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Lien original : Archives des Vancouver 5, par Ann Hansen

(version originale anglaise disponible dans la brochure Writings of the Vancouver Five à anti-politics.net/distro/2009/vancouver5-imposed.pdf)

La majorité des féministes blanches revendiquent des salaires égaux pour du travail égal, plus de garderies publiques, des lois plus strictes contre la porno et le viol, plus de financement étatique pour les groupes de femmes et des changements dans le domaine des entreprises.

Ces demandes sont appelées des réformes, parce qu’en elles-mêmes, elles ne présupposent pas la nécessité de la destruction du patriarcat dans son entièreté pour leur réalisation. Ces réformes sont demandées aux gouvernants par des voies légales comme les pétitions, le lobbying des politicien-ne-s et le support de partis politiques.

Certaines femmes croient que les réformes peuvent les libérer sans qu’il y ait destruction du capitalisme.

Elles ont grand espoir dans la réforme du patriarcat, particulièrement en Amérique du Nord, si les femmes sont blanches et veulent prendre une personnalité masculine. Certaines féministes radicales voient les réformes comme des gains à court terme qui deviendront le terrain de lutte du mouvement révolutionnaire pour la destruction du patriarcat. Trop souvent, leur travail de revendication à court terme occulte leurs buts révolutionnaires et fixe les méthodes qu’elles utilisent. Par exemple, pour changer les lois pour réprimer la pornographie, leurs méthodes vont généralement impliquer le dialogue avec les représentant-e-s gouvernementaux, des campagnes de lettres et des pétitions. Si tout ce qu’une femme fait de ses journées est d’être attelée à changer la loi alors ses aspirations révolutionnaires secrètes resteront de l’ordre des rêves.

Tout ce que la majorité des réformes accomplissent, qu’elles soient revendiquées dans un contexte de radicalité ou dans un contexte capitaliste, est d’accommoder quelques femmes blanches de plus qui seront assimilées aux institutions de la domination masculine. Cela implique d’accepter les valeurs et les principes du monde corporatiste. Si une femme recherche le pouvoir et l’argent dans sa vie et est agressive, elle aura une place dans le monde des corporations. Elle pourra obtenir «la liberté et l’égalité » avec ses pairs masculins même si ces qualités en réalité sont vues comme de l’avidité et de la soif de pouvoir dans la perspective des pauvres.

Il y a assez de marge de profit en Europe et en Amérique du Nord pour accommoder les femmes blanches de classe moyenne afin d’éliminer le potentiel subversif et menaçant du mouvement féministe. Ces femmes blanches de classe moyenne ont l’espoir d’atteindre un salaire égal pour un travail égal, plus de garderies publiques, l’avortement sur demande, des lois plus strictes contre la pornographie et le viol ainsi que des changements dans le domaine de l’emploi qui permettent d’avoir plus de femmes dans chaque champ professionnel.

Il n’y aura par contre jamais une assez grande marge de profits dans le monde occidental pour éliminer la pauvreté des femmes amérindiennes, de couleur et du tiers monde – parce que la définition, l’essence, la fibre fondamentale dont sont faits le patriarcat et le capitalisme est basée sur l’exploitation d’une majorité de gens pour la création de richesses pour quelques-un-e-s, et sur l’objectivation des femmes et de la nature pour les transformer en marchandises vendues dans le but de faire du profit. Ce système d’exploitation est maintenu et protégé par le Parlement, le système juridique et la police. C’est une contradiction dans les termes que de penser que les voies légales peuvent permettre la destruction du système qu’elles ont pour but de protéger.

Si les femmes ne développent pas de méthodes et de buts révolutionnaires, les fondements mêmes du patriarcat demeureront intacts, laissant les gouvernements, les institutions et les entreprises qui font corps avec le système mâle dominant indemnes. Il y aura toujours des couchers de soleil enduits de smog, des déversements de pétrole, des gens crevant de faim et des ordinateurs qui contrôlent les esprits.

