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Suites à de nombreuses grèves dans les années 1870 dans le bassin de Saint-Étienne, dont celle de La Ricamarie de juin 1869, les idées de l’Internationale se propagent. Bakounine et l’Association Internationale des Travailleurs préparent un soulévement à Lyon depuis l’automne 1870. À la suite de l’insurrection parisienne du 18 mars 1871, l’Hôtel de ville de Lyon est occupé le 22.
Peu d’informations sur ce qui s’est passé à Saint-Étienne mais ce texte de David Cizeron offre une belle éphéméride à cet épisode révolutionnaire méconnu. Des informations sur les prémices de ce soulèvement ici.

  • Mise à jour : 26 mars 2021 à 15h24

    Nouvel article très intéressant et détaillé sur la Commune de Saint-Étienne en ligne

    Publié sur le site des amies et amis de la Commune de Paris. Écrit par Anne Morfin-Caton, arrière petite fille de Caton, protagoniste de la Commune de Saint-Étienne.

    Article à lire ci-dessous.

La Commune de Saint-Étienne

Article publié sur le site des ami.e.s de la Commune de Paris

A Saint-Étienne, le 4 septembre 1870, on apprend la proclamation de la République. Le conseil municipal dissous mais toujours en place décide de nommer un conseil provisoire et Tiblier-Verne, un républicain modéré, marchand de bois, est élu maire. Le 5 septembre César Bertholon, ancien député de l’Isère en 1848, exilé en Algérie, rédacteur en chef du journal radical l’Éclaireur est nommé préfet.
Le 12 septembre, il proclame « la Patrie en danger » et ouvre l’enrôlement dans la Garde nationale, il remplace le Conseil général par un Comité départemental républicain dont il choisit les membres parmi les républicains les plus connus. La municipalité lance un emprunt pour l’armement de la ville et des gardes nationaux et subventionne un Comité de défense employant 350 personnes pour produire jusqu’à 50 000 cartouches par jour. Elle s’attaque courageusement à la puissance de l’Église en supprimant les subventions aux établissements d’enseignement confessionnel et en installant dix-neuf écoles laïques dans des locaux appartenant à des Congrégations. Mais la guerre provoque une crise économique grave et une chute des commandes et des milliers d’ouvriers se retrouvent au chômage. Les républicains et socialistes de toutes tendances s’organisent en clubs.

Pendant l’automne et l’hiver 1870-1871, la gauche stéphanoise se structure en deux mouvements principaux : l’Alliance républicaine, qui s’exprime essentiellement par le journal l’Éclaireur regroupant des « modérés » et le Comité central républicain ou Club de la rue de la Vierge recrutant dans la Garde nationale, chez les ouvriers du textile, les employés de commerce et les artisans.

LE MOUVEMENT EN FAVEUR DE LA COMMUNE

Le 31 octobre, apparaissent sur les murs, des affiches rédigées au nom du préfet Bertholon convoquant le jour même les électeurs pour des élections municipales et appelant à l’élection d’une Commune. Les 13 et 17 décembre, les dirigeants du Club de la rue de la Vierge et ceux de l’Alliance républicaine organisent au Grand Théâtre des réunions pour réclamer la proclamation de la Commune. Le 29 décembre, le Club de la rue de la Vierge, dont le secrétaire est Jean Caton, fait paraître le journal La Commune avec comme sous-titre : Défense nationale. Le journal multiplie les appels en faveur de la Commune : « La Commune c’est notre titre, et nous en sommes fiers. La Commune, c’est la pyramide sociale remise sur sa base : le peuple, c’est-à-dire la totalité des citoyens. »

Le 3 février 1871, une nouvelle affiche annonce la proclamation de la Commune pour ce jour mais le conseil municipal refuse de se dissoudre, provoquant une division dans le mouvement républicain entre ceux qui font confiance aux élections et aux institutions et ceux qui veulent aller plus loin et, sans attendre, proclamer la Commune.

Aux élections législatives du 8 février 1871, les républicains sont divisés et seul Frédéric Dorian, un industriel protestant et saint-simonien est élu alors que les conservateurs ont dix élus dans le département. Le 10 février, Bertholon démissionne car il refuse de faire afficher le décret reconnaissant les droits des membres des familles royales et impériales. La méfiance des républicains radicaux et socialistes s’accroît de jour en jour et La Commune appelle à la vigilance. Le 26 février le journal écrit : « On parle déjà de désarmer la Garde nationale. C’est toujours ainsi qu’on s’y prend quand on veut étouffer la République. » Le 3 mars, malgré la désunion aux élections, les membres du Club de la rue de la Vierge et ceux de l’Alliance républicaine organisent une réunion en hommage à Jean Thomas, veloutier, trésorier du comité de grève de 1865, « vieux républicain qui vient de décéder. »

LA PROCLAMATION DE LA COMMUNE À SAINT-ETIENNE

Le 18 mars, le peuple parisien s’insurge et les 72 jours de la Commune de Paris débutent. Le 22 mars, La Commune exulte : « La révolution triomphe ! […] Le peuple se réveille et veut la Commune. » Dans la journée les autorités militaires demandent le désarmement de la Garde nationale. Une réunion se tient dans la salle du Prado ; la Commune y est acclamée et on adhère au « mouvement de Paris ». Il est décidé d’envoyer une délégation commune du Club de la rue de la Vierge et de l’Alliance républicaine, « exiger du maire la proclamation immédiate de la Commune ».

Le 23 mars, apprenant la proclamation de la Commune à Lyon, les délégués de l’Alliance Républicaine et du Club de rue de la Vierge demandent à nouveau au conseil municipal de se dissoudre et l’élection immédiate d’une Commune. Le maire Pierre Boudarel, qui a remplacé Tibier-Verné mort en décembre, répond qu’il va soumettre cette proposition au conseil municipal. Le soir, une nouvelle réunion se tient au Prado. De Rolland pour l’Alliance Républicaine déclare : « il faut aller demander la Commune avec l’arme au pied, la cartouche aux dents. »

Le 24 mars, La Commune écrit : « Gardes nationaux, imitez l’exemple de Paris ; et que la triste fin des généraux pour lesquels la vie du peuple est un marchepied, serve de leçon à ceux qui seront tentés de les imiter » et le journal alléguant une conspiration « antirépublicaine de la réaction » propose à l’Alliance républicaine de former « en commun une liste de candidats en vue de l’installation de la Commune ». Une nouvelle délégation se rend à l’Hôtel de Ville et le conseil municipal (sauf huit membres) accepte de démissionner mais le maire indique qu’il reste en fonction jusqu’aux prochaines élections. Les délégués de l’Alliance républicaine se déclarent satisfaits.

