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Lien original : Paris Luttes Info
Entretien (par une organisation états-unienne) avec le mouvement anarchiste palestinien FAUDA, principalement localisé en Cisjordanie, afin d’obtenir leur perspective sur la lutte actuelle pour la Palestine et d’en apprendre plus sur leur groupe.
Entretien avec Fauda Palestine réalisé par BRRN (Black Rose / Rosa Negra) le 17/10/23 en anglais, on peut les retrouver sur Telegram ou leur envoyer de l’argent via TRX (à l’adresse TY4bQY6xb9WSDgXFkv1dxomwoGtJHFgiib).
Black Rose / Rosa Negra (BRRN, organisation anarchiste états-unienne), a contacté Fauda, un petit groupe localisé en Cisjordanie qui se décrit comme une organisation anarchiste palestinienne, afin d’obtenir leur perspective sur la lutte actuelle. Nous espérons que cet entretien permettra d’aider à créer davantage de liens entre les révolutionnaires aux États-Unis et la jeunesse militante en Palestine, et davantage de connaissance et compréhension mutuelles.
1. BRRN : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre groupe – quelles sont vos activités, et qu’est-ce qui rend Fauda différent d’autres organisations politiques palestiniennes telles que le FDLP, FPLP, Hamas, Fatah, etc. ?
1. Notre groupe est connu comme le « Mouvement Fauda en Palestine » et est composé de jeunes activistes et universitaires de l’intérieur et de l’extérieur de la Palestine.
Notre but est d’unir toutes les forces avec des idées politiques et intellectuelles variées, et de les concentrer sur la lutte contre l’occupation injuste et la pensée sioniste raciste en Palestine. C’est pourquoi nous avons de bonnes relations avec des jeunes de confession juive, des converti·es, des musulman·es, des chrétien·nes, et d’autres.
Le fait est que de nombreux·ses palestinien·nes s’opposent aux actes racistes et injustes de l’occupation sioniste, mais ne trouvent pas d’axe unique autour duquel iels pourraient s’unir. C’est pourquoi on observe souvent qu’au lieu de se concentrer sur la lutte contre le racisme et le régime d’apartheid sioniste, iels s’attaquent les un·es les autres.
On joue ici le rôle de médiation entre les différents partis pour rassembler toutes les possibilités et capacités des palestinien·nes à combattre le régime d’apartheid.
Nous avons mené différentes actions, comme apprendre à des jeunes palestinien·es comment lutter et les méthodes de lutte et de pensée anarchiste (Groupe d’Éducation). Coordonner des veillées et des manifestations, certaines pacifiques et d’autres prenant la forme d’un black bloc (Groupe Exécutif). Publier des actualités et tout ce qui est lié à la Palestine et au peuple palestinien, et sur les agissements de l’armée et des systèmes de sécurités israéliens. Par exemple, sur la suppression des libertés individuelles et sociales, la démolition des maisons palestiniennes, le meurtre d’enfants, les massacres et le génocide contre le peuple palestinien, etc (Groupe d’Information). La dissémination d’informations importantes sur l’histoire de la Palestine, l’histoire du conflit palestinien et israélien, et les nouveaux obstacles intellectuels que les nouvelles générations rencontrent, car nous subissons une guerre médiatique féroce qui déforme les faits et les tournent en faveur d’Israël. Comme vous le savez, Israël a des chaînes qui diffusent des informations en arabe en continu afin de déformer des faits historiques et de propager son récit mensonger du passé et de ce qui se passe actuellement (Groupe Médiatique).
Voici un bref aperçu du Mouvement Fauda en Palestine.
2. BRRN : Que voulez-vous que les compagnon·nes aux États-Unis sachent à propos de la situation actuelle en Palestine ?
2. Par rapport à cette question, j’aimerais dire à tous nos frères autour du monde, pas seulement aux États-Unis, de ne jamais faire confiance aux médias mondiaux, qui ont toujours déformé les faits pour les tourner en faveur du colonialisme dans le monde entier et de l’occupation sioniste.
Ici, en Palestine, nous souffrons. Nous souffrons que l’on nous dérobe le minimum requis pour vivre. J’aimerais que vous sachiez qu’il n’y a pas un seul jour – je vous assure, littéralement pas un seul – sans que l’armée israélienne n’arrête un·e jeune palestinien·ne marchant dans la rue.
