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Trouvé sur Abolition Media, le 11/07/2024, un texte revenant sur les événements au Kenya, ainsi qu’une contextualisation sur la situation politique du pays.

Tout doit tomber, tout doit changer !

La jeunesse du Kenya ne plaisante pas.

Iels ont envahi l’Assemblée Nationale du Kenya le 25 juin 2024. Iels en ont incendié une partie. Iels ont dévasté le bâtiment sacré, détruisant tout ce qui était à portée. CertainEs ont même mangé la nourriture de la cafétéria qui avait spécialement été préparée pour les ‘déshonorables’ membres du parlement et les sénateurs. D’autres ont cassé leur chemin jusqu’aux Chambres du Sénat et ont pris leur place en tant que représentantEs du peuple, dont une personne qui a pris la place de Président. La masse en or, symbole de l’autorité parlementaire, a été emportée pour installer un parlement du peuple dans une zone libérée, loin de l’Assemblée Nationale discréditée et déshonorée.

Les parlementaires ont été assiégés. Ils ont été emmenés en sécurité par un tunnel souterrain, similaire à ce qu’on appelle au Kenya une ‘route panya’, qui désigne un chemin caché et illégal. Panya signifie rats en kiswahili. Les parlementaires ont été traités comme les rats parasites qu’ils sont devenus au Kenya. En passant l’impopulaire loi de finances 2024, les parlementaires, ou MPigs [MP signifiant Membre du Parlement] comme ils sont désignés par les militantEs, sont devenus pire que des rats avides.

La jeunesse n’en avait pas encore fini.

Iels ont envahi la Cour Suprême, symbole du second bras du gouvernement. Iels ont ravagé et détruit tout ce qui se trouvait dans le bureau du président de la Cour Suprême, qui est largement décrit comme un allié du Président Ruto et du régime Kenya Kwanza (KK) – l’alliance qui dirige le pays. Un bureau dans les chambres du Gouverneur du Comté de Nairobi a aussi été incendié, ainsi que les permanences et domiciles de certains parlementaires qui avaient voté pour la loi de finances.

Le bruit et la fureur de la jeunesse était répandu à travers les villes et villages du Kenya. Les jeunes manifestantEs avaient appelé à 7 jours de rage du 21 au 27 juin. Le 25 juin fut le point culminant de cette rage, dénommé Super Tuesday, avec l’invasion du parlement.

Cela n’était jamais arrivé ainsi dans l’histoire de la résistance au Kenya. Davantage arrivera à l’avenir. La résistance de la jeunesse est palpable. Elle l’est aussi pour les masses du peuple dans tout le pays qui ont été réduites en mendiantes par le régime à bout de souffle.

La génération Z mène cette résistance dans le meilleur langage que comprenne l’oppression, le militantisme radical et l’humiliation du régime. Il n’y a pas plus humiliant que de voir des parlementaires s’enfuir et détaler pour leur sécurité, certains d’entre eux s’étant même évanouis à cause de la peur. Cela aide à faire comprendre aux politiciens à quel point leur pouvoir est fragile. A quel point le pouvoir change rapidement de main, ou comme les jeunes qui parlent majoritairement en argots Sheng et Shembeteng le disent dans une chanson de hip hop, Ina come, ina go ! (ça va et vient).

Au moins 41 jeunes manifestantEs ont été tuéEs par la police kényane durant ce soulèvement. Iels reposent en pouvoir. Iels sont des martyrs de notre libération. Des milliers ont été blesséEs. Beaucoup d’autres sont toujours disparuEs. Ce soulèvement ne sera pas vain.

Derrière le bruit et la fureur

Le régime actuel au Kenya du Président Ruto et de la Coalition KK est arrivé au pouvoir après les controversées élections de 2022. Le régime est arrivé au pouvoir en se prétendant comme les vrais représentants des plus défavoriséEs, la majorité souffrante qu’ils ont appelé des débrouillardEs [hustlers en anglais]. Ils ont prétendu qu’ils étaient contre le règne des dynasties et des riches, représenté par Raila Odinga, porte-drapeau de la Coalition Azimio, et celui qui le soutient Uhuru Kenyatta, l’ancien président.

La majorité de la jeunesse, particulièrement dans le centre du Kenya et dans les communautés Kalenjin – la base solide du soutien au président actuel, ont vu en Ruto la possibilité d’élire l’un des leurs, un débrouillard qui prétendait être un ancien vendeur de poulet. Ses partisanEs étaient réjouiEs quand il a gagné les élections de 2022. Enfin, leur homme était au pouvoir. A bas les dynasties ! iels disaient.