Les réformes ne font que renforcer le système en place en prétendant résoudre ses contradictions entre son idéologie de liberté et de démocratie, et sa réalité d’exploitation sociale, politique et économique. Alors que les réformes véritables ne peuvent être réalisées qu’à travers la révolution, ces réformes engendrent des contradictions au sein des classes moyennes. Elles donnent une face plus sympathique au patriarcat. Les programmes de discrimination positive placent des femmes manipulées dans des professions masculines ; plus de garderies permettent aux femmes de joindre la force de travail, des lois plus strictes contre la pornographie et le viol donnent l’illusion que les femmes sont protégées des aspects les plus violents du sexisme. Ces réformes donneront plus de pouvoir et de liberté à quelques femmes privilégiées à l’intérieur du monde des hommes, mais les structures et les valeurs du patriarcat qui sont enracinées dans le matérialisme et l’avidité resteront inchangées. Il continuera d’y avoir des millions d’amérindiennes et de femmes du tiers monde stérilisées, la plupart des femmes continueront d’être traitées fondamentalement comme des objets sexuels, seront appauvries et affamées et la société humaine continuera de faire corps avec les pires caractéristiques destructrices de la psyché masculine.

Pourtant, ces réformes créent une fausse impression d’égalité qui peut être utilisée comme arme contre les femmes pauvres qui ne connaissent que pauvreté, violence et dégradation. Les femmes de classe moyenne ont quant à elles des emplois, ont accès à des garderies et à l’avortement et ainsi, les problèmes des pauvres peuvent apparaître comme des mensonges, comme reposant plutôt sur leur paresse et leur incompétence.

Même les avantages des réformes pour les femmes de classe moyenne sont une illusion, car l’égalité à l’intérieur du patriarcat est, en réalité, la transformation des femmes en reproductions d’hommes qui ont appris à se réjouir des démons de l’avidité et du pouvoir. Pour travailler sur le marché de l’emploi dans un contexte patriarcal, nous devons confier nos enfants aux garderies et porter les valeurs de la domination masculine au travail.

Nous devons refuser d’être complices dans la perpétration de notre propre oppression lorsque nous voulons adoucir les conflits avec le patriarcat. Au contraire, ces conflits et contradictions devraient être exposés et attaqués d’un point de vue stratégique visant une libération totale.

Les contradictions entre l’idéologie patriarcale-capitaliste et la réalité quotidienne de l’exploitation et de la destruction de la vie ne peuvent pas être résolues sans une transformation totale, puisque ces réalités sont intrinsèques au système. Pour comprendre pourquoi les réformes ne nous libérerons pas, nous devons comprendre la nature du monstre – ce système international qui nous asservit. Nous devons nous débarrasser des lunettes roses qui nous aveuglent et jeter à la poubelle les contes de fées de la classe moyenne qui nous ont enseigné que notre société est bonne et que tout finit toujours bien. En réalité, le capitalisme et le patriarcat prennent forme grâce à l’exploitation et l’objectification de la vie. Le capitalisme est un système économique basé sur la production de profits pour les riches et le patriarcat est un système dans lequel les valeurs masculines, soit la compétition, le pouvoir et l’agressivité, dominent et nient toutes les autres valeurs.

La libération ne peut être atteinte qu’à travers la destruction du patriarcat – nos méthodes doivent être celles de la lutte de libération. Quelques féministes vont dire que le gouvernement est un bastion puissant du patriarcat ; que les leaders gouvernementaux sont responsables de la création de lois et d’institutions qui maintiennent la domination masculine. Mais elles vont néanmoins croire qu’en demandant à ces mêmes puissants leaders de les aider, les femmes peuvent se libérer. Les femmes ne peuvent pas s’attendre à réaliser leur libération à travers les méthodes patriarcales de changement social des gouvernements. Le plus qui puisse être attendu est que le gouvernement et les entreprises vont accommoder certaines féministes en changeant certaines lois et en redistribuant quelque peu la richesse.