Dans la soirée, une nouvelle assemblée se tient à la salle de la rue de la Vierge, les orateurs mécontents de la tournure des événements proposent la désignation de onze délégués « plus énergiques ». On réclame « d’agir sans plus tarder » et de « marcher sur l’Hôtel de Ville ». Vers huit heures, la Garde nationale occupe l’Hôtel de Ville « en chantant la Marseillaise et en acclamant la Commune ». Une heure plus tard, les lieux sont envahis par la foule, et les représentants du Club de la Vierge demandent aux autorités présentes (le préfet intérimaire, le maire et deux de ses adjoints, le commandant de la Garde nationale) de proclamer la Commune ! Évidemment, ils refusent et sont arrêtés. Vers minuit, la Commune est proclamée par la foule. Le drapeau rouge est hissé. Les prisonniers sont remis en liberté sous « la seule condition que le conseil municipal serait appelé à décider si la proclamation de la Commune à Saint-Étienne devait être soumise à un vote populaire ». La Garde nationale et les manifestants se retirent au petit matin. Pendant ce temps, les autorités désignent un nouveau préfet, Henri de l’Espée qui, immédiatement, fait placarder une affiche menaçante : « Arrivé cette nuit dans les murs de votre chef-lieu j’ai trouvé des factieux tentant de consommer un attentat contre l’ordre et les lois de la République […] Puissamment secondé par l’autorité militaire j’ai pu convoquer la Garde nationale de Saint-Étienne. La seule apparition de quelques bataillons, accourus avec un empressement dont je les remercie, a déterminé la complète retraite de séditieux. »

Le conseil municipal demande au préfet le retrait des troupes, deux escadrons de cavalerie et 160 hommes d’infanterie, massées aux abords de l’Hôtel de Ville. Une compagnie de gardes nationaux de l’ordre puis une seconde viennent assurer la sécurité du préfet installé dans la mairie qui sert aussi de préfecture. Dans la ville, le rappel est battu, des gardes nationaux en armes et des manifestants parcourent les rues « drapeau rouge en tête » et s’emparent de la Manufacture. Le 25 à midi, les délégués de la Garde nationale sont reçus par le conseil municipal qui accepte l’organisation, dans leur sein, d’un référendum pour ou contre la Commune. De l’Espée refuse. Vers quatre heures, les garde nationaux reviennent en force, bousculent les gardes de piquet qui n’ont pas le temps de fermer les grilles et font prisonniers le préfet de l’Espée et le substitut du procureur, Gubian. Dehors des coups de feu éclatent, un garde national est tué. Vers dix heures, une nouvelle fusillade a lieu à l’intérieur ; trois personnes dont le préfet sont tuées. Devant la tournure des événements Jolivalt, désigné comme commandant de la place, prend la direction des opérations ; il fait occuper la gare, le télégraphe, la poudrière et décide la tenue d’élections à la Commune pour le 29. Il fait placarder deux affiches au nom d’un Comité révolutionnaire qu’il préside et réquisitionne quatre cent mille cartouches, un canon et huit mitrailleuses.

Caton puis Antoine Chastel sont nommés secrétaires du Comité, Guillaume Michel-Berton commandant provisoire de la Garde nationale, et Durbize, chargé de la Direction du télégraphe. Le 26, Gubian et un garde national de l’ordre, Édouard de Ventavon, sont traduits pendant trois heures devant le « Comité constitué en tribunal », les deux hommes sont acquittés et libérés. Des cartes d’électeurs sont commandées, les cafés sont ouverts et les élections préparées. Mais le mouvement reste isolé, peu de décisions sont réellement prises, la foule commence à quitter les lieux. Le 27, les troupes commencent à arriver de Lyon et le 28 à six heures du matin, l’Hôtel de Ville est encerclé, le drapeau rouge est enlevé. Un envoyé provisoire, de Mongolfier, nanti des pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre arrive. Il ne reste qu’une soixantaine de personnes dans l’Hôtel de Ville qui se rendent après négociation. La Commune de Saint-Étienne est vaincue.

LA RÉPRESSION

Les arrestations se multiplient ; les militants du Club de la Vierge [1] se cachent. Mais le 30 avril les élections municipales portent à la mairie trente-deux candidats présentés par les républicains de l’Alliance républicaine et les socialistes du Comité central encore en liberté, contre quatre élus soutenus par Ducros. Boudarel est réélu maire mais immédiatement révoqué par Ducros qui le remplace par un délégué de la préfecture puis finalement remplace le conseil tout entier par une commission.

Les autorités se méfient d’un procès à Saint-Étienne et après quelques hésitations cinquante-six accusés (douze sont contumaces) sont traduits devant la cour d’assises du Puy-de-Dôme à Riom. Caton, Chastel, journalistes à La Commune, Marchetti, Tamet et Thibaudier, membres de l’Internationale et Amouroux, délégué de la Commune de Paris, sont condamnés à la déportation en enceinte fortifiée ; un accusé est condamné à douze ans de travaux forcés, trois à la déportation simple, quatorze à des peines de un à dix ans d’emprisonnement, vingt-trois prévenus sont acquittés.

Les arrestations se poursuivirent longtemps encore, jusqu’en 1874. Lorsqu’en 1873 se déclencha une grève des mineurs, le préfet de police écrivit au préfet de la Loire : « Je suis informé qu’une grève vient d’éclater à Saint-Étienne, elle est probablement l’œuvre des délégués de l’Internationale qui ont dû se réunir clandestinement dans cette ville ». La réaction se remettait difficilement de sa peur. L’Internationale, proscrite, lui semble resurgir à chaque colère populaire. Le spectre de la Commune la hante encore.