Du point de vue des politiques tribales, celleux qui ont élu le président actuel étaient aveugles au fait que Ruto n’était pas un débrouillard comme elleux, mais le chef d’une clique de politiciens avides qui ont conquis le pouvoir et accumulé une richesse répugnante par la sournoiserie et les mots doux, ce que Uhuru Kenyatta, son prédécesseur, désignait négativement en kiswahili comme mdomo tamu tamu (baratin). Ses sympathisantEs ont oublié que Ruto s’est hissé au pouvoir et à la richesse à l’apogée des fameux Youth for KANU 1992 (YK 92), cet ensemble malfaisant de jeunes mercenaires politiques qui soutenaient la dictature Moi-KANU, non pas pour le bien du pays, mais pour assouvir leur propre avidité personnelle de pouvoir et de richesse. Ils ont soutenu l’ancien président Daniel arap Moi dans son pillage du pays, dont l’impression de faux billets, et, en même temps, ils sont devenus très puissants et riches.

Ruto était un ardent disciple d’un dictateur sans pitié. CertainEs d’entre nous savaient que les KenyanEs crédules avaient consommé un poison de masse qui tuerait notre peuple et le pays petit à petit. Les jeunes du soulèvement expurgent ce poison de leurs veines et des masses du pays.

Quand est-ce que les pluies ont-elles commencé à nous battre ?

Le Kenya est un pays profondément inégal. L’écart entre les pauvres et les riches n’a cessé de se creuser depuis que le pays a gagné son indépendance des colons britanniques en 1963. La privation et le désir continuent d’écraser les gens à travers les générations qui luttent contre les impasses de la survie animale. Les régimes successifs au Kenya n’ont pas seulement échoué à réduire l’écart inégal, mais l’ont plutôt creusé davantage dans l’économie de retombée menée par le FMI et la Banque Mondiale, et autres variétés d’économies de marché. Ce sont ces frustrations, angoisses et fureurs générationnelles que Ruto et la brigade KK ont exploité, alors même que leurs propres économistes et conseillers principaux portaient ces mêmes politiques et économies néolibérales.

Une fois au pouvoir, le gouvernement KK a lié le pays aux intérêts étrangers. Les crises économiques mondiales ont fait rage, alimentées par les conséquences du Covid-19, de la guerre en Ukraine, et des déséquilibres économiques liés. Pendant la campagne, Ruto et les piliers du KK ont sans cessé répété que ces facteurs n’avaient rien à voir avec le désastre de l’économie kényane. C’était simplement une conséquence des ‘politiques et économies des dynasties’, qu’ils ont juré de démasquer et abroger dès qu’ils auraient le pouvoir.

Pourtant, l’ascension au pouvoir de Ruto et du KK n’ont pas mené à quoique ce soit de particulièrement différent que les précédents régimes. Le coût de la vie a augmenté, particulièrement chez les classes inférieures du pays. Les pauvres s’appauvrissaient tandis que les mesures néolibérales étranglaient le pays, poussant les masses aux limites de la survie. L’éducation, dont les études supérieures, a été marchandisée, la rendant trop chère et inaccessible pour des millions de familles en difficulté. L’assurance maladie par le biais de la Caisse d’Assurance Nationale (NHIF) a été réduite à un artifice de rebranding. Les droits à un logement décent ont été embrouillés dans des systèmes faisant référence à un logement abordable qui sont non seulement confus et incompréhensibles, mais consistent en un type de vente pyramidale pour rassasier les appétits des fossoyeurs avides de l’État des des politiciens. Les sécheresses et inondations récentes dans le pays furent une opportunité parfaite pour le régime KK de cacher leur incompétence. Le régime se console comme une autruche cachant sa tête dans le sable pendant que les masses se noient dans des océans de pauvreté.

Arrive la loi de finances 2024

La loi de finances 2024 était censée pousser tout un tas de taxes punitives variées. Celles-ci incluaient des taxes sur des biens essentiels, des services, du contenu digital, des revenus individuels, et bien plus. Cette loi était à la fois bruyamment et silencieusement rejetées par de nombreux secteurs du pays, dont les sociétés et associations professionnelles. Le rejet de la loi était vocalisée par la jeunesse, menée par la génération Z, qui a pris la rue dans une démonstration de force avec des manifestations dans tout le pays. Les jeunes étaient, après tout, le groupe qui serait le plus affecté si l’impopulaire loi était promulguée.

