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Lien original : Oiseau-tempête n°10

L’entretien qui suit se veut, à travers un parcours individuel, une mise en perspective critique de la forme d’organisation syndicale. Voici d’abord quelques jalons de l’histoire de Yann Brault avant qu’il ne s’exprime directement sur son engagement dans le syndicalisme au milieu des années 80, et sur sa décision d’en sortir définitivement en novembre 2001.
Son père d’origine paysanne et sa mère, fille de petit commerçant, se sont retrouves tous les deux dans les années 60 salaries à l’usine Citroën de la région de Rennes, lui en tant qu’employé de bureau, elle en tant qu’OS. Ils ont tout fait pour favoriser ses études. Mais ce qui l’a surtout marqué, c’est la réaction de sa mère face à son sort d’ouvrière chez Citroën : « Quand elle a eu ses deux gamins, ma sœur et moi, elle ne pouvait plus envisager de faire autre chose que d’aller bosser à l’usine alors que son rêve avait toujours été d’être sage-femme. C’est sa grande frustration, elle est devenue OS à mesurer des pièces et j’ai vécu tripalement ce qu’elle ressentait tous les matins en allant à l’usine. Pas du tout avec la tête pleine du Droit à la paresse, au contraire, il y avait une certaine morale du travail dans la famille, mais avec la révolte de l’être humain : « Je vais m’emmerder toute la vie à aller dans une chiourme ». Je me rappelle quand j’ai vu le film Reprise de Herve Le Roux, l’image récurrente dans le film de la femme qui crie : « Je ne veux pas retourner dans cette taule ! »… ben ma mère, je l’ai entendu dire ce genre de choses quotidiennement pendant quatre ou cinq ans… »
L’esprit de révolte de Yann. trouve progressivement ses marques d’abord avec le refus du service militaire et la participation aux collectifs de lutte pour l’objection de conscience. II avait déjà fait un détour par le MRJC (le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne), qu’il décrit comme étant « envahi de maos, de marxistes-léninistes d’Humanité Rouge ». Les questions du chômage et de la reproduction du système capitaliste par l’Ecole, abordées à l’époque (1975) dans cette Organisation, lui apporte quelques bases théoriques. Son parcours est ensuite jalonne d’expériences plus ou moins heureuses, de lectures formatrices comme les publications des éditions Spartacus (1982-84). II participe aux luttes écolos (antinucléaires, notamment à Plogof), vit en communauté et s’intéresse à la contraception masculine. « La conscience de la nécessite du combat politique et les idées d’André Gorz sur la réduction du temps de travail » l’orientent vers les Verts en 1984. II quittera ce parti au bout de deux ans, dégoute par les logiques d’appareil et l’opportunisme déjà largement présents dans cette organisation naissante.
Âgé d’un peu plus de 25 ans, père d’une fille de deux ans et demi, il « entre dans le salariat », passe le concours de postier et démarre sa carrière à Paris IXe. Son désir d’engagement toujours vif, la condition salariale, le rejet des petits chefs et le désir de trouver des camarades de lutte l’incitent à se syndiquer au bout de six mois de travail. Par rejet de la CGT/PC et de FO (« syndicalisme des petits chefs depuis toujours à la Poste » avec la logique d’entrisme de l’OCI-PT), il rejoint la CFDT et s’intéresse très vite à l’opposition émergeant au sein de ce syndicat, plus ou moins contrôlée par la LCR mais aussi par l’UTCL (ancêtre de l’AL actuelle). En désaccord avec la ligne officielle de la centrale, il est exclu, en même temps qu’un bon nombre de militants qui ne se reconnaissent plus désormais dans un syndicat affirmant haut et clair sa position de co-gestionnaire et de « partenaire social ». Pour tous ceux-là (200 à 300 militants), le choix, c’est rejoindre la CGT ou revenir individuellement dans la CFDT ou tenter de créer autre chose. La plupart décident finalement de créer « autre chose ». Ce sera SUD, des le mois de janvier 1989…

ENTRETIEN AVEC YANN

OT – D’où vient le sigle « SUD » ?

