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Hommodolars / vendredi 4 juin 2016

ValparaisoNdT. : Ce texte est une tentative de réflexion suite à la mort d’un veilleur de nuit dans l’incendie d’un immeuble, qui a eu lieu dans le contexte d’une manifestation à Valparaíso, au Chili, le 21 mai dernier. Plus en général c’est une réflexion sur la conflictualité contre l’existant et les conséquences de nos actes et des moments de lutte auxquels on participe. Il n’est pas inintéressant de réfléchir à ce sujet, toute proportion gardée, dans un moment où ici en France on débat sur la « légitimité » ou pas  de certaines attaques et la façon dont elles seront perçues (on parle évidemment des dissociations de la casse à l’hôpital Necker).

Nous qui nous positionnons depuis une perspective révolutionnaire qui considère que la libération ne sera totale qu’une fois après avoir balayé l’intégralité du monde capitaliste, nous sommes conscients de notre réalité, et conscients que l’histoire n’est pas seulement un cumul de documents qui témoignent de notre défaite, mais que c’est un mouvement, et c’est pourquoi il nous reste encore beaucoup à faire pour y avoir une quelconque influence. Nous qui voulons faire de notre activité vitale une pratique de subversion de cette réalité, nous pourrions difficilement condamner les actions d’incursion violente contre la police et la grande ville capitaliste. Bien au contraire, il pourrait y avoir des appréciations différentes sur l’utilité de cette violence et la manière d’y avoir recours, mais une condamnation totale est injustifiée sans se positionner à son tour en défense de l’ordre.

À Valparaíso nous avons vu un déchaînement destructif massif, percutant et avec des objectifs clairs qui pour beaucoup nous a rappelé la nuit du 28 mai 2015 à Santiago, il y a un an déjà, lorsque d’énormes groupes d’enragés, certains organisés et d’autres non, ont profité de l’obscurité qu’offrait l’appel nocturne à balayer tout ce qui mérite de l’être. Lorsque cela s’est passé, tout juste une semaine avant, dans la manifestation précédente, un militant de l’organisation jaune UNE [NdT : Union Nationale Étudiante], Rodrigo Avilés, a été gravement blessé après s’être pris de plein fouet le jet d’un canon à eau qui l’envoya sur le pavé durant la manifestation du 21 mai 2015 à Valparaíso. Cet incident aurait calmé les flics dans la manifestation suivante à Santiago, ce qui, additionné à la disposition de ceux qui étaient là dans l’intention de prendre d’assaut les rues cette nuit, s’est transformé en la bacchanale de rue que l’on garde en mémoire encore aujourd’hui.

Cette année à Valparaíso il y a eu un combat intense contre la police en même temps qu’avaient lieu des destructions de magasins et de marchandises qui incarnent la dictature du Capital. Si ces formes de pratiques critiques se développent depuis plusieurs années, c’est bien la première fois qu’on le voit avec une telle intensité d’une manière si « soignée » (dans le sens où la violence au début s’est déchaîné d’un coup et seulement contre ce qui mérite d’être balayé selon nous), décidée et préméditée. Des hordes de gens masqués martelant le goudron, déchirant la superficie grisâtre qui s’étend à travers le monde marchandisé appelé urbanisation, afin d’avoir sous la main de quoi en faire baver aux sbires, tandis que d’autres lançaient ce même goudron et du feu, et simultanément d’autres défonçaient les portes des grands magasins pour détruire la marchandise (ou la voler, ce qui est une autre sorte de destruction de marchandise en détournant l’utilité de l’objet).

Il y avait des affrontements à chaque carrefour. Les objets sortis des magasins qui n’étaient pas récupérables comme des écrans ou des imprimantes servaient à nourrir le feu des barricades positionnées sur ces mêmes carrefours. De loin, on apercevait la fumée de la pharmacie qui brûlait. Et jusque là tout allait bien.

Pour mettre à profit ces réflexions critiques il faut avant tout se positionner par rapport à ce qui s’est passé. La mort d’Eduardo Lara est regrettable, mais les accidents peuvent arriver et nous présumons que presque personne parmi ceux qui se sont réjouis de l’incendie a pensé à ce moment même aux conséquences que cela pouvait avoir. Le titre d’agent de sécurité ne convient pas à ce vieux qui en réalité n’était qu’un veilleur de nuit, et qu’à son âge [75 ans] il devait faire deux boulots de merde pour « gagner sa vie » (peut-on appeler ça une vie?). Ceux qui se félicitent de la mort du vieux parce qu’il était agent de sécurité ou parce que « chaque citoyen est complice », sont soit des compagnons qui tombent dans le piège qui consiste à croire que la destruction physique de l’existant suffit pour l’abolir, ou soit de ceux qui ne croient pas possible la vraie destruction du monde de la marchandise. Avec les « compagnons » qui pâtissent d’un nihilisme auto-défaitiste et qui ne croient pas au dépassement réel du capitalisme et à la destruction de l’État, ou pour la faire simple, ne croient pas en la révolution (ce qui les rapproche des citoyens desquels ils se croient si éloignés), nous ne voulons pas approfondir le dialogue, du moins pas pour cette fois en ce qui concerne ce point précis. Ces quelques remarques s’adressent à ceux qui croient possible la destruction de l’existant et qui orientent leur pratique dans ce sens.

