonniers politiques. C’est aussi à cette époque qu’ils jettent en prison le compagnon Jaime Betanzos ainsi que le compagnon Alfredo Bolaños. Ensuite commence cette lutte contre les partis politiques et l’unification des gens de la communauté. En 2014, on revient à des élections plus collectives et d’une façon plus traditionnelle où les groupes ont pu se mettre d’accord et choisir leurs autorités. Mais cela n’a pas duré longtemps, environ 8 mois, et ensuite ont recommencé les attaques des autorités communautaires parce que pendant les 3 années passées durant lesquels ce monsieur a gouverné il l’a fait d’une manière dictatoriale, il a volé il y a eu des enrichissements illégaux, il a volé tout l’argent de la communauté, il a commencé à se construire d’autres choses, s’acheter des terrains, des voitures et bien d’autres choses, des comptes à l’étranger et toutes ces choses que vous connaissez bien ; et la cour suprême de l’état chargée de l’administration de l’argent des villages a demandé au président municipal qui à l’époque était Alfredo Bolaños, en 2014 qu’il auditionne Manuel Zepeda afin que celui-ci justifie des 21 millions qu’il restait encore à vérifier, ce qui a entraîné le conflit dans lequel nous sommes actuellement, qui en 2014 vira à l’affrontement sous prétexte de ne pas rendre de comptes, il s’empare du palais municipal et commence à utiliser la violence ; le peuple s’est alors organisé pour défendre ses droits collectifs et c’est pour cela que nous sommes aujourd’hui emprisonnés.

Le 17 novembre 2015 (2014), après avoir été convoqué par la Cour Suprême de l’état, Manuel Zepeda Cortés n’est pas satisfait et avec environ 80 personnes aux alentours de midi ils s’emparent du Palais municipal et séquestrent les autorités communautaires, ils les séquestrent pendant environ 8 heures ; la population commence à s’organiser pour aller libérer les personnes enfermées dans le palais municipal, ils les avaient tabassés, ils étaient en train de les frapper et ils ont fait signer au président municipal un document dans lequel il renonçait à son mandat, chose impossible à faire puisque la communauté l’avait élu, à moins que ce document ne soit émis par le Congrès de Oaxaca. A la suite de ces événements un climat d’hostilité, de violence auquel on s’attendait, s’est installé dans la communauté car le groupe de ce monsieur patrouillait sans cesse armé dans la communauté en terrorisant les gens.

Le 14 décembre on convoque une assemblée dans la communauté d’ Eloxochitlán pour choisir le représentant communautaire, c’est le maire, c’est celui qui est chargé de déterminer le territoire, c’est un adulte qui connaît les terres de la communauté, c’est lui qui sait comment peuvent se faire les ventes de terre ou si quelqu’un veut céder sa terre à une autre personne, c’est aussi lui qui est chargé de surveiller les espaces communs du village et le territoire. Ce jour-là l’assemblée se rassemble au centre et là commence l’affrontement parce que Manuel Zepeda Cortés a lui aussi convoqué à cette assemblée, mais il a convoqué pour agresser, pour commencer l’agression contre les compagnons de l’assemblée communautaire ; moi ce jour-là j’étais à Mexico car j’avais comme mission d’aller acheter les jouets pour les offrir aux enfants pour le 6 janvier 2015, on était en 2014, et j’apprends qu’il y eu des affrontements d’abord vers 11 h du matin, alors que les compagnons font une petite marche pour aller à l’assemblée et là quand ils arrivent dans le centre, là où doit se tenir l’assemblée, ils sont reçus par des tirs de fusil.

Commence alors l’affrontement et il y a des blessés par balles. Puis il y a dans un deuxième temps, dans la maison de Zepeda où la personne Manuel Zepeda Lagunas, qui est le fils, est détenue sous escorte avec fusil et emmenée pour être remise aux autorités de Huautla, car c’est là que se trouve le Ministère Public, l’autorité municipale. Les représentants communautaires l’emmènent là-bas et le remettent à la police de l’état. C’est après ça qu’il y a un autre affrontement car le climat est tendu dans la communauté parce qu’on ne sait pas exactement ce qui s’est passé après la remise du prisonnier à Huautla. D’autres compagnons vont aussi pour amener les blessés à l’hôpital, certains sont blessés au cou, d’autres à la tête ou aux mains. Ils les amènent à l’hôpital pour qu’on les soigne, mais à partir de 8 h du soir on commence à venir les arrêter, entre autres ils arrêtent Alfredo Bolaños Pacheco qui assumait la fonction de président municipal, ainsi que les policiers municipaux qui avaient accompagné le prisonnier et qui l’avaient remis aux autorités du Ministère Public de Huautla.