Yann. – II y en avait pas mal qui fantasmaient sur Solidarnosc et qui voulaient appeler le syndicat Solidarité. L’appellation SUD faisait aussi référence aux idées tiers-mondistes. En fait, au début, le « U » comme Unité et le « D » comme Démocratie, c’est vraiment une réaction contre ce qui existait avant (la guéguerre CGT-CFDT) et une volonté de créer autre chose en termes de lutte, c’est-à-dire d’être l’organisation qui promouvra autant que possible l’unité à la base. SUD se revendiquait comme le syndicat qui proposerait des actions en ne se limitant pas aux négociations. Et ce serait aux assemblées générales du personnel de décider ou de trancher les propositions. L’organisation elle-même devait être différente de toutes les organisations bureaucratiques, notamment la CFDT, puisque c’est contre la disparition de toute démocratie interne depuis un certain temps que les oppositionnels de la CFDT se battaient. Et on allait voir ce qu’on allait voir, à SUD, cette démocratie, elle allait exister…
Donc dès le départ, l’organisation se voulait très fédéraliste, elle l’est restée tout le temps de la construction, pendant cinq à six ans et puis petit à petit, les élections professionnelles sont arrivées en 1994. II y a quand même eu cinq ans sans élections car la direction de la Poste et des Télécoms se méfiaient de l’émergence de SUD. Au prétexte de la phase de reforme des PTT, ils ont gelé les élections qui avaient lieu tous les trois ans. La CFDT était directement à l’oeuvre pour empêcher qu’il y ait ces élections. En fait, il y a une cogestion CFDT et direction de la Poste et des Télécoms. Les militants cadres de la CFDT sont directement imbriques dans l’appareil de direction. En fait, des les élections de mars 1989, nous dépassions la CFDT en Ile-de-France, obtenant ainsi un minimum de locaux et de semi-permanents. Le ministère des PTT et les syndicats traditionnels avaient misé sur notre rapide disparition, mais la plupart de nos militants fondateurs étaient reconnus des salariés comme les plus combattifs représentants CFDT sur Paris et dans quelques départements voisins. Mais ce retard des élections a permis paradoxalement à SUD de se montrer : on avait tellement grossi et essaimé en province qu’on a concrétise aux élections de 94. On est devenu très vite troisième syndicat à la Poste et le deuxième aux Télécoms.

– Et toi, tu y étais depuis le début ?

Y.- Oui. Ce mouvement à caractère fédéraliste s’est fait assez naturellement aux PTT parce qu’il y a eu de nombreuses mutations,et tout un tas de succursales de SUD se sont créées assez rapidement. Au départ, j’étais responsable d’une section de base à Paris IXe, et lorsque moi-même j’ai été mute en province en 1990, j’ai pu contribuer, avec une quinzaine d’autres camarades en Bretagne, à la création du syndicat départemental de Rennes. Au départ, c’était des gens qui souvent avaient une expérience ou une certaine culture politique, mais très vite, ce ne fut plus le cas chez la plupart des personnes qui nous rejoignaient. Durant la même époque, je participais tous les mois aux réunions du Bureau fédéral dont j’étais de 1991 à 1996 l’un des trente membres élus.

– Pourquoi ces personnes rejoignaient-elles SUD et pas la CFDT par exemple, ou la CGT ?

Y. – Parce que SUD se présentait comme le seul syndicat qui proposait une activité soutenue contre la déréglementation de la Poste et des Télécoms qui commençait avec la reforme Quilès. La CFDT, elle, signait des accords salariaux qui de fait aboutissaient à des pertes de pouvoir d’achat. Sur la question des salaires, la CFDT ne répondait plus aux problèmes. Quant à la CGT, si sa réputation était celle d’un syndicat qui savait encadrer les luttes, les gens la percevaient dans les faits plutôt comme un frein et pas démocratique.

– Parlons des greves de 1995…

Y. – SUD PTT représentait une base intéressante pour le mouvement de 1995 pour les gens qui étaient apparentes à SUD dans les autres branches professionnelles. Mais aux PTT même, ce n’était pas une lutte sociale interne, c’était plus une lutte générale contre la reforme des retraites et la modification des Statuts des cheminots et pour le service public en général. Déjà en 1995, on voit le problème de l’absence de stratégie autonome de SUD. Si à la base du projet de SUD, il y avait quelque chose de stimulant dans le fait de vouloir favoriser une réelle unité d’action. En fait, petit à petit, c’est devenu une prison. Dans le sens où l’a priori imposant de réaliser une unité de stratégie avec la CGT – le grand partenaire incontournable – faisait qu’on s’interdisait de réaliser des actions francs-tireurs… C’est devenu un préalable, y compris jusqu’à aujourd’hui de la part des responsables nationaux de SUD PTT, c’est devenu un frein, un enlisement. Et effectivement, en décembre 1995, aux PTT comme ailleurs, quand la CGT, et dans une moindre mesure FO, sifflent la fin de la récréation, cela s’arrête tout de suite sans problème.

– Tu as vécu et compris ce mouvement de cette manière ? Est-ce que les syndicats ont contrôle l’histoire des le début aux PTT ?

Y. – Oh oui ! Cela n’a rien à voir avec les mouvements de 1988 ou même avec les coordinations qui existaient jadis aux PTT depuis la grève de 1974. II y avait des coordinations, des mouvements de base, certes plus ou moins coordonnes par des militants qui avaient de la bouteille. Mais en 1995, il n’y a pas d’embrasement aux PTT.

– Et le rôle de SUD chez les cheminots, tu peux en parler ?

Y. – II y a une histoire différente chez les cheminots où là, effectivement, SUD Rail émerge directement du mouvement de 95 parce que c’est la CGT, et la CFDT encore plus, qui ont joue le rôle de frein aux luttes à la SNCF. Peut-être cela tient-il au fait que le courant libertaire y est plus présent qu’aux PTT.
Pour revenir à SUD PTT après 1995, au moment où il y a davantage de moyens syndicaux alloués à cette organisation du fait des résultats aux élections de 1994, il commence à y avoir l’enjeu « comment est-ce qu’on reste une organisation virulente en utilisant les moyens institutionnels »… c’est-à-dire les postes d’élus en commissions paritaires, d’hygiène et sécurité, ou de permanents à temps complet par exemple. Moi-même d’ailleurs, je deviens permanent à temps complet en mai 95.