ANNE MORFIN-CATON (ARRIÈRE PETITE-FILLE DE CATON)
PIERRE-HENRI ZAIDMAN

Un peu d’Histoire : « La Commune de Saint-Étienne »

Je ne sais pas si la Commune de Saint-Étienne mérite d’être signalée – si elle appartient à l’histoire, je veux dire une histoire digne de ce nom et non pas un récit scrupuleux d’événements superficiels fait par des nécrologues, chroniqueurs ou mémorialistes maniaques ou des érudits locaux, si elle ne dépend pas du mirage d’une nostalgie rouge ou noire qui se trompe trop souvent de souvenirs et désire voir au moindre « mort aux vaches » du Kroptokine dans le geste quitte à surévaluer ces faits minuscules dont les rapports entretenus avec l’Internationale relèvent plus, pour la plupart, du malentendu ou du fantasme. Pour tout dire, l’événement majeur de cette Commune stéphanoise semble être la mort d’un préfet et encore la majorité des récits la considère, cette mort, comme accidentelle – mais l’histoire est légitimiste.

J’en viens enfin aux faits, brièvement… il ne faut jamais oublier de délimiter le terrain de jeu au risque de se perdre dans une abstraction schématique et sans borne et oublier de donner un quelconque support et ordonnancement chronologique, humain, factuel à l’événement. Donc : la Commune de Saint-Étienne a lieu entre le 24 et le 28 mars 1871, après plusieurs jours d’agitation montante. Le 24 mars une centaine de manifestant.e.s rejoints par la Garde Nationale et la foule ; ils et elles investissent l’Hôtel de ville et hissent sous la coupole le drapeau rouge.

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Cou-Tors et les révoltés stéphanois

Le 12 septembre la Patrie est proclamée en danger. Dès le 31 octobre, Saint-Étienne s’agite à l’appel des socialistes qui réclament la Commune. Dans les cafés et cercles, comme à Paris, on parle de démocratie à la base. A partir de décembre paraît un journal qui a pour nom La Commune. Dès le premier numéro, le journal donne le ton : « La Commune c’est la pyramide sociale remise sur sa base… c’est l’appel social au banquet de la vie, à l’harmonie, à l’entente cordiale. » Il n’aura de cesse d’ inciter à la constitution d’un pouvoir de type nouveau. Le fédéralisme apparaît comme la solution. Tout ce qui n’est pas fédéralisme est assimilé au système impérial, « qu’il s’incarne dans un Bonaparte, un Gambetta ou un Robespierre, peu importe ! »

Le 23 mars, c’est une compagnie nombreuse de gardes nationaux qui traverse la place de l’Hôtel de Ville aux cris de « Vive la Commune ! » Une délégation du club de la rue de la Vierge se rend aussitôt à la mairie et demande la démission du Conseil municipal. Par 17 voix contre 7, les conseillers municipaux se déclarent prêts à se retirer mais décident aussi de demeurer en fonctions jusqu’aux élections destinées à pourvoir à leur remplacement. Le lendemain, plusieurs centaines de membres des clubs socialistes font irruption sur cette même place et envahissent le pérystile de l’Hôtel de Ville. Les grilles cependant empêchent la foule de pénétrer plus avant dans le bâtiment. Le colonel Lagrive se présente à elle et après négociations autorise une délégation, dont fait partie Durbize, à pénétrer dans les lieux pour y rencontrer le maire. Elle demande à Boudarel et à Morellet de proclamer la Commune. Sur leur refus, la Garde nationale laisse entrer la foule qui s’engouffre dans les couloirs. Dans la nuit, Durbize proclame lui-même la Commune et arbore le drapeau rouge. Cou-Tors fait partie, le 24 mars, du comité insurrectionnel qui s’empare de l’Hôtel de Ville et procède à l’arrestation des autorités. Désigné responsable de la police, il fait afficher un appel au peuple en vue d’élire les membres d’une Commune. »

L’intégralité de l’article à lire sur le site de Résistance Verte.

La Commune de Saint-Étienne

Le 18 mars 1871, une émeute éclate à Paris sur la butte Montmartre, marquant le commencement de la Commune. Ce mouvement insurrectionnel dura 71 jours dans la capitale et s’acheva dans un affreux bain de sang essaima dans divers villes de province : Lyon, Marseille, Toulouse… Et à Saint-Étienne du 24 au 28 mars 1871. Quatre petites journées de braise marquées par l’occupation de l’Hôtel de Ville et le meurtre de préfet Henri de l’Espée. L’insurrection est né à la fois d’un sursaut patriotique contre l’abdication du pouvoir politique, synonyme de trahison, durant la guerre contre la Prusse, et d’un puissant réflexe républicain contre les périls d’une restauration de nature monarchique. Par la masse de ses combattants et par le fort pourcentage d’ouvriers au sein de ses instances dirigeantes, elle apparaît comme la première insurrection prolétarienne et la première tentative de gouvernement de la classe ouvrière.

En juillet 1870, « Napoléon le petit » déclare la guerre à la Prusse. Mal préparés, inférieurs en nombre et surtout mal commandés, les soldats français sont submergés et leur défaite consommée en quelques mois malgré des faits d’armes célèbres, comme celui de Reichshoffen. Le 2 septembre, à Sedan, Napoléon III est fait prisonnier. A Paris, un gouvernement provisoire de défense nationale est formée sous la présidence du général Trochu, gouverneur militaire. Il est composé de Républicains dont les plus célèbres sont Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, Jules Favre et Jules Ferry. Sous la pression populaire, la IIIe République est proclamée le 4 septembre. Le siège de Paris débute le 19 septembre. Dans un rayon de 10 km autour de la capitale, les armées allemandes encerclent la capitale et attendent. Les troupes parisiennes, soldats et gardes nationaux (c’est à dire des civils mobilisés), tentent quelques sorties pour faire sauter le verrou mais leurs tentatives échouent. Début octobre, Gambetta quitte Paris en montgolfière et gagne Tours où il réorganise une armée pour libérer Paris. Tentative courageuse mais sans lendemain. A Metz, ce même mois d’octobre, Bazaine se rend avec 100 000 hommes ! Dans la capitale, de nombreux clubs révolutionnaires entretiennent l’agitation politique et cultivent dans les esprits des idées héritées de 1793 : « la Patrie en danger », la « levée en masse ». Une première manifestation a lieu le 31 octobre 1870. Elle réclame une commune, c’est à dire un gouvernement du peuple destiné à instaurer, comme dans l’esprit de 1792, des mesures de salut public. Elle est réprimée.