Les territoires palestiniens en Cisjordanie souffrent tout le temps de coupures d’électricité et d’eau, à une fréquence quasi quotidienne. Depuis des années, l’armée israélienne cherche à déplacer par la force des territoires palestiniens afin d’en prendre le contrôle et d’y construire de nouvelles colonies. Dans le passé, l’armée employait des méthodes purement violentes et répressives pour vider ces territoires et déplacer les palestinien·nes de leur terre mais, récemment, on observe la pratique de méthodes plus douces pour parvenir aux mêmes fins, c’est-à-dire des déplacements forcés. Cette méthode douce consiste à couper l’électricité et l’eau pour une longue période, à ne pas collecter les déchets afin qu’une puanteur empeste dans ces zones, de mener des exercices militaires complets proches de ces zones after de nuire aux populations palestiniennes dans celles-ci, et d’autres actions inhumaines que mène l’occupation sioniste. Ceci est seulement une part infime de ce qui se passe toute l’année ici en Palestine, notamment en Cisjordanie.
Actuellement, au milieu de cette guerre violente, les forces de sécurité israéliennes ont arrêté un grand nombre de civils en Cisjordanie sans aucune accusation précise, par peur d’un déclenchement de nouveaux affrontements en Cisjordanie. Imaginez que vous soyez assis·e à la maison avec votre famille et, soudainement, des soldats israéliens entrent, pointent des armes à feu sur vous et votre famille, puis vous arrêtent sans que vous n’ayez commis aucun crime. C’est exactement la situation que l’on vit ici. J’aimerais que cela se limite à seulement des arrestations. Dans de nombreux cas, ces arrestations mènent à une violente torture en prison, et même à la mort comme résultat de ces pratiques systématiques.
J’aimerais que vous sachiez autre chose : l’Autorité Palestinienne et son président Mahmoud Abbas ne nous représente pas du tout, nous le peuple palestinien. Nous rejetons l’autorité et nous rejetons Abbas et tous ses ministres. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de l’accord de coordination en terme de sécurité entre l’occupation sioniste et l’Autorité Palestinienne. Il y a plusieurs années, l’Autorité Palestinienne a signé un accord selon lequel elle servirait l’entité occupante en termes de sécurité. C’est-à-dire que pour tous·tes les jeunes activistes palestinien·nes – combattant l’occupation sioniste d’une façon ou d’autre autre – que l’occupation ne peut pas arrêter, l’Autorité Palestinienne va les poursuivre, les arrêter et les livrer à l’occupation, puis plus personne ne sait ce qui arrivera à ce jeune. Elle ne nous représente ni nous, ni aucun·e palestinien·ne. Elle est complètement rejetée dans les rues palestiniennes mais, malheureusement, elle est officiellement et internationalement reconnue par les Nations Unies et soutenue par les États-Unis d’Amérique.
3. BRRN : Comment s’est passée cette semaine, pour vous, personnellement ?
3. Il n’est pas question d’une semaine ou de deux, mon frère. Nous vivons dans un état d’oppression et de privation des libertés individuelles et sociales toute l’année. Oui, il y a eu beaucoup plus de tragédies et de mauvaises nouvelles cette semaine que les mois précédents. Nous avons appris la mort de beaucoup de nos propres et ami·es à travers les territoires palestiniens. C’est très douloureux. Nous avons beaucoup d’ami·es en Cisjordanie et à Gaza. La population palestinienne de Gaza vit désormais dans une situation extrêmement dangereuse. Depuis plus de trois ou quatre jours, les forces d’occupation israéliennes ont coupé l’électricité et l’eau dans la bande de Gaza. Quand l’électricité est coupée, beaucoup de services sociaux s’arrêtent, notamment les hôpitaux. Les bombardements se poursuivent en continu sur les personnes vivant à Gaza. Ils bombardent cette petite zone même au milieu de la nuit. Israël maintient un blocus total dessus. Les gens ne peuvent même pas leur échapper. L’occupation empêche toute aide humanitaire d’atteindre Gaza. L’occupation interdit la nourriture, interdit l’eau, interdit les médicaments, et tout le reste. Gaza est devenu un petit cachot, bombardé de tous les côtés. Imaginez qu’une mère voit son jeune enfant blessé·e et en sang, mais il n’y a pas d’hôpitaux offrant leurs services à cause d’une coupure de courant. Comment décririez-vous les sentiments de cette mère ?
Mon frère, les mots ne peuvent même pas décrire ce qui se passe ici. Cet endroit est devenu l’enfer à cause de l’occupation et de la présence du sionisme.
4. BRRN : Quels mouvements en Palestine vous donnent le plus d’espoir et pourquoi ? Par exemple, les Lion’s Den de Naplouse, ou d’autres luttes ouvrières ?