– Etant donne ton itinéraire et les idées que tu défends depuis longtemps, avant même ton entrée à SUD, la question de principe a du se poser pour toi : qu’en est-il des « permanents syndicaux » ? Et cela intervient-il maintenant dans ta critique de fond du syndicalisme ?

Y.- Depuis les années 80, j’étais bien sur déjà conscient de ce qu’un permanent est un bureaucrate potentiel. Mais j’avais l’audace de penser avec mes camarades que nous utilisions différemment mon activité permanente, c’est-à-dire à fond pour la construction de « l’organisation de combat, et qui dérange ! ». Pour emprunter un anglicisme, je me vivais sincèrement comme un « organizer », ce genre de « grouillot de base dévoué » des syndicats américains, qui sillonnent un territoire pour aider des sections de travailleurs à s’organiser : c’était un peu le mythique « Join your union ! »
J’étais permanent syndical à temps complet pendant six ans de mai 1995 à avril 2002 durant la période de développement la plus importante de SUD-PTT. En 1990 avec le soutien de la fédération, nous avions fonde à quinze personnes le syndicat à Rennes. II y avait près de 260 adhérents fin 2001. A partir de 1995, après quatre années très galère, l’activité du syndicat a explosé bien au-delà du nombre de militants qui étaient motives par une activité quotidienne, incessante. Par décision collective, j’étais le seul permanent du syndicat départemental. Ce détachement de mon travail de guichetier a été adopté pour mon mandat de secrétaire départemental et revoté après chaque réélection par le congrès du syndicat tous les deux ans. II n’y avait pas de chef, plutôt un noyau dirigeant collégial d’une douzaine de militants environ et de fait, je pouvais être démis à chaque réunion mensuelle du bureau. Je me voulais à l’écoute et au service de la base. Le choix de permanent est un choix discutable, mais que j’assume complètement dans les conditions où je l’ai vécu car il s’agissait réellement de construire une organisation de combat, un réseau, avec une certaine impatience volontariste, sans attendre que l’histoire voit accoucher des coordinations de travailleurs virulents ! J’accomplissais beaucoup de taches bassement administratives ou matérielles, d’homme à tout faire, que la plupart de mes camarades dédaignaient, mais indispensables dans une organisation durable. Je circulais beaucoup en Ille et Vilaine à l’occasion de conflits locaux ou pour soutenir et informer les militants ou collègues. Mon temps était occupe notamment à des visites d’établissement aux aurores, à établir des contacts ça et là et aussi à Paris régulierement pour des réunions fédérales de deux ou trois jours. Notre syndicat départemental avec son noyau de fondateurs ou d’animateurs (une quinzaine) se considérait comme « la base » par rapport à l’appareil fédéral en gestation. Nous avons souvent été très contestataires par rapport aux choix majoritaires dans SUD PTT.

– Justement, parle-nous de l’évolution de SUD…

Y. – SUD est resté malgré tout prisonnier de la logique d’unité d’action avec la CGT. Quand arrivent les vraies échéances à la Poste et aux Télécoms, à partir de 1996, c’est-à-dire la première loi de privatisation, de transformation en SA de France-Telecom, on est déjà dans une logique plus institutionnelle, on a présenté des candidats aux conseils d’administration de France-Télécom et de la Poste : à France-Telecom, on obtient deux postes sur les vingt-et-un du conseil, dont sept postes d’élus syndicaux. Christophe Aguiton et Francine Bavet, nos représentants syndicaux ne pourront faire que de la figuration. Francine Bavet etait l’an dernier un des bras droits de la Campagne de Noël Mamère, mais elle était déjà vice-présidente de la région Ile-de-France… – élue aux elections régionales de 1996 sur la liste de Strauss-Kahn comme la numéro trois !

– Il n’y a pas eu alors de réaction des militants de SUD ?

Y. – Si, à partir de fin 97, il y a tollé général des militants de sorte qu’elle est obligée de quitter le poste d’élue au conseil d’administration des Télécoms. Parce que SUD avait toujours prétendu qu’il n’y aurait pas de collusion entre ses propres responsables et les politiciens ! N’empêche qu’il a fallu un tollé général de la base…

– Qu’est-ce qui opposait la CNT et SUD sur la question de la participation aux élections professionnelles ?