Ensuite ils arrêtent également Jaime Betanzos alors qu’il s’apprêtait à partir pour attendre le transport et revenir à la communauté. Il est arrêté par des policiers ministériels au carrefour qui se trouve à Hauautla près de la Banque Azteca et ils l’emmènent à Oaxaca. Ils emmènent aussi les 7 autres compagnons ensemble en les accusant d’homicide volontaire sur la personne de Manuel Zepeda Lagunas alors que le prisonnier avait été remis vivant aux autorités. A partir de ce moment la chasse aux sorcières est lancée contre les membres de l’assemblée ; de nombreuses personnes sont déplacées de force de la communauté, de nombreuses autres personnes quittent la communauté par peur de la répression. De fait la police d’état envoie un détachement, la police fédérale arrive aussi et on ne respire plus que la peur.

A partir de ce moment l’assemblée commence à se diviser, se désagréger et puis la lutte pour les prisonniers a été très différente, très vague disons, très divisée à cause de la peur qui a été semée à travers les moyens de communication, à travers la police et la répression aussi et puis l’apathie gagnait et les déplacements de population, car de nombreuses familles se sont déplacées vers d’autres communautés, d’autres villes. Des familles entières ont dû se déplacer et pour cette raison il a été difficile de recommencer à s’organiser parce que beaucoup vivent dans la peur, car la seule chose que l’on nous dit c’est que ceux qui vont s’organiser vont finir en prison et c’est là le nœud du problème. La peur part de là, on te parle de la prison et tu as peur d’y aller, en prison ; c’est toujours un peu compliqué d’avoir quelqu’un de ta famille en prison, car ce sont des frais, enfin pour de nombreuses raisons, en fin de compte ça a été difficile de se réorganiser. De nombreux compagnons parfois recherchent cette question de l’harmonie et la communauté aussi, la communauté de leur famille mais il n’essaient pas de partager ce qui est communautaire, ce qui concerne la lutte.

C’est ce qui s’est passé dans notre communauté : on a semé la peur, beaucoup de peur, par les moyens de communication et par la répression et ça a été déterminant dans le fait que nous ne puissions plus avancer dans notre lutte pour la libération des compagnons qui sommes prisonniers et aussi pour l’autodétermination de notre peuple. Recommencer à s’organiser contre cette imposition qu’il y a et qui continue, qui sème la peur à travers des personnes qui se font passer pour des défenseurs des droits humains et qui demandent des mesures de protection et que le gouvernement leur donne cette protection pour continuer à gouverner par la répression, c’est là où nous en sommes pour l’instant. Nous sommes en train d’essayer de nous réorganiser au moins pour pouvoir sortir libres grâce aux différentes formes de lutte que nous avons à l’intérieur de la prison, que ce soit à partir du travail que nous faisons, les jeûnes, les grèves de la faim que nous menons depuis notre enfermement-isolement.

ViM : Est-ce que tu veux bien nous raconter des détails de ton arrestation ?

: Et bien .. moi on m’arrête le 30 avril 2015 dans la ville de México, alors que j’étais en train de travailler dans le quartier de Tepito. Des personnes habillées en civil sont rentrées dans le local où je travaillais avec mon frère. Elles ne se sont jamais identifiées, elles ont commencé à nous agresser, elles n’avaient aucun mandat d’arrestation et nous avons résisté un moment à l’arrestation. De plus en plus de policiers ont commencé à arriver, ils nous ont sortis avec les pistolets pointés sur nous et avec des gaz lacrymogènes. Ils m’ont emmené au bureau du Procureur (de la ville de México) dans une voiture particulière, puis ensuite ils m’ont fait une visite médicale, ils m’ont présenté devant un média et ils ont pris plusieurs photos assez générales. Puis ils m’ont remis à la Police Ministérielle de l’état de Oaxaca et ces policiers m’ont transféré dans une prison qui s’appelle «  Tlaxiaco » qui se trouve dans la mixtèque Oaxaqueña, située à environ 400 à 500 km de ma communauté. Voilà le panorama de ma détention.

ViM : Où te trouves-tu là, en ce moment ?