La jeunesse a fait de l’espace numérique un terrain de résistance, et a mobilisé des millions de personnes dans la rue à travers les réseaux sociaux et l’organisation des communautés. Le hashtag #RejectFinanceBill2024 a pris vie. La jeunesse n’avait rien à perdre. Leurs vies, comme Karl Marx le disait en 1848 sur la classe ouvrière qui n’avait rien d’autre à perdre que ses chaînes, étaient déjà gâchées par le chômage et noyées par le haut coût de la vie. D’un autre côté, iels pouvaient voir que les politiciens étaient notoirement impliqués dans la corruption, le détournement de fonds publics, une opulence diabolique et d’autres forces d’abus de leur stature et d’extravagance.

La rage de la presque-révolution du Kenya était alimentée par une génération de douleurs et de déceptions dans les gouvernements néo-coloniaux du Kenya. La rage était un bouillonnement qui a explosé. Les antennes de la conscience politique de la jeunesse, particulièrement la génération Z, qui semblaient en majorité apolitiques, se sont grandement élevées. Cela ne pouvait pas et ne peut pas être stoppé, par quoique ou qui que ce soit, excepté l’accomplissement total de toutes leurs demandes et un ordre social juste au Kenya. La jeunesse a envahi les barricades du pouvoir arrogant sur plusieurs fronts, de façon organique, sans porte-parole ni leader ni tribu.

Ce soulèvement de la jeunesse change la donne de la politique de la résistance au Kenya. Le label d’apathie politique qui prévoyait a été prouvé faux. Iels ont pris par la gorge le pouvoir incompétent qui a son emprise sur ce pays depuis de nombreuses années. Leur résistance a enfin obtenu de premiers gains.

Comme conséquence du soulèvement, le président Ruto et sa cohorte de parlementaires et agents du gouvernement discrédits ont été forcé de céder et d’abandonner l’impopulaire loi des finances 2024 dès le 26 juin.

Les mots d’abandon de Ruto furent « J’écoute attentivement les KényanEs qui ont dit haut et fort qu’iels ne veulent rien savoir de ce projet de loi de finances 2024, et je concède. »

Où est la Révolution ?

Le soulèvement de la jeunesse au Kenya a obtenu la première et principale demande – le rejet total de la loi de finances. C’est une victoire majeure, mais elle a aussi atténué la magie et l’énergie du soulèvement. L’État est déjà en train de consolider son pouvoir à travers la police et les forces armées. Les manifestations suivantes à Nairobi et dans le restes du pays, sous le slogan de #RutoMustGo, ont été moins intenses. Dans le pire des cas, les manifestations ont été infiltrées par des sbires de politiciens pro-régime, comme la Kenya Land and Freedom Army, plus connue sous le nom de Mau Mau, a été infiltrée par des loyalistes du régime coloniale dans les années 1950. Beaucoup de manifestantEs sont retournéEs dans leur zone de confort et les réseaux sociaux pour savourer la victoire du soulèvement, et faire connaître le reste de leur mécontentement.

La plupart des soulèvement du passé finissent en retraites, trahisons, réformes ou révolutions. Les expériences des révolutions en Afrique et dans le reste du monde montrent que la vulnérabilité de l’État un ingrédient clé de révolutions réussies.

Les bas-fonds du régime actuel au Kenya a subi un coup dévastateur du soulèvement de la jeunesse. L’État a été affaibli et est désormais vulnérable. Son KO technique pourrait être imminent. Le régime peut tomber. Il tombera, ce n’est pas une question de si, mais de quand. Les flammes des soulèvements de masse ont été rallumées par la jeunesse. Une révolution est dans l’air au Kenya.

Comment cette révolution fera advenir un ordre social radical et juste au Kenya dépend de comment se placeront les forces sociales, les mouvements et organisations révolutionnaires doivent se nourrir de ce soulèvement. Il y a déjà des actions dans cette direction, dont par le front uni de différents partis politiques et mouvements de gauche, comme le Parti Communiste du Kenya, la Ligue Socialiste Révolutionnaire, Kongamano la Mapinduzi (Coalition pour la Révolution), les syndicats étudiants, les centres de justice sociale, les collectifs féministes, et d’autres.

La jeunesse menée par la génération Z sait qu’il est maintenant venu leur heure de toucher au changement. L’avenir leur appartient. Iels prennent le contrôle des événements. La classe ouvrière se bat pour sa survie, la classe moyenne pour sa sécurité. Un mouvement social anti-système est en construction, mené par le dynamisme et l’énergie de la jeunesse. Un nouvel ordre politique émerge au Kenya, comme autre part en Afrique.

Tout doit tomber. Tout doit changer.

Njuki Githethwa est un écrivain, militant et universitaire kényan. Il est l’éditeur en chef de Ukombozi Review au Kenya et un éditeur-contributeur pour la Review of African Political Economy (ROAPE).