Vient l’hiver, terrible, et les bombardements de l’artillerie prussienne. La pénurie s’installe ; les prix flambent ; la mortalité augmente. Les animaux du Jardin des plantes, éléphants, antilopes et chameaux sont sacrifiés au profit des tables de luxe. Les plus humbles chassent les chats et les chiens, les rats. Le 22 janvier 1871, le général Trochu, après la désastreuse sortie de Buzenval, démissionne et préconise la capitulation. Une émeute éclate, des délégués de la Garde nationale, des clubs politiques parisiens, des comités de vigilance, décident un manifestation place de l’Hôtel de Ville mais des soldats tirent sur la foule qui s’éparpille tandis que des gardes nationaux ripostent. Paris capitule et Jules Favres signe l’armistice le 28 janvier, malgré Gambetta qui veut poursuivre la lutte. Dix jours plus tôt a eu lieu l’humiliation de Versailles où Guillaume, roi de Prusse a été proclamé Empereur d’Allemagne.

L’armistice est signée pour une période de quelques semaines, le temps aux vaincus d’élire une assemblée nationale. Bismark en effet, a besoin que le traité de paix définitif soit entériné par une autorité légitime afin de ne pas être plus tard contesté. Les élections du 8 février 1871 donnent le pouvoir à une large majorité royaliste, de diverses tendances. Mais à Paris ce sont les Républicains qui sont majoritaires. L’Assemblée nationale, réfugiée à Bordeaux, nomme alors Adolphe Thiers chef du gouvernement. Celui-ci cherche à conclure un traité de paix avec la Prusse. Le 1er mars, les Teutons défilent dans les rues de la capitale où les statues sont voilées de noir par les habitants. La population rumine son humiliation. Un certain Georges Clémenceau, maire de Montmartre, affiche une proclamation où l’on peut lire : « On vous a livré sans merci. Toute résistance a été rendue impossible. »

Une série de mesures décrétées par le gouvernement (depuis Versailles maintenant où il est protégé par les troupes du Kaiser) va mettre le feu au poudres. Le 10 mars, il décide de lever le moratoire sur le remboursement des effets de commerce et les loyers qui avait été instauré au début de la guerre. Il supprime aussi l’indemnité de 30 sous par jour due aux 180.000 hommes de la Garde nationale, majoritairement issus de la petite bourgeoisie et du monde ouvrier. 180 000 hommes en armes ! Thiers enfin, allume la mèche en décidant de récupérer les 227 canons positionnés sur les buttes de Montmartre et de Belleville. Le 18 mars, la foule s’assemble et fait face au détachement envoyé par le chef du gouvernement. Les soldats se débandent ou se rallient au petit peuple. Les généraux Lecomte et Clément-Thomas sont arrêtés puis sont passés par les armes. Le second, en 1848, avait durement réprimé le soulèvement républicain. D’autres émeutes se produisent au même moment en d’autres quartiers de Paris et des soldats fraternisent avec les insurgés. Les bataillons de la Garde nationale se groupent en fédérations d’où le nom de « fédérés » que l’on donnera aux insurgés.

Elu au Conseil de la Commune et maire de l’arrondissement des Batignolles dont il organise la défense pendant la Semaine sanglante. Il prend le chemin de l’exil après la chute de la Commune, revient après l’amnistie de 1880 et préside le congrès socialiste de Saint-Étienne (1882) qui voit la rupture entre réformistes (possibilistes) menées par Paul Brousse, et guesdistes (marxistes). Socialiste indépendant, il est le fondateur, avec Elie Peyron et le premier directeur, de 1885 à sa mort, de La Revue socialiste qui fut ouverte à toutes les tendances du socialisme français. Il publie de nombreux ouvrages, dont Le Socialisme intégral (1891) qui devait influencer toute une génération de militants. A sa mort, 10 000 personnes accompagnent son corps au Père-Lachaise. En 1913, un monument destiné à recueillir ses cendres est érigé face au Mur des fédérés et Jean Jaurès lui rend hommage.

Le 26 mars, des élections sont organisées pour désigner les membres du Conseil général de la Commune de Paris. La moitié des électeurs a voté. L’autre moitié, gens aisés et fonctionnaires, a détalé vers Versailles. Outre une vingtaine de républicains, toutes les tendances socialistes sont représentées. Parmi les révolutionnaires, on trouve les « jacobins », centralisateurs et intransigeants, Delescluze, Gambon, Pyat… admirateurs de la Révolution de 1789 et qui entendent mener la lutte contre la bourgeoisie et l’église. Les « blanquistes », privés de leur chef de fil, emprisonné en Bretagne, sont une dizaine : Chardon, Ferré, Eudes, Rigault… adeptes d’une insurrection avant-gardiste plus que d’un large mouvement de masse. Les « radicaux » dont sont Arnould, Amouroux ou Clément sont partisans de l’autonomie municipale et d’une république démocratique et sociale. Il y a encore les internationalistes « proudhoniens » dont Eugène Varlin et le Forézien Benoît Malon, tous deux dirigeants de l’Association Internationale des Travailleurs (la 1re Internationale, créée en 1864), des « indépendants » : Jules Vallès et le peintre Gustave Courbet…