M : Maintenant ! A Tlaxiaco, j’y suis resté seulement un mois car avec mes avocats on a obtenu mon transfert dans un pénitencier plus proche de ma communauté, c’est un droit. En ce moment, je suis dans un endroit qui s’appelle de San Juan Bautista Cuicatlan, situé dans la cañada Oaxaqueña à environ 4 heures de ma communauté. C’est là que je me trouve en ce moment. Cela fait 2 ans et 8 mois que je suis enfermé ici.

ViM :Et ta situation judiciaire à quel point est-elle ?

M : Pour tout dire on fait face à un procès irrégulier, le procès n’a pas été mené conformément au droit, car c’est une position politique comme l’est d’ailleurs tout le cas. De fait en ce moment nous sommes 7 compagnons de ma communauté à être emprisonnés, certains sont au pénitencier de Ixcotel (centre de Oaxaca), un autre se trouve au pénitencier de Etla et moi je suis ici à Cuicatlan. A chaque fois les audiences ont été reportées par exemple lorsque nous avons demandé les interrogatoires des offensés et de ceux qui nous avaient désignés, ils ont mis beaucoup de temps avant de se présenter. De fait, il manque encore deux personnes qui doivent déposer. Bien que cela fasse deux ans que nous les avons citées. Seuls les policiers de l’état et les ministériels (parce que pour eux c’est obligatoire) sont venus. Nous avons dû insisté énormément pour qu’ils finissent par remettre leur rapport informatif. Par exemple, dans un recours que j’ai déposé, cela fait plus de deux ans et c’est seulement en décembre qu’ils ont émis la résolution rejetant mon recours. Le problème avec le Tribunal Mixte de Huautla, c’est qu’ils s’en foutent, ils ne rendent pas une justice impartiale (ceux du tribunal), ils reçoivent de l’argent. Dans notre cas, les juges ont été changés de nombreuses fois au cours du procès, et ils ne prennent pas en compte nos demandes qui sont des question de droit des questions légales, et moi je pense que s’il y avait une justice impartiale rendue nous devrions être libres, parce qu’il n’y a aucun élément direct dans la conduite du crime supposé que nous aurions commis ou du délit dont on nous accuse.

ViM : Bon, Miguel, tu nous a parlé de la lutte de ton peuple et de ton cas judiciaire mais pour les personnes de l’extérieur est-ce que tu pourrais nous donner un panorama plus ample des luttes sociales un peu partout au Mexique, où vois-tu des luttes sociales qui t’inspirent, et quels sont, selon toi, les besoins dans cette diversité de luttes au Mexique… et une chose qui m’intéresse, toi tu appartiens au peuple autochtone Mazatèque de Oaxaca, mais tu es aussi influencé par les idées et des pratiques libertaires et anarchistes, est-ce que tu pourrais nous expliquer comment tu vois cette relation entre les mouvements et les courants de luttes anarchistes et les mouvements et luttes des peuples autochtones ?

M : Moi je pense que la lutte, les luttes au Mexique sont très diverses, il existe une infinité de mouvements de défense aussi bien urbains qui luttent pour s’organiser et s’approprier des territoires, des espaces publics comme les assemblées de quartier dans la ville de México, par exemple maintenant, après le tremblement de terre, il y a beaucoup de gens qui se ré-organisent pour avoir un toit ou lutter contre les mégas-projets et je ne te dis pas dans les campagnes, dans le mouvement indigène en tant que tel et dans les mouvements qui sont en dehors des villes, qui sont aussi en train de lutter contre le même monstre qui est le capitalisme et contre les mégas projets.. La question minière par exemple englobe tout, depuis les ressources naturelles, l’eau de façon centrale et jusqu’aux plantes médicinales que certaines entreprises étrangères (japonaises, yankees, canadiennes, espagnoles et françaises) essaient de monopoliser ou de breveter pour les commercialiser et vendre les médicaments pour nous rendre dépendants de leur médecine et les consommer alors que nous savons très bien qu’il existe des médecines traditionnelles dans les villages. Il y a des luttes pour le territoire, pour l’auto-détermination, pour l’autonomie et de fait il existe de grandes différences à l’intérieur du mouvement indigène, parce que certains sont plus centrés sur la question du non aux partis politiques, d’autres sont plus sur la lutte pour la défense du territoire sans être totalement conscients que les partis politiques sont présents et d’autres pour la lutte pour l’autonomie en tant que telle sans rien vouloir à faire avec l’état.