Y. – Justement, loin du refus de la CNT de rentrer dans le jeu des éléctions, SUD voulait des l’origine s’y présenter pour plusieurs raisons. D’abord, SUD assumait sa continuité avec la CFDT dans le fait de siéger et de participer aux commissions administratives paritaires où en général on défend les intérêts des salaries directement. Ce sont des commissions de recours dont la limite – c’est ce que dénonce la CNT – est qu’elles ne sont que consultatives. II s’agit de défendre les salaries (problèmes de carrière, notation, discipline, classifications des postes de travail), mais ce « syndicalisme de dossier » induit une forme de clientélisme inévitable.
Ensuite, il y avait l’idée que la démocratie,c’est aussi – comme les délégués du personnel – d’être élu par le personnel directement. II convenait donc de vérifier, d’un point de vue démocratique, ce que les salaries choisissaient comme organisation. C’est le problème de la délégation de pouvoir et de la représentation.
Cette fonction de représentation – perdue sans doute par d’autres bien avant moi, mais par moi maintenant… – c’est de fait l’équivalent de la démocratie parlementaire. Tu votes pour des syndicats, donc tu as une démocratie par délégation. On est loin de la démocratie directe des assemblées générales de travailleurs. Voilà où on aboutit pour n’avoir pas voulu rester au niveau d’une coordination. Mais les coordinations à juste titre selon moi – étaient perçues comme ne pouvant pas s’inscrire dans la durée. Elles ne pouvaient être virulentes que durant la lutte sociale. Au moment de notre choix institutionnel on avait à l’esprit les coordinations d’infirmieres qui étaient devenues un machin corporatiste classique, peut-être pire même que les syndicats.

Dérèglementation et privatisation rampantes aux PTT

Y.- Au moment où SUD a de plus en plus de succès électoraux, la dérèglementation frappe de plein fouet la Poste et France-Télécom. à la Poste, cela se traduit par une autre forme de privatisation, plus vicieuse et plus redoutable peut-être, c’est-à-dire un tarissement du recrutement de fonctionnaires (agents statutaires) et un recrutement plein pot d’agents contractuels. Mais pas en CDI, seulement en CDD ou CDI à temps partiel imposé dans la plupart des cas. Depuis six ou sept ans, c’est près de 80 % du personnel qui est recrute de cette manière-là. Quant à France-Télécom, au moment où Jospin était nommé Premier ministre, la loi de privatisation avait été passée par le gouvernement de cohabitation précédent. Des l’été 97, Strauss-Kahn pond un rapport sur l’avenir de France Télécom – il ne perd pas de temps – et en septembre 97, reniant les promesses électorales du printemps, la gauche plurielle ouvre le capital de France-Télécom.

– Et que fait SUD ?

Y. – Ah, c’est intéressant… Tout ce que la Fédération propose aux militants et au personnel, c’est un referendum façon Air France – mais fallait surtout pas comparer avec Air France ! – avec la question : « Êtes-vous d’accord ou non avec l’ouverture du capital ? » à l’époque, il y a des gens qui renâclent comme quoi c’est pas vraiment ça qu’il faut faire et on nous engage à la fermer en nous disant : « c’est ça la démocratie, faut consulter le personnel » ! Premier virage.
Le second, c’est en 1999, au moment de la privatisation des restaurants sociaux. Toute la restauration PTT avait un statut associatif et était gérée par les syndicats, même si c’était de fait une cogestion car la boite filait le pognon. Pour les agents des PTT, c’est du salaire indirect puisqu’on peut y manger correctement pour moins de vingt-cinq francs… En 1999, pendant six mois, on voyait arriver la privatisation de cette restauration chez France-Télécom avant la Poste. Que fait SUD ? Rien ou pas grand chose. La CGT instrumentalise une certaine contestation en mobilisant uniquement le personnel hôtelier. Les agents Poste ou Télécom, usagers de ces restaurants, sont juste conviés dans un certain nombre de régions, dont la mienne, à des manifs galettes-saucisses plusieurs midi. Ce cinéma dure six mois, il n’y a toujours pas eu de tentative de grève de l’ensemble du personnel. Sodexo ou Eurest ont eu la sous-traitance. Pour moi, c’est la deuxième grande dérobade de SUD. Chez les militants sincères, il en est reste beaucoup de frustration, de déception, de démoralisation.

Les conflits de la RTT en 2000

OT – Des adhérents commencent à quitter SUD ?

Y. – Non, ils restent, mais ils sont amers. L’année suivante, c’est la RTT à la Poste avec des conflits importants, des grèves de dix à quinze jours, des départements entiers bloqués, rarement en même temps, mais à la même période fin 99 – début 2000. En Ille-et-Vilaine, le conflit dure quinze jours avec occupation de la direction jour et nuit. Des choses qui ne s’étaient plus vues aux PTT depuis dix ou quinze ans. Auparavant, on avait étendu l’implantation de SUD avec un réseau couvrant le département, notamment – et c’est nouveau – dans les secteurs à ce moment-là les plus sensibles aux changements des habitudes de travail, les facteurs. Alors que dans la mythologie militante des syndicats comme SUD, c’est le personnel des centres de tri, c’est-à-dire le personnel de la grève de 74 (de « l’usine »), qui est traditionnellement considéré combattif, eh bien, cette fois- ci, ce sont les facteurs qui démarrent, même si le personnel des centres de tri s’est également mobilisé.

– Pourquoi ? Parce que les « 35 heures » remettent davantage en cause leur organisation du travail ?