A Saint-Étienne, l’annonce de la chute de l’Empire et la proclamation de la République soulève l’enthousiasme des classes populaires. Depuis 1831, l’histoire ouvrière de la ville, et en règle générale de tout le bassin stéphanois, se distingue par un foisonnement de luttes extrêmement dures. En 1831, une émeute des armuriers fait plusieurs blessés à Saint-Étienne et entraîne l’arrestation de 18 personnes. Cette même année, les mineurs de Rive de Gier, puis les verriers, font grève. En 1834, les manifestations sociales des passementiers stéphanois, en liaison avec le mouvement lyonnais, se doublent de revendications républicaines contre la monarchie (Louis-Philippe est roi des Français). Des barricades sont élevées à Chavanelle, à Badouillère… Les affrontements font six morts et de nombreux blessés tandis qu’à Paris, un certain Thiers, futur boucher de la semaine sanglante, se fait la main rue Transnonain. En 1840 et en 1844, grève des mineurs de Rive-de-Gier. En 1846, grève des mineurs de Saint-Étienne. A la mine du Gagne-Petit, la Compagnie des Mines de Saint-Étienne fait tirer sur la foule : six morts. Personne n’oublia le geste du général Charron qui, frappé d’une pierre, désigna une femme qui fut aussitôt fauchée par les balles. Aussi, en 1848, la chute de Louis-Philippe et la proclamation de la République est elle accueillie avec un immense enthousiasme. Le drapeau rouge est hissé pour la première fois sur l’Hôtel de Ville de Saint-Étienne. A Rive-de-Gier aussi, où Jean-Marie Sigmard, un verrier, fait acclamer la République. Quelques semaines plus tard, une grave crise touchant la passementerie, les ouvrières ourdisseuses de soie saccagent plusieurs couvents-ateliers auxquels les rubanniers réservent leurs rares commandes et qui emploient des orphelines. Devant celui de la Sainte-Famille, les balles des soldats fauchent quatre femmes et un enfant.

Le coup d’État du 2 décembre 1851 enterre la Seconde République. Dans les mois qui suivent, les arbres de la Liberté, plantés à Saint-Étienne durant les événements de 1848, sont arrachés et une quinzaine de socialistes locaux sont arrêtés. Louis-Napoléon Bonaparte, qui n’est pas encore officiellement l’Empereur Napoléon III (21 novembre 1852) mais Prince-Président, visite Saint-Étienne le 18 septembre 1852 et y reçoit un accueil très chaleureux. Dans un article du Siècle, Edmond Texier écrit : « Il y a un mois, Saint-Étienne nommait Jules Favre membre du Conseil général, aujourd’hui cette ville crie « Vive l’Empereur ! » La légende impériale est toujours vivante dans le souvenir du campagnard et de l’ouvrier. Mais les drapeaux serrés, les échafaudages disparus, les uns retournent à la charrue, les autres à l’atelier et tous, à leurs instincts démocratiques. »

Un temps jugulées par l’Empire, les grèves reprennent dans le milieu des années 1860. En 1865, plusieurs milliers de veloutiers cessent le travail pendant quelques jours. En 1868, c’est dans le milieu ouvrier de la passementerie stéphanoise qu’est accueillie une première antenne de l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T), formé à Londres en 1864. Au passage, si c’est l’image du mineur en lutte qui prévaut aujourd’hui dans les mémoires stéphanoises, c’est le monde passementier qui le premier structura ses moyens d’actions : sociétés de secours mutuel, coopératives de production, sociétés secrètes… L’A.I.T devait jouer un grand rôle dans la mise en place des cercles ou clubs de Saint-Étienne et de Saint-Chamond et des comités dont le plus célèbre à Saint-Étienne est le comité de la rue de la Vierge. Futur « Comité central des quatre cantons », il sera l’initiateur de l’insurrection de 1871.

L’année 1869 est secouée par de nombreux mouvements, celui des chapeliers à Chazelles-sur-Lyon, des teinturiers à Izieux, des chaudronniers à Saint-Étienne… Il y a surtout la fusillade du Brûlé, à La Ricamarie, qui secoue profondément l’Empire finissant. Lors du plébiscite de mai 1870, destiné à affermir le régime en s’appuyant sur la voix du peuple (en arguant de la libéralisation du pouvoir et en faisant adopter au passage l’idée de sa transmission « de mâle en male par ordre de primogéniture », autrement-dit à son fils), Napoléon III recueille en France une large majorité de « oui ». A Saint-Étienne, les élections municipales du 7 juillet portent à la mairie vingt-huit radicaux et seulement deux libéraux. Quelques semaines plus tard, à Sedan, le régime renforcé par les urnes s’écroule piteusement par les armes.

Le 4 septembre 1870, le Conseil municipal de Saint-Étienne, que le gouvernement avait en théorie révoqué le 6 août, se réunit dans les bureaux du journal L’Eclaireur (socialiste et anticlérical), pour rédiger une proclamation. M. Tiblier-Verne est élu maire provisoire par 24 voix contre 2 à Dorian. Le lendemain, César Bertholon, qui n’est autre que le directeur de L’Éclaireur, est nommé Préfet. Il dissout le Conseil général remplacé par un Comité Départemental Républicain, présidé par Henri Thomas ; lequel est secondé par Boudarel et Bouzol. A Saint-Étienne, un Comité central se met en place rue de la Vierge, présidé par Durbize, un comptable, ainsi qu’un comité de Salut Public. Au sein du Club de la rue de la Vierge, outre Durbize on trouve Antoine Chastel, Adrien Jolivalt, un officier de carrière, et Étienne Faure, dit « Cou-Tords » en raison d’une malformation. Ils seront les chefs de l’insurrection. Le club rallie à sa cause le peuple des ouvriers stéphanois, notamment les passementiers et les armuriers. Dès le 12 septembre la Patrie est proclamée en danger et de nombreux ouvriers s’enrôlent avec enthousiasme.

Le 15, un emprunt municipal est voté. Il doit servir à la défense de la ville, l’armement de la Garde nationale et l’organisation des ambulances. Mais dix jours après, seulement 300.000 francs ont été réunis et la municipalité décrète la suppression des subvention aux établissements d’enseignement confessionnel. Le 3 novembre, dix écoles laà¯ques de garçons et neuf écoles de filles s’installent dans des locaux appartenant à des Congrégations. Le 28 septembre, le dernier bataillon du tristement célèbre 4e de ligne, responsable de la tuerie du Brûlé, quitte la ville pour aller combattre l’ennemi.