Alors sur certaines questions, par exemple tu me demandais quelles relations il y avait entre le mouvement indigène et les mouvements libertaires et anarchistes, je pense qu’ils partagent des principes de base à l’intérieur de la pensée anarchiste et certains penseurs libertaires ont influencé aussi les luttes des peuples, comme par exemple, l’autogestion, la défense du territoire, l’autonomie, l’expropriation aussi de leurs ressources et de leurs espaces, l’autodétermination et toutes ces luttes se conjuguent contre le même monstre, le capitalisme depuis ses débuts. Il y a aussi des fractures à l’intérieur des luttes, il y a une fracture très forte qui concerne la question électorale au Mexique, il y a des mouvements ou au moins une partie du mouvement indigène qui marche vers la question électorale, ce qu’ils ont appelé le « bon gouvernement » et une autre partie du mouvement indigène qui n’est pas sur ces positions, qui reste attaché à la question de l’autonomie sans aucun enjeu électoral ni avec la prise du pouvoir national, enfin chacun mène sa lutte depuis son lieu et ses espaces, je crois qu’il existe certains mouvements, certaines communautés qui ont leur propre forme de défense communautaire, je pense que c’est ce qui peut avoir une certaine relation avec le mouvement libertaire et que cela part de la lutte de l’être lui même, de la communauté ou des individus, par exemple il y a des communautés qui luttent non seulement contre les mégas-projets, certaines luttent contre l’identité en soi, d’autres pour l’identité d’eux-mêmes, pour la langue, pour le maïs, pour leur cosmovision, la tenue vestimentaire, et aussi les aliments, contre les OGM, et je crois que tout ça fait partie du mouvement indigène et aussi du mouvement libertaire, que tous nous essayons de lutter pour être nous-mêmes, pour être libres. En fin de compte les deux cherchent un bien commun, qu’on exige l’autogestion dans les communautés et aussi dans les mouvements libertaires.

Tout au long du territoire, de la géographie que nous avons, il existe des mouvements qui nous inspirent comme celui de Oaxaca par exemple, les Ikoots d’Alvaro Obregon qui luttent contre les éoliennes, les nahualts de Ostula qui luttent pour leur autodétermination, à Cheran il y a aussi des compagnons qui luttent pour l’autonomie, les Yaquis dans l’état de Sonora qui luttent pour la défense de leur territoire et aussi pour la défense du fleuve Yaqui, il y a les compagnons de Xanica dans la sierra de Oaxaca qui luttent pour la défense de leur territoires, de leur système communautaire et de son système d’organisation, et puis il y a les compagnons mapuche qui ont une longue tradition de lutte pour la défense du territoire, la défense de l’autonomie, de l’autodétermination, de leur identité mapuche ancestrale et je pense que pour toutes ces luttes il faut respecter les propres formes d’organisation et à la fin nous pourrons nous rendre compte qu’il y a une harmonie entre toutes ces luttes et que dans les luttes indigènes tout est harmonie parce que justement ‘il y a aussi des conflits, il y a de nombreuses questions qui se jouent aussi à l’intérieur des mouvements comme la question du machisme, la question culturelle…
Il y a aussi des compagnons totonaques et nahuas dans la sierra nord de Puebla qui sont en train de lutter contre les grandes entreprises minières chinoises, canadiennes qui détournent l’eau, pillent les matières premières de ces régions et de leurs peuples et puis il y a aussi la tradition de la médecine naturelle traditionnelle et pour un marché juste où ils puissent commercer les produits qu’eux-mêmes produisent, ce sont ces luttes qui nous inspirent en ce moment.

ViM : Pour les compagnons qui nous écoutent en ce moment, comment ils peuvent ou comment nous pouvons soutenir la procédure judiciaire que tu vis et que vivent les compagnons prisonniers d’Eloxochitlán de Flores Magón et pour terminer est-ce que tu pourrais aborder ce que signifie pour toi la solidarité internationale et comment on pourrait cultiver cette solidarité.

: La question de la solidarité internationale me paraît très importante, bien entendu si elle est réciproque entre les compagnons au moins à travers des courriers, des appels téléphoniques…parce qu’en réalité la solidarité internationale n’est pas une lutte locale ni pour un territoire mais une question bien plus vaste, une lutte bien plus large que nous ne pouvons réduire à un seul lieu mais qui s’étend à travers le monde entier et touche tous les individus, c’est quelque chose qui brise les frontières et les murs. Je pense que la solidarité internationale est aussi importante parce qu’à travers ses formes de mobilisation elle exerce une certaine pression dans les espaces et dans les pays où on lutte et où on nous soutient.