Y. – Oui, cela remet en cause le côte « petit artisan » du facteur. C’est l’industrialisation de la distribution du courrier qui commence. Chez les vieux facteurs, aussi bien que chez les jeunes travailleurs qui débutent à la distribution, il y a un mouvement de refus. Les gens descendent dans la rue à Rennes, 250 à 600 personnes sont sur le pavé toute la journée pendant qu’il y a des négociations bidons.
Le discours des appareils syndicaux fédéraux, y compris SUD, était : « II faut négocier des meilleures 35 h ». Tres vite, il y a un piège qui se referme. La soi-disante réduction du temps de travail, c’est d’accorder des repos de cycle en échange d’un allongement de la journée et avec des suppressions de tournées. Or, ces repos de cycle ne seront jamais vraiment acquis longtemps. De fait, c’est l’introduction d’une annualisation. Ce n’est pas du tout une RTT au gré du salarie, comme le revendiquait le mouvement historique d’avant 1936 avec une réduction du temps de travail à la fois quotidienne et hebdomadaire, c’est-à-dire les 40h par semaine et les 8h par jour [1]. Depuis longtemps, l’idéologie syndicale aux PTT ou ailleurs, c’est plutôt une espèce de fantasme de partager le travail ou de créer des emplois « de jeunes » (sic) ou de « bouche-trous », alors qu’on poursuit la suppression des emplois statutaires. Pour nous, c’était le troisième coup de Jarnac : au moment des grèves et des occupations, il n’y a aucune fédération des luttes par SUD. A quoi sert une fédération syndicale ? – si tant est qu’elle ait un intérêt ! – c’est au moins à fédérer les luttes. Là encore, on a peur du « grand frère » CGT. qu’est-ce qu’il va faire ? On a peur d’appeler à une grève nationale… Et les élections approchent (octobre 2000) : qui va faire le loupé permettant aux autres de ramasser le maximum de voix ?
Le principal reproche que je fais à SUD, c’est qu’ils n’ont jamais eu le courage de prendre des risques quand il y a eu des luttes qui commençaient à monter, sur des enjeux aussi importants que les trois que je viens de décrire. Le courage de dire : « la base bouge, on la suit, on appelle à la grève générale aux PTT, on se fout de ce que va faire la CGT et si on se ramasse, tant pis ».

– Ca, c’est du côte des directions syndicales. Et du côte des salariés, comment cela est-il perçu ?

Y. – Tous les salariés loin de là n’étaient pas engagés dans cette lutte. Je n’explique pas l’absence de mouvement social en ne visant que les « directions traitres » (comme les gauchistes). Les gens ne se mettent pas en branle tous les quatre matins et y regardent à deux fois avant de se lancer dans un truc.
Les méthodes « participatives » de réorganisation, avec diagnostics et pseudo-négociations séparaient les salariés, établissement par établissement, en autant de groupes de travail avec la direction, associant tous les syndicats. Cela a fait des degâts à la Poste et aux Télécoms. Dans notre département, seul SUD brisait systématiquement ce jeu. Mais la majorité des salaries ne pouvaient pas percevoir immédiatement l’enjeu de manière assez large pour que cela devienne un embrasement général. Pour employer des mots de physique nucléaire, il manquait une masse critique suffisante ! Nous avions juste commence à tisser un réseau. Mais on a eu, lors du développement de SUD, notamment parmi les facteurs, le sentiment d’une résistance organisée qui s’amplifiait. Or, ce qu’on a compris ensuite, c’est que cette auto-organisation n’était pas possible dans le cadre d’un syndicat.

– Quelles sont les raisons de fond pour lesquelles tu es parti de SUD ?

Y. – II y a les trois dérobades « historiques » que je viens d’évoquer, mais en revenant sur l’évolution de SUD, il y a eu des épisodes significatifs.
Lors de deux congrès fédéraux, notre syndicat d’Ille-et-Vilaine a dû poser un débat sur les raisons de se caractériser « contre le libéralisme » ou « antilibéraux ». Nous posions directement la question « antilibéralisme ou anticapitalisme ? » par un amendement argumente pour le deuxième terme bien sur ! On a été battu en congres sur cette question. Ensuite, à l’occasion d’un congres départemental, nous avions eu le débat : « rénovation » ou « alternative » radicale au syndicalisme existant ? Face à nous, la secrétaire générale de la Fédération venait affirmer qu’on n’était pas là pour recréer le syndicalisme tout entier, mais qu’on avait pour ambition de dévenir une des composantes d’une rénovation du syndicalisme existant, à côte de la FSU, de dissidents de la CGT et de la CFDT… C’était l’ambition de l’ »extrême-gauche plurielle du syndicalisme français » !

– Justement quels sont les liens entre SUD et les partis politiques, notamment la LCR ?