Développer des méthodes de lutte enracinées dans la résistance ne signifie pas abandonner toute possibilité de réaliser des buts à court terme. La libération est un long processus qui se construit à travers des gains si petits qu’ils soient : quand nous luttons pour l’avortement sur demande ou contre la pornographie, nous devons le faire dans un contexte révolutionnaire. Cela signifie décrire le problème à travers des perspectives radicales et en utilisant des tactiques qui reflètent notre rejet du système légal, politique et économique de contrôle masculin. Par exemple, plutôt que de demander un salaire égal pour un travail égal – une demande qui reflète l’acceptation du système économique patriarcal existant – les femmes devraient développer de nouveaux moyens de survie qui ne sont pas fondés sur l’exploitation et qui sont harmonieux avec la terre, comme les expropriations de grands propriétaires, les coops et les collectifs.

Une femme libérée est une femme en totale résistance, repoussant constamment les limites et les obstacles qui la restreignent. Les femmes libérées se doivent d’être en complète rupture avec le patriarcat, en établissant leurs propres communautés, leurs propres cultures et leurs propres groupes d’action politique. Au lieu de mettre leur énergie dans le fait de demander aux hommes protecteurs et aux gouvernements de les aider, les femmes libérées développent leurs propres tactiques de résistance qui ne peuvent être contrôlées par les gouvernements: occupations, blocages routiers, distribution d’information, enquêtes populaires, affichage public, graffitis, expropriations, rassemblements de survivance et autres actions directes. Si elles sont unifiées dans un mouvement, ces tactiques de résistance sont efficaces car elles permettent de confronter directement l’État et les corporations. Si notre travail est basé sur la compréhension que le patriarcat doit être détruit, alors nous ne pouvons pas croire qu’un changement de loi par ici et une commission d’enquête par là vont changer la situation des femmes. Ça se fera en exposant et en attaquant constamment les mécanismes de protection et de camouflage que l’État accorde aux gouvernants et aux autres qui violent le peuple et la terre.

Une fois dédiées à la résistance, les femmes reprendront l’initiative du changement social des mains du patriarcat. Dans la présente situation, l’État et les multinationales prennent les décisions qui déterminent le cours des événements. Par exemple, le gouvernement fédéral continue de légaliser les méga-projets qui polluent la terre et seulement après nous réagissons.

Si l’initiative de changement repose dans les mains des féministes et des radicaux, alors nous devons analyser et comprendre comment l’État canadien et les corporations fonctionnent. Nous devons comprendre le rôle que le Canada joue dans le réseau impérialiste, les intérêts économiques qui maintiennent le Canada dans une position stratégique stable, et les faiblesses politiques que nous pouvons exposer. Une fois que nous aurons atteint cette compréhension, nous pourrons développer des stratégies d’action ancrées dans la continuité et qui ne sont pas seulement basées sur une réaction aux symptômes les plus évidents du système. De cette façon, nous pourrons, à long terme, détruire les fondations du système.

Armées d’une analyse féministe de guerre et de tactiques de résistance, les femmes pourront développer une offensive continue contre les bastions du patriarcat – les méga-projets corporatistes, les institutions militaires et gouvernementales. Tant que ces institutions continueront de contrôler la société humaine, la pornographie, le viol et l’objectification des femmes se poursuivront.

Si nous regardons autour de nous et que nous tremblons de frayeur à l’idée du futur destructeur vers lequel la société nous conduit, nous devons nous tourner vers le spirituel, les émotions et la sensualité qui sont en nous et qui nous permettent de se lier à la vie dans son ensemble. En rejoignant l’esprit de la vie, nous rallumerons l’esprit de la révolte: révolte contre le viol des forêts, contre la pollution des rivières, contre la culture de mort de cette société, contre le massacre des peuples du tiers monde et contre le génocide des indigènes. Un sentiment profond de révolte contre la mort et un amour correspondant pour la vie nous donneront la puissance nécessaire pour résister et faire les sacrifices nécessaires à la sauvegarde de la planète. Il n’y a certainement pas de tâche plus importante que de d’empêcher la destruction de la planète et de prévenir la misère et l’absurdité de la vie humaine moderne.