Par exemple, pour nous qui sommes enfermés dans une prison, s’ils passent un coup de fil au tribunal, s’ils envoient des lettres… cela exerce une pression et alors nous entrons dans une autre dimension de la lutte et se posent alors des questions importantes qui vont de l’accompagnement des prisonniers, de la camaraderie et peu à peu se crée une certaine amitié entre les compagnons, parce qu’ils échangent des courriers, des coups de téléphone et on peut s’écouter à travers les différents moyens de communication que nous avons et puis dans notre cas moi je trouve que cet aspect aussi est important car vous pouvez diffuser nos cas dans d’autres endroits et porter nos voix et nos petites luttes dans d’autres lieux, dans d’autres points du monde. Et un autre aspect serait de nous aider à commercialiser nos produits, parce que par exemple moi je me consacre à faire des hamacs et des sacs et une partie pourrait servir à nous soutenir économiquement pour la question judiciaire mais aussi pour que nos familles puissent venir nous voir, qu’elles nous apportent des aliments en prison parce qu’il y a certains produits qui sont difficiles à obtenir et qu’il faut apporter de l’extérieur, c’est pour ça que cela me semble important le suivi international ou la solidarité avec les compagnons que nous ne connaissons pas mais avec qui nous avons des choses en commun qui nous attirent et nous appellent à être ensemble dans ces luttes.

Une autre chose qui me semble importante à signaler concernant la solidarité internationale c’est qu’elle s’adresse à des compagnons prisonniers dans d’autres lieux, d’autres parties du monde qui suivent notre situation durant notre enfermement en leur demandant de nous soutenir que ce soit en écrivant des lettres, en téléphonant ou s’il y a un moment de répression me demander leur appui pour que moi aussi je sois attentif face à ces situations qui ont lieu tout au long des procédures et durant la lutte que nous menons depuis notre isolement.

ViM : Il y a quelque chose d’autre que tu as envie de partager avec les compagnons qui sont en train d’écouter cet entretien ?

: Et bien remercier les compagnons qui nous écoutent et qui font partie de cette lutte et qui sont aussi solidaires avec les compagnons qui sont prisonniers dans le monde ou avec les luttes libertaires, les luttes des peuples qui luttent pour l’autodétermination, pour être libres, pour que nous soyons tous égaux et je voudrais aussi remercier les avocats de « Los Otros Abogados » qui sont les compagnons qui s’occupent de mon cas et qui ont mis leur efforts et leur solidarité pour pouvoir avancer dans cette procédure et pour pouvoir nous libérer de ce joug que sont la justice et l’injustice et pouvoir marcher vers la liberté, avec l’effort de ces compagnons nous avons avancé lentement mais petit à petit nous avons ouvert une brèche grâce à leur solidarité, à leurs efforts, à leur travail surtout, enfin nous sommes en dette entre nous. D’autre part, vous demander de nous aider pour notre petite lutte, comme je vous le commentais nous avons ces formes d’organisation et de lutte du fond de notre enfermement, nous avons des produits à commercialiser que vous pouvez acquérir pour nous aider, comme je vous le disais par exemple moi avec les hamacs et les sacs que je fais ici pour passer le temps, pour ne pas m’ennuyer mais aussi pour nous financer avec un peu d’argent pour les dépenses immédiates comme la question de la défense, des avocats pour gérer la documentation, pour que la famille vienne nous voir, pour l’alimentation ainsi que les besoins basiques pour ceux qui sont à l’isolement et depuis ici je vous embrasse fort et je vous souhaite beaucoup de succès dans vos luttes, beaucoup de courage et…à bas tous les murs de toutes les prisons !

Traductions et corrections : Amparo, Juliette, Val et Les trois passants

Entrevista (Interview with Mexican Anarchist Political Prisoner Miguel Peralta Betanzos)

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Miguel Ángel Peralta Betanzos est un jeune indigène mazatèque, anarchiste et membre de l’Assemblée Communautaire d’Eloxochitlán de Flores Magón, Oaxaca. Le jeudi 30 avril 2015, vers 5 heures et demi de l’après-midi, Miguel Ángel Peralta Betanzos, a été arrêté au centre-ville de Mexico. Plus d’infos

[Oaxaca] La lutte pour l’autonomie à Eloxochitlán de Flores Magón (deuxième partie)