Y.- II y a une stratégie et des liens depuis le début. Par exemple, l’identification comme « antilibéral » a été introduite discrètement des le début des années 90, après envoi d’un questionnaire à choix multiples par la fédération aux adhérents, du style « connaissons-nous mieux nous-mêmes ». Le total « antilibéral » et « plutôt antilibéral » était majoritaire. Mais en figeant si tôt, et en valorisant un tel profil, l’appareil fédéral ne se cachait pas de vouloir ratisser large… Ce sont les mêmes acteurs politiques – militants LCR, Alternative Libertaire, Verts, ex-maoistes du PCML ou de VLR, ou compagnons de route de ces organisations, qui ont oeuvré à la germination d’associations citoyennistes comme AC ! (Agir contre le chômage !) et ensuite ATTAC.
II n’y a pas que les militants LCR… Je pense qu’il est interéssant de parier de l’influence de courants affiches comme libertaires dans l’évolution de SUD : des militants « historiques » d’Alternative Libertaire sont responsables départementaux ou fédéraux de SUD PTT.
Rebaptiser leur UTCL (Union des travailleurs communistes Libertaires des années 80) en abandonnant symptomatiquement le terme « communiste » ne les a pas éloigne de l’Etat, au contraire ! Pour rester anticapitaliste, il pas de critiquer l’Etat-Sarkozy ou de décrire « le projet du MEDEF ». Au nom de la sauve- garde des acquis de l’Etat-providence (droit de la securité sociale, droit du travail, droit administratif, droit de la représentativité syndicale, statut de fonctionnaire), ils investissent beaucoup d’énergie et de considération pour l’activité juridique. Ils remettent aux calendes grecques toute la démystification et la lutte nécessaires contre ces catégories modernes de l’Etat. Pourtant à mon avis, celui-ci ne fait qu’un avec le Capital ! Je reprends volontiers le qualificatif d’ »anarchisme d’Etat » [2] de Claude Guillon envers Chomsky, pour analyser un courant comme Alternative Libertaire dans SUD et dans la CNT…
La fascination pour le droit de l’Etat est moins surprenante chez certains maoistes de SUD à Rennes. Voilà qui permet en plus de rester d’inamovible experts, l’éminence grise. Le lien de SUD avec des organisations politiques se noue évidemment là, au niveau de la représentation et de « l’expertocratie » (c’est un barbarisme), et je peux vous dire que c’est un lien de propriétaires ! Tous ces Lénine new-look cogèrent SUD-Solidaires-G10 en partageant un autre point : l’utilisation frénétique des médias. Les médias, encore une catégorie moderne de l’appareil d’Etat. SUD a vachement bien monte sa « feinte-dissidence ». Ce terme de Louis Janover [3] leur va comme un gant. Ses bouquins font partie de mes antidotes depuis vingt ans. L’embrouille avec le droit de la démocratie capitaliste, la gesticulation médiatique bien avant Jose Bové… cela a fini par bluffer ou euphoriser pas mal de militants et de salaries des PTT, par se substituer à tout le lent mais véritable travail de sape et de rapport de forces que nous voulions, voilà la vérité !

Réflexions sur la forme syndicale

OL – Quel regard portes-tu aujourd’hui sur la forme syndicale ?

Y. – Je me demande si tout syndicat n’inhibe pas, par sa prise en charge des affaires, les velléités d’organisation des salariés. J’ai été très concrètement amené à me poser cette question, à propos de ce mouvement assez exceptionnel des grèves de 2000 contre la RTT. 250-600 personnes dans les meilleures journées, bivouaquaient aux portes de la direction, durant ces quinze jours d’occupation. Mais l’intersyndicale CGT, SUD, CFDT, était très maitresse des évènements et les gens étaient attentistes. C’est vrai qu’il y a un poids de l’installation syndicale dans des boites comme La Poste ou France-Télécom. Même la CGT s’est mise à la mode des assemblées générales – ça fait bien de consulter les salaries au moment des négociations – mais en matière d’action, quand il fallait rebondir pour ne pas rester à la porte des patrons, les gens restaient attentistes. Nous SUD étions particulièrement à l’initiative, on proposait des trucs régulièrement, en envisageant des actions dures. Les assemblées générales ont décidé l’invasion d’un centre de tri parallèle au bout de dix jours. Mais la plupart du temps, c’était toujours nous qui proposions les occupations de bureaux de Poste, etc., même au bout de 15 jours de grève
Aujourd’hui, il m’apparait que la direction des évènements qui est occupée de fait par des syndicats y compris activistes comme SUD dissuade une partie des salariés de se mettre, au bout d’une semaine de mouvement de grève, à concevoir par eux-mêmes des actions et de prendre en charge eux-mêmes le mouvement. C’est une des conclusions que je tire. Celle de la représentation des salariés par une organisation comme un frein à leur action propre.