Les discours brandis par la gauche et l’extrême gauche ne sont pas non plus une contribution à la pratique subversive. La gauche pathétique tient un discours fondamentalement citoyenniste et ne mérite même pas une réponse ici. L’idée que les « violents » (comme si nous avions le monopole de la violence) sont en réalité des flics infiltrés, appartient à la gauche citoyenniste qui semble n’avoir jamais participé à une manif, ou bien à la gauche similaire à celle appelée citoyenniste, mais qui utilise l’accusation d’infiltration policière pour « laver » l’image des mouvement sociaux et ainsi tirer parti des coups de feu. Et depuis la gauche plus radicale élaborent des remises en question telles que « à quoi sert de s’attaquer à des magasins qui sont assurés et donc qu’il n’y a aucune perte pécuniaire pour l’entreprise ? » ou bien encore « comment cela peut-il servir aux travailleurs ? » Penser le problème de la destruction concernant les bâtiments représentant le capitalisme, l’urbanisation et la marchandise, dans des termes purement quantitatifs (perte pécuniaire des entreprises) peut s’avérer dangereusement réductionniste. Lorsque les subversifs témoignent en acte du refus du monde de la marchandise ils ne le font pas seulement avec l’objectif de provoquer des pertes matérielles pour les capitalistes, mais l’acte de détruire rend implicite son contenu à travers l’action en elle-même : le refus d’une forme de vie réduite à l’esclavage qui s’incarne dans ces objets.

De plus, loin d’être de simples symboles, la destruction et l’affrontement avec la police sont réellement subversifs mais momentanés dans le temps et l’espace que le capitalisme s’approprie en tout lieu et à tout moment.

Enfin, ce que cette gauche radicale entend par « profits pour la classe travailleuse » seraient des victoires de luttes partielles et réformistes qui, si à certains moments elles peuvent revêtir un caractère quelque peu subversif, ne s’éloigne pas dans la pratique d’un programme social-démocrate, comme cela se passe avec toutes les variantes de gauche léniniste et/ou de type libertaire et plateformiste. Et donc, en prenant en compte leur perspective social-démocrate de la révolution, c’est compréhensible que sur de nombreux points notre pratique heurte la leur. S’il existe des luttes de la classe travailleuse que nous considérons révolutionnaires, ce sont bien celles qui vont dans le sens de la destruction des classes et du travail.

L’ « efficacité » des différentes actions vue depuis des termes comme ceux que nous mentionnions auparavant ne nous intéresse pas ici. Ce qui nous intéresse c’est de mettre en tension nos pratiques et leur efficacité dans les termes d’une lutte anticapitaliste et anti-autoritaire. Pour nous qui appellons à la prolifération des pratiques combatives, il nous semble difficile qu’un appel à remettre en question ces pratiques ne nous paraisse pas être inévitablement un appel au calme et à la passivité. Mais loin de là, c’est un exercice essentiel et inévitable si ce que l’on veut c’est insuffler une dynamique à notre lutte et rendre plus éclairées nos critiques et pratiques. Si nous mettons en tension toute une réalité et que nous appelons à sa destruction en pariant sur le fait que rien n’est éternel et inamovible, alors nous ne devrions pas faire de nos pratiques et des perspectives quelque chose qui soit également indiscutable et inamovible.

Le problème qui se pose n’est pas d’appeler à abandonner ces pratiques, mais de les remettre en question, à ne pas en faire un rituel autosuffisant. Quand on mise sur la propagation de la révolte on doit comprendre qu’une violence intensifiée peut à certains moments nous échapper et mener à des telles choses, afin d’agir en le prenant en compte. Il faut remettre en question des aspects éthiques, tels que les conséquences que certains exercices de violence pourraient avoir pour des tierces personnes, mais aussi des critiques d’un point de vue technique qui mènent à se demander de quelle façon on pourrait mener des pratiques et des actions sans que cela ne mette la vie des autres en danger. C’est aussi important de se demander, parfois malgré nous, si ces pratiques mettent réellement en tension la réalité ou si elles répondent parfois à un certain fétichisme de la violence (et du point de vue de ceux qui écrivent ce texte il y a en réalité ces deux aspects dans des nuances multiples). Ici nous n’avons aucune formule toute faite sur comment avancer maintenant, ni sur ce qu’il faut réellement remettre en question. Malheureusement c’est peut-être l’aspect sur lequel nous avons le moins à dire (bien que cela ait été l’axe central de ces remarques). Ceux qui écrivent ici le font dans l’urgence qu’implique pour nous la création de scénarios d’agitation qui contribuent à une rupture subversive, ainsi nous écrivons avec une intention très éloignée d’un appel au calme, mais bien au contraire. Et comme l’idée d’une année 2016 de révolte continue à nous enthousiasmer et à nous donner de l’espoir, nous appelons à réfléchir sur nos pratiques pour les rendre plus précises dans leurs objectifs.

Certains parmi nous ont cru que la mort d’Eduardo allait achever le potentiel de révolte présent cette année. Mais visiblement, et heureusement, nous nous sommes trompés. Alors tous dans la rue, il reste encore beaucoup de choses à faire !

Que ce monde de l’État et de la marchandise s’effondre !

 

[traduction reçue par mail]