4. Nous avons besoin de mouvements de jeunesse qui croient en la possibilité de la libération, et que cela serve à construire l’unité avec le reste des mouvements et tendances en Palestine. L’expérience a montré qu’un mouvement seul ne peut pas accomplir une avancée majeure qui mènerait à la libération de la Palestine. Nous devons tous·tes traiter les un·es avec les autres, que l’on soit musulman·es, juif·ves, chrétien·nes, converti·es, anarchistes, et d’autres idées qui existent dans le territoire palestinien. C’est ce que nous visons : d’unir tout le monde sous une même bannière et avec un seul but, qui est de combattre le sionisme, de libérer la Palestine, et de restaurer notre liberté. Bien sûr, il y a beaucoup de mouvements dans le territoire palestinien, qui incluent les Lion’s Den. Mais ce n’est pas le seul mouvement. Il y a beaucoup d’autres tendances et mouvements, y compris les luttes ouvrières, qui luttent avec toute leur énergie. Elles ne sont cependant pas visibles ni vues comme importantes en public, à cause des conditions sécuritaires strictes et des politiques répressives systématiques pratiquées par l’occupation ainsi que les traîtres de l’Autorité Palestinienne.
5. BRRN : En 2021, les palestinien·nes de Cisjordanie, de Gaza, et même celleux qui sont citoyen·nes d’Israël, ont participé à une grève générale en réaction à l’expulsion de familles palestiniennes à Sheikh Jarrah. Quel rôle voyez-vous prendre aux arrêts de travail ou grèves générales en ce moment ?
5. Je pense que nous avons dépassé le stade de grèves générales en Israël. Bien sûr, je ne veux pas nier l’importance des grèves et de leur efficacité, mais la situation ici en Palestine et l’expérience ont prouvé que la seule solution est la lutte, et même la lutte armée, contre le régime d’apartheid.
L’occupation n’hésite pas à commettre n’importe quel type de crime, d’injustice ou de persécution.
Même si vous posséder un lieu ou un magasin et que vous vous mettez en grève, le résultat sera qu’ils voleront votre magasin et le donneront à un autre sioniste, ou ils vous licencieront de votre travail et un autre sioniste le prendra. Très facilement !
Les conditions ici sont très différentes de ce qui se passe pour vous aux États-Unis, mon frère.
6. BRRN : Pensez-vous qu’il y ait un jour un espoir qu’une grande partie de la classe ouvrière israélienne abandonne le sionisme – comme un petit nombre d’anarchistes et de socialistes l’ont déjà fait, ou pensez-vous que leur attachement au colonialisme de peuple est trop fort pour qu’elle puisse le surmonter ?
6. Les sionistes présent·es dans les territoires palestinien·nes sont venu·es sur la base d’un principe idéologique que cette terre est leur terre, et que le peuple juif est le peuple élu. Bien sûr, toute personne qui croit en ce principe et adopte cette idéologie ne peut pas facilement abandonner le sionisme, ni reconnaître la liberté des autres et le principe d’égalité entre êtres humain·es.
Nous faisons une distinction entre sionisme et judaïsme. Nous avons des ami·es juif·ves qui parlent hébreu et croient en la Torah, mais ne croient pas au sionisme, et nous aident même dans nos activités contre l’entité occupante. Par conséquent, oui, nous espérons que le nombre de telles personnes va augmenter et que beaucoup d’entre elleux, particulièrement dans la classe ouvrière, vont abandonner ce principe idéologique raciste qui n’a aucune connexion au judaïsme. Nous les accueillons les bras grands ouverts, afin que nous puissions lutter ensemble et vivre ensemble en paix.
7. BRRN : D’après vous, quels sont les actions de solidarités les plus efficaces pour la libération en Palestine que les compagnon·nes aux États-Unis peuvent mener ?
7. Je pense que la chose la plus importante que vous pouvez faire est le soutien médiatique aux palestinien·nes. Vous pouvez expliquer aux habitant·es des États-Unis la question palestinienne telle qu’elle est vraiment, pas selon le récit mensonger d’Israël. Vous pouvez publier des actualités sur ce qu’il se passe en Palestine. Il y a beaucoup de vidéos et de photos des crimes quotidiens de l’occupation sur des sites Palestiniens. Nous publions aussi des actualités sur notre page Instagram @fauda_palestine et notre chaîne Telegram @fauda_ps. Vous pouvez traduire des actualités et présenter les faits à nos frères aux États-Unis. Ne faites pas des médias officiels et des canaux américains et israéliens les seules sources par lesquelles vous recevez des actualités et suivez les événements. Suivez aussi les médias palestiniens. Les médias palestiniens subissent un énorme black-out médiatique. Essayez de briser ce black-out et de trouver les faits d’actualité en Palestine.