Les ouvriers, dont beaucoup se sont enrôlés volontairement par patriotisme, ne peuvent avoir confiance dans le républicanisme d’une bourgeoisie qui boude un emprunt patriotique. Dès le 31 octobre, Saint-Étienne s’agite à l’appel des socialistes qui réclament la Commune. Dans les cafés et cercles, comme à Paris, on parle de démocratie à la base. A partir de décembre paraît un journal qui a pour nom La Commune et qui porte comme sous-titre : Défense nationale. Dès le premier numéro, le journal donne le ton : « La Commune c’est la pyramide sociale remise sur sa base… c’est l’appel social au banquet de la vie, à l’harmonie, à l’entente cordiale. » Il n’aura de cesse de dénoncer « la trahison des avocats », la « complicité des Thiers et des Favre avec Bazaine » ; d’ inciter à la méfiance envers L’Éclaireur, les généraux et les prêtres, de demander la démission de la municipalité, de nouvelles élections et la constitution d’un pouvoir de type nouveau. Le fédéralisme apparaît comme la solution. Tout ce qui n’est pas fédéralisme est assimilé au système impérial, « qu’il s’incarne dans un Bonaparte, un Gambetta ou un Robespierre, peu importe ! » La Commune d’ailleurs prend Gambetta violemment à partie. Elle l’accuse de faire chorus avec la bourgeoisie, « de crier aux factieux, aux partageux, d’agiter le spectre rouge et d’affecter de croire la propriété menacée ». La propriété, s’écrie-t-elle, « mais nous ne la menaçons pas, nous cherchons seulement à défendre la nôtre que vous prenez impitoyablement. La Commune se dresse contre la soi-disant République du 4 septembre, plus loin cent fois de la République que ne l’était l’Empire. »

Jean Pralong, dans son ouvrage Saint-Étienne, histoire de ses luttes économiques et sociales se souvient l’avoir connu à la fin de sa vie. Il distribuait des tracts libertaires « Ni Dieu, ni Maître » et pour survivre vendait des potions et des plantes médicinales. Il est décédé en 1911. A ses obsèques vinrent de nombreux militants de la mouvance anarchiste dont Sébastien Faure, également originaire de Saint-Étienne et leader national du mouvement libertaire.

Le 26 décembre, Boudarel est élu maire en remplacement de Tiblier-Verne qui a succombé à une maladie. Début février 1871, des affiches sont placardées dans les rues de la ville annonçant que « le public est prévenu qu’il y aura une réunion de citoyens sur la place de l’Hôtel de ville, pour proclamer la Commune ». La démission de la municipalité est exigée. Le 4 février, le Conseil municipal se déclare « prêt à résigner son mandat à qui de droit » mais « considère comme une faiblesse, comme une lâcheté coupable, l’abandon spontané de ce mandat, au moment où il pouvait présenter quelque danger ». Aux élections de l’Assemblée, le 8 février 1871, Dorian est avec 79 508 voix le seul élu dans la Loire de l’Alliance Républicaine. A l’image du pays, le département a voté pour les conservateurs ! Seuls les cantons de Saint-Étienne ont voté pour les candidats du Comité de la rue de la Vierge. Deux jours plus tard, le Préfet Bertholon démissionne après avoir refusé de faire afficher le décret reconnaissant le titre de citoyen aux membres des familles royale et impériale. Et le Conseil municipal est toujours en place.

La méfiance s’accroît de jour en jour. La Commune appelle à la vigilance. Le 26 février son ton se fait plus énergique encore : « On parle déjà de désarmer la garde nationale. C’est toujours ainsi qu’on s’y prend quand on veut étouffer la République. Peuple, réponds hardiment à ceux qui te les (tes armes) demanderont ; viens les prendre et n’hésite pas à t’en servir pour les défendre. » Les Républicains se divisent. L’Alliance républicaine, qui regroupe les républicains libéraux et radicaux et Michel Rondet suivi par un grand nombre de mineurs et de passementiers, estiment qu’il faut respecter le résultat des élections. Au contraire, les comités, avec l’appui des gardes nationaux, se dirigent vers l’insurrection.

L’Éclaireur publie le 22 mars un appel au calme : « Dans les circonstances graves que nous traversons, il importe à la démocratie de ne juger et d’agir qu’avec la plus extrême prudence. Toute fausse appréciation, toute fausse démarche pourrait causer un préjudice plus ou moins grand au parti républicain. C’est ce qu’il ne faut pas, c’est ce que tous les démocrates doivent éviter avec le plus grand soin… » Le nouveau préfet intérimaire, M. Morellet fait afficher sur les murs une proclamation de l’Assemblée adressée au peuple et à l’armée l’engageant à se serrer autour du gouvernement de Versailles. Quant au Mémorial, il se moque ouvertement des extrémistes. Le 23 mars, nouvelle proclamation adressée par M. Morellet, recommandant la modération, le calme et l’apaisement. Toute la presse stéphanoise fait chorus avec lui et L’éclaireur agite le spectre de la Monarchie qui pourrait tirer profit des troubles pour restaurer le trône de France. Le colonel Legrive, commandant démissionnaire de la Garde nationale reprend du service. Il espère, semble-t-il, dompter cette troupe rebelle et l’utiliser au service de l’ordre.

Le 23, c’est une compagnie nombreuse de gardes nationaux qui traverse la place de l’Hôtel de Ville aux cris de « Vive la Commune ! » Une délégation du club de la rue de la Vierge se rend aussitôt à la mairie et demande la démission du Conseil municipal. Par 17 voix contre 7, les conseillers municipaux se déclarent prêts à se retirer mais décident aussi de demeurer en fonctions jusqu’aux élections destinées à pourvoir à leur remplacement. Le lendemain, plusieurs centaines de membres des clubs socialistes font irruption sur cette même place et envahissent le pérystile de l’Hôtel de Ville. Les grilles cependant empêchent la foule de pénétrer plus avant dans le bâtiment. Le colonel Lagrive se présente à elle et après négociations autorise une délégation, dont fait partie Durbize, à pénétrer dans les lieux pour y rencontrer le maire. Elle demande à Boudarel et à Morellet de proclamer la Commune. Sur leur refus, la Garde nationale laisse entrer la foule qui s’engouffre dans les couloirs. Dans la nuit, Durbize proclame lui-même la Commune et arbore le drapeau rouge.

Le 27 mars, l’Assemblée nationale décréta qu’il avait bien mérité de la patrie.
Ses funérailles, en grandes pompes, eurent lieu le 30 mars 1871 à la Grand Église.