– Effectivement, tu parles de la question centrale de la représentation, mais aussi de la « normalisation » et « d’accompagnement ». Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Y. – Traditionnellement, quand SUD a émergé il y a 10 ans, on avait coutume de caractériser des syndicats comme la CFDT ou FO de syndicats d’accompagnement des réformes, négociant juste des petits « plus  » sur le plan social pour faire passer la pilule. En fait, la CGT aussi. Et maintenant, je fais la conclusion que SUD devenu un syndicat d’accompagnement, le plus doué de sa génération. Car il a su renouveler des formes d’activisme spectaculaire (médiatisé) qui font illusion, mais qui ne remettent pas en cause, par l’action collective des salariés, le fonctionnement de la machine, les restructurations ou les suppressions d’emplois.
J’avais le désir, il y a une douzaine d’années, de trouver, dans l’émergence d’un syndicat comme SUD, une forme qui utiliserait des moyens institutionnels tout en évitant d’être récupéré, normalisé. On avait l’illusion de créer une forme contestataire durable. On ne trouvait rien de mieux qu’une forme syndicale pour cela. Certes le syndicat assure le maintien d’une organisation technique, concrète, pour pouvoir favoriser un lien entre les salariés et une vigilance pour être prêt à bondir dès qu’il y a des nécessités de lutte. L’institutionnalisation gagne très vite en fait. La participation aux élections, mais aussi aux instances hygiène-sécurite ou paritaires, à la gestion des cantines en régime capitaliste. C’est de la glue ! Je pense que les formes d’anarcho-syndicalisme type CNT sont également guettées par cette dérive. Des camarades théorisent le syndicalisme révolutionnaire : en fait, toujours la même vieille théorie d’un unique « courant d’oppositions internes », moi je n’y crois pas du tout ! C’est seulement dans les moments de lutte sociale un peu plus exacerbés que les salariés peuvent se donner des moyens d’auto-organisation. Pour ce qui est de trouver des structures durables à même de traverser les périodes de faiblesse du mouvement prolétaire, il vaut mieux en concevoir et en créer, même modestes, en dehors des syndicats.

– Est-ce que tous les militants ayant quitté SUD en même temps que toi sont partis sur les mêmes bases que toi ?

Y. – Non, pas forcément. Les plus récents qui nous avaient rejoint après la grève anti-RTT ont d’abord connu une grande déception ; SUD représentait, encore peut de temps avant, l’espoir d’un syndicalisme différent, combatif. Ils n’avaient pas forcément tous des référents politiques auparavant. D’autres ont surtout eu besoin de prendre du recul car nous avions milité de manière intensive pas mal d’années. Et puis, il y a une cause commune à notre rupture avec SUD, une raison de fond, anti-autoritaire et anti-corporatiste. Les méthodes de certains militants pour conserver leur pouvoir ont quand même coïncidé avec la normalisation définitive au diapason de la Fédération. A SUD comme ailleurs, certains individus se comportent comme des gourous, tel ce spécialiste des questions internationales ou juridiques. Nous étions une quinzaine d’égaux en gondant le syndicat, mais celui-là (d’ailleurs le seul cadre) se considérait toujours comme le moins égal, considérant les militants comme ses petits soldats. Chef non élu, c’était le top de l’apparence libertaire ! Mais rester l’éminence grise, l’omniprésent, devenait plus difficile après les grèves dures de février 2000. Une nouvelle vague de militants émergeait (des facteurs et des femmes), à la fois étanches au charme du gourou et aux courants politiciens fédéraux. Les intrigues, les harcèlements procéduriers du petit groupe sectaire devinrent incessantes. Nous avons tenu un peu plus d’un an. Depuis quatre-cinq années environ, nous maintenions une réunion mensuelle « horizontale » d’une cinquantaine de militants de métiers très différents. Mais ce n’était pas le fonctionnement que la fédération SUD voulait. Alors que cette unité non corporatiste était auparavant défendue par nos harceleurs, ils s’acharnèrent à cloisonner leurs sections, à tenter d’organiser des catégories supposées radicales (contractuels de la Poste) en dehors du syndicat ! Leur opportunisme manoeuvrier rencontra celui de la fédération. Sous couvert d’efficacité et de développement par branches, les cloisonnements étaient encouragés entre militants Poste et Télécom, entre facteurs et sections de trieurs de lettres ou adhérents des chèques postaux, une politique pour les contractuels, une autre pour les fonctionnaires. à peine réélus à 70 % par le congres départemental sur notre opposition à ces orientations, nous avons démissionné. Le harcèlement que nous subissions débouchait sur l’agression physique de l’une d’entre nous, et par opportunisme, la fédération SUD PTT a soutenu nos agresseurs : nous étions les plus incontrôlables, il fallait nous mettre en minorité. Plusieurs bouquins de sociologie ont glorifié l’émergence de SUD, mais sa normalisation n’a pas été explorée !
Ma frustration par rapport au syndicalisme se situe essentiellement dans la possibilité d’organiser sur les lieux mêmes de travail, un réseau de lutte qui résiste au patronat et à l’Etat, comme des braises qui couvent au milieu des prolétaires. C’est d’ailleurs pour cela que les formes syndicales illusoires peuvent encore attirer des militants sincères. Nous manquons désormais de cette liberté des délégués de pouvoir circuler partout dans nos boites. Je crois que mes camarades éprouvent aussi cette frustration parce que la situation d’exploitation que nous vivons quotidiennement est de plus en plus tendue et qu’on a tous envie d’en découdre. Par contre nous sommes certainement moins nostalgiques du syndicalisme qu’il y a un an, parce que nous sommes terriblement lucides sur son inconsistance, sa fonction réelle…

Collectif de lutte en dehors des syndicats

OT.- Parmi les gens qui sont partis de SUD en même temps que toi, combien êtes-vous aujourd’hui et que faites-vous ensemble ?