Le 24 mars au soir, Henri de l’Espée, 45 ans, qui vient d’être nommé Préfet de la Loire arrive à Saint-Étienne. Il se rend chez le général Lavoye, commandant la subdivision de la Loire, pour se concerter avec lui des mesures à prendre. Michel Rondet, un des fondateurs de la Fédération du Sous-Sol, l’accusera d’être responsable de la fusillade d’Aubin (Aveyron) qui coûta la vie à 17 grévistes en 1869. Il s’en défendra, affirmant qu’à l’époque, il était à Fourchambault. Il paraît cependant décidé à employer la manière forte. Il commence par convoquer la troupe de ligne et deux escadrons de hussards qui, au petit matin, prennent position aux abords de l’Hôtel de Ville. Les révolutionnaires, qui par ailleurs apprennent l’échec de l’insurrection lyonnaise, s’éparpillent. L’Espée commet alors l’erreur de faire afficher un texte quelque peu méprisant qui va réchauffer leurs ardeurs : « Arrivé cette nuit dans les murs de votre chef-lieu j’ai trouvé des factieux tentant de consommer un attentat contre l’ordre et les lois de la République… Puissamment secondé par l’autorité militaire j’ai pu convoquer la garde nationale de Saint-Étienne. La seule apparition de quelques bataillons, accourus avec un empressement dont je les remercie, a déterminé la complète retraite des séditieux. Vous comprendrez tous combien il faut que les lois soient, à l’avenir, respectées… »

L’émeute, dans l’après-midi du 25 mars, reprend de plus belle. Dans la ville, des personnalités dont les opinions conservatrices sont connues sont brutalisées. Quelques membres du Conseil municipal proposent alors au préfet de retirer les troupes positionnées place de l’Hôtel de Ville et qui apparaissent comme une provocation. Le préfet accepte et de la sorte facilite au contraire la tâche des émeutiers. Vers 15h, des gardes nationaux et des militants du Comité central s’y portent en masse, bientôt renforcés par de nombreux ouvriers de la Manufacture. Des drapeaux rouges flottent au vent. Soudain, un coup de feu retentit et un garde national, J.-B. Lyonnet, passementier de son état tombe à terre. On prétend que le coup de feu a été tiré par M. Marx, propriétaire du magasin « A Sainte-Barbe » tout proche. La foule en fureur s’engorge dans la boutique et le malheureux gérant, sans doute innocent, reçoit un coup de revolver qui lui traverse la mâchoire. Dans le même temps, la mairie, désertée par le maire, est occupée rapidement et de L’Espée est arrêté et conduit dans la grande salle en compagnie de M. Gubian, substitut du procureur de la République (nommé Gabiau dans certains textes). On exige d’eux leurs démissions. Ils refusent. De L’Espée déclare : « Vous me demandez ma démission et je ne suis ici que depuis hier ; vous ne m’avez pas encore vu agir. Vous me demandez de proclamer la Commune et vous savez que je ne le puis, puisque je représente le gouvernement de Versailles. »

Plusieurs gardes nationaux sont particulièrement excités, en particulier les nommés Fillon et Victoire. Plusieurs versions coururent sur les faits qui se sont produits ensuite et qui furent à l’origine de la mort du préfet. Selon une d’entre elles, de L’Espée, durant la nuit, aurait saisi un revolver qu’il dissimulait sur lui et aurait ouvert le feu sur Fillon et Victoire, avant d’être abattu. Cette version des faits fut vite démentie. Le préfet avait été fouillé et les deux gardes nationaux portaient des traces de balles de fusils et de baïonnettes. Il semblerait que Fillon, décrit comme étant un faible d’esprit, aurait dégainé pour protéger les captifs et ouvert le feu lors d’un mouvement de foule incontrôlé, tuant Victoire et blessant le tambour Jacob. Une fusillade anarchique aurait suivi, lui coûtant la vie, ainsi qu’au préfet.

La muse de Léon Velle, en réponse à des chansonniers foréziens exaltant ces journées rouges, s’attacha plus tard à rappeler cet épisode :

« De l’Espée, au milieu d’une foule en fureur,
Calme et fier, affrontait de lâches épithètes.
Fillon, Fillon surtout, dit le « fou de Maclas »
Surveillait le martyr en l’accablant d’injures.
Ils ont, pour le garder, choisi ce monstre-là ,
La plus vile des créatures !
En vain, il le pressait de signer le décret
Proclamant la Commune ; à pareille insolence,
Le patient opposait un silence
Qu’il savait être son arrêt.
En effet, tout à coup, cet idiot infâme
Fait feu sur de L’Espée et l’un des siens rend l’âme ;
Ce fut là le signal ; le préfet, en héros,
Reçoit sans sourciller le plomb de cent bourreaux. »

Quant au substitut Gubian, il est indemne. Il est libéré par un tribunal improvisé, présidé par Jolivalt, un des chefs de l’insurrection. L’élection d’un Conseil de la Commune, composé de 36 membres, est annoncé pour le 29. Elle n’aura jamais lieu. Dans la journée du 26, les Communards disposent deux pièces de canons dans le péristyle et des mitrailleuses qu’ils braquent sur la place. Une proclamation tente de rassurer la population : « La Commune n’est ni l’incendie, ni le vol, ni le pillage, comme on se plaît à le répéter. » De son côté, Étienne Faure dit « Cou-Tord », commissaire central du mouvement, s’emploie à rouvrir les magasins que leurs propriétaires ont fermés par crainte du pillage. Les autorités militaires y vont aussi de leur placard : « Aux citoyens honnêtes, un moment égarés par de perfides conseils, de déposer les armes et à rentrer dans leurs fabriques… Vous voulez la Commune, ce souvenir sanglant du plus pur despotisme républicain ? La Commune, vous ne l’aurez pas ! La France entière la repousse avec horreur et dégoût…. Ce que nous voulons, nous, c’est une République une et indivisible. Ce que nous voulons, ce sont des institutions larges, en harmonie avec les progrès de la civilisation… Nous voulons vivre sous la noble devise : Liberté, Égalité, Fraternité… »

Le lendemain, des troupes venant de Lyon arrivent à la gare de Châteaucreux et par la rue de Lyon se rendent à la caserne. Un hobereau local, Vital de Rochetaillée conjure le général d’éviter toute effusion de sang et propose de jouer les médiateurs. Le 28 au matin, il se rend à l’Hôtel de Ville avec un officier délégué par le général et demande aux insurgés de déposer les armes. Les Communards, lâchés par leurs chefs et par les masses, ne font aucune difficulté pour se rendre. L’Hôtel de Ville est occupé, sans coup férir, et Vital de Rochetaillée, sous les vivats de la foule, jette à terre le drapeau rouge qu’il remplace par le drapeau tricolore. « L’émeute est dissipé, l’ordre est rétabli » proclament les autorités militaires. Le même jour, envoyé par l’Assemblée Nationale, arrive de Montgolfier nanti des pleins pouvoirs civils et militaires. La Commune de Saint-Étienne a vécu.

De nombreuses arrestations ont lieu durant le mois d’avril mais les inculpés, au nombre de cinquante-six, ne sont pas jugés dans la Loire. C’est la cour d’assises de Riom, à partir du 15 novembre, qui accueille le procès, entend 126 témoins et prononce le verdict le 5 décembre. Vingt-trois accusés sont acquittés. Amouroux, émissaire de la Commune de Paris, Caton, journaliste de La Commune, Chastel, l’Italien Machetti, Tamet et Thibaudier, ces deux derniers accusés d’être affiliés à l’Internationale, sont condamnés à la déportation. Rondet, malgré une présence effacée durant les évènements, en prend pour 5 ans. Girard est condamné à 12 ans de détention. Salichon 10 ans. D’autres peines vont de trois à un an d’emprisonnement et diverses amendes. Hormis Chastel, les leaders sont en fuite.

Charles Amouroux. Ouvrier chapelier originaire de l’Aude, opposant actif au 2d Empire, membre de l’A.I.T. et secrétaire du Conseil de la Commune de Paris. Chargé des Relations extérieures, ses missions le mènent à Lyon, Saint-Étienne, Marseille et Toulouse. Il fut condamné à la déportation. En mai 1885, il est élu député d’extrême gauche par le département de la Loire.

L’histoire de Joannès Caton est connue grâce à ses mémoires, publiées en 1986 aux Editions France Empire sous le titre Journal d’un déporté, 1871-1879, de la Commune à l’île des Pins. Né à Beaubrun le 28 octobre 1849, il est le fils cadet d’une famille de cinq enfants. En septembre 1870, il est secrétaire du comité de la rue de l’ancienne rue de la Vierge. Réfugié un temps à Genève, il revient fin avril et est arrêté à la frontière le 1er mai. Condamné à Riom, il est transféré à Oléron puis à la Rochelle où il est embarqué le 17 mai 1873 pour arriver en Nouvelle Calédonie le 27 septembre 1873. Après un séjour dans un camps voisin de Nouméa, il est transféré le 15 avril 1877 dans la dépendance voisine de l’Ile des Pins où il jouit d’une certaine indépendance et exerce même pendant quelques temps les fonctions de maître d’école. Le 10 mai 1879, il est gracié mais reste volontairement quelques mois à Sydney (Australie). Il y aurait même exercé durant une certaine période des fonctions de correspondant de presse, y compris, paraît-il, pour un journal stéphanois ! Le 10 avril 1880, il revient en France. En janvier 1881, il est présent à l’enterrement d’Auguste Blanqui. Candidat élu aux élections de 1881, il siège au Conseil municipal jusqu’en 1885. Il se marie le 22 décembre 1883 avec Jeanne Meunier qui donne naissance à trois filles. Il s’éteint le 10 février 1914, entourés des siens. Il repose au cimetière du Crêt de Roch à Saint-Étienne, allée 17.

 » Oui, le drapeau rouge est bien
Le plus bel emblême
De l’ouvrier citoyen ;
C’est pourquoi je l’aime,
L’étendard du travailleur
Sera toujours le meilleur
Vive la Commune !
Enfants,
Vive la Commune ! »

Maxime Lisbonne

Maxime Lisbonne, colonel de la Commune de Paris condamné à mort puis au travaux forcés. Il s’est éteint à La Ferté-Alais en 1905. Il a vécu quelques temps à Saint-Étienne où il aurait tenu un bar.

« Quand les temps seront venus,
Aucune famille
N’aura plus d’enfants pieds-nus,
Traînant la guenille.
Tout le monde aura du pain,
Du travail et du bon vin.
Vive la Commune,
Enfants,
Vive la Commune ! »

Eugène Chatelain, chansonnier forézien

Publié sur le site forez-info.com

Notes

[1Parmi ceux qui appartinrent au Club de la rue de la Vierge : Arnaud, dit Charles, Castillon, Caton J., Chastel A., Coste S., Dallier, Durbize B., Duvand A., Hubert F., Jolivalt, Lyonnet, Méjasson H., Meunier J.B., Mille, Romeyer, Rousset N., Roux, Teillier, Thibaudier B., Thomas H., Vignal J.

Furent condamnés, le 5 décembre 1871, par la cour d’assises de Riom, en raison de leur participation à l’insurrection stéphanoise de mars 1871 : Amouroux, Caton J., Chastel A., Marchetti J., Tamet J.-B., Thibaudier : déportation dans une enceinte fortifiée. Balimon : dix ans de détention. Gidrol B., Volozan J.-M. : huit ans de détention. Girard J. : douze ans de travaux forcés. Rondet M. : cinq ans de prison.
Entresangles J.-B., Fialon J., Luzier J.L., Poncept J.P., Rochette F., Scherrer F.J. : trois ans de prison. Aulagnier, Basson S., Ponceton J.-B., Villebelle G. : un an de prison.

Citons encore parmi ceux qui furent mêlés à l’insurrection : Agier J., Arnaud dit Charles, Berthon M., Bertrand M., Castillon, Champion, Coste S., Courage, Faure E., Hubert F., Jolivalt A., Marconnet P., Méjasson H., Meunier J.-B., Montel B., Olagnier A., Rochette F., Rousset N., Salichon J., Sirdey, Terrasse J.-M., Vignal J.
Voir également Barallon E.