Y. – Nous sommes une quinzaine de militants de La Poste et de France-Télécom à avoir démissionné de SUD en Bretagne. Nous essayons de garder une forme collective d’organisation pour ne pas retomber dans l’atomisation individuelle, monnaie courante dans les boites. Notre collectif se manifeste sous la signature de NADA, car nous ne représentons RIEN que nous-mêmes. Nous sommes tentes de dire qu’il faudrait qu’existent ainsi plusieurs collectifs de salaries, plutôt de petite taille à priori. Si ces formes se développaient, cela ébranlerait le rôle de représentation des syndicats, y compris la CNT et SUD. D’autre part, lorsqu’il y aurait un conflit social important, ces collectifs auraient déjà été même, modestement, une école de démocratie directe, pour apprendre à dire son mot à égalité ou même à la place des syndicats.

– Cela voudrait dire que dans des périodes « plus calmes », le collectif a vocation à faire circuler de l’info auprès des salariés et, dans des périodes de lutte comme lors de la RTT, à essayer de promouvoir l’idee d’auto-organisation…

Y. – Oui, c’est ça. Au bout d’un an et demi, l’impulsion persiste de rester une communauté de combat. Nous avons continué à nous réunir une fois par mois. Nous nous entretenons les uns les autres, faisant notre possible chacun en son lieu de travail, pour une résistance plus virulente des salariés. Pour le moment, ce n’est pas le cas. La chape de plomb des organisations syndicales inertes est telle que c’est plutôt un certain défaitisme qui domine. Et nous rencontrons tous les jours l’obstacle de « l’intégration ouvrière » au capitalisme. L’obsession d’arriver à la préretraite est aussi forte à un bout de la pyramide des âges que l’est à l’autre bout la quasi-paralysie par la précarité/flexibilité. Paradoxalement les gens sont conscients de l’inanité des syndicats et massivement imprégnés du fait que ce sont tout de même ces syndicats qui sont responsables de leurs affaires, chargés du monopole de les défendre, de négocier carrières et perspectives d’avancement ou miettes salariales.
Bien que les privatisations détruisent leurs habitudes de boulot, il est clair que la plupart des gens ne perdent pas encore assez pour se bouger le cul et prendre eux- mêmes leur intérêt en main.
Néanmoins, nous persistons à interpeller nos collègues, par des tracts à l’entrée des cantines PTT, par des discussions au boulot, à chaque occasion propice depuis un an et demi : contre la suppression des guichets Télécom pour la population en interdits bancaires ; contre les tentatives de nous faire bosser totalement les same- dis ; contre des suppressions d’emplois et des réorganisations ; au quotidien contre les pressions des managers, notamment sur les plus précaires ; à rebrousse-poil des syndicats et partis de tous acabits, dans des manifs comme celles du 26 novembre ou du 3 avril derniers, qui ne risquent pas d’enclencher un mouvement social contre les projets gouvernementaux.

– Et qu’en est-il de la CNT qui se présente comme un syndicat radical, différent des autres, y compris en critiquat SUD, « devenu comme les autres » ?

Y.- Tant qu’ils ne se présentent pas aux élections professionnelles, ils évitent déjà un sacre écueil. Mais il y a un second écueil pour eux qui est typiquement un écueil du syndicaliste : c’est « l’expertocratie ». Du fait de la complexité et de la dérèglementation du droit du travail et du droit des fonctionnaires (les deux coexistent à la Poste et aux Télécoms), cela requiert des experts pour défendre les salaries soit individuellement, soit collectivement. J’entends aussi le discours de la CNT qui était le discours de SUD au début : « ce sont les assemblées générales qui doivent trancher ». La CNT reste sur la réserve des qu’il y a un mouvement, ils sont derrière SUD, laissent SUD diriger les évènements un peu avec la CGT et font entendre leur petite différence sur le côté. C’est une attitude trop « petit braquet » pour devenir une organisation radicalement alternative aux boutiques syndicales.

– Y a-t-il des écueils typiquement syndicaux que vous cherchez à éviter ?

Y. – En février dernier, il y a eu une grève des facteurs de mon bureau, pour s’opposer à la suppression du repos un samedi sur deux, et de trois tournées. Durant les semaines précédentes, notre collectif en avait encouragé le déclenchement, avec la CNT locale et une certaine représentation de SUD. Mais faute de s’étendre à d’autres établissements, après notamment une pseudo- négociation, la grève s’est éssoufflée au bout de trois jours. II y a un écueil typiquement syndical que je crois fondamental à éviter : nos patrons sont bien formes à toutes les méthodes de combat antisocial, les « rounds de négociations » en font partie, surtout pendant une lutte déterminée. Sous peine de se faire dévoyer, et surtout d’y perdre du temps et de l’élan,un mouvement de grève ne doit jamais être demandeur de la moindre négociation.

– Comment vois-tu l’avenir de votre collectif ?

Y. – Nous ne sommes pas dogmatiques de notre forme d’organisation, par contre je suis sur qu’il n’y a pas d’autre attitude que de travailler à couver des lames de fond qui obligent l’adversaire de classe à reculer, à céder sans discuter. Cela prendra du temps ; mais on trouve déjà un réconfort encourageant dans notre propre attitude de résistance, on fait la nique aux normalisateurs de tous poils : nous, ils ne nous auront pas !