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Lien original : Groupe Révolutionnaire Charlatan
Adresse aux révolutionnaires de France
La révolution est une affaire de rupture.
Faut-il faire gagner le mouvement social ? Non. Les forces se reconnaissant comme révolutionnaires doivent cesser de se comporter comme les sous-traitants de la Gauche en matière de stratégie. Elles n’ont pas à penser les modalités d’un combat dont elles ne partagent ni l’éthique, ni les moyens, ni la fin. Nihil ex nihilo : si aucun nous effectif n’émerge de la Gauche, c’est qu’aucune existence collective révolutionnaire n’est possible dans son désert. Elle est une force conservatrice par nature. Son progressisme n’est qu’une facette de l’évolution de la domination politique. Les révolutionnaires n’aspirent pas à la modernisation de l’état actuel des choses, mais à son abolition. Quiconque prétend devoir et pouvoir gérer la misère totale qui règne sur nos vies avant de lui en venir à bout est un ennemi mortel ne demandant qu’à se découvrir ou à être découvert. À commencer par le florissant personnel politique et syndical, toujours prêt à prolonger d’un millénaire le calvaire de l’exploité à la seule fin de lui conserver un défenseur.
Des cadavres plein la bouche. Le surgissement des Gilets Jaunes a matérialisé la possibilité d’une existence et d’une pratique politiques autonomes. L’intervention tardive de la Gauche au sein du mouvement, sa volonté d’abord de le structurer puis de lui offrir une direction, s’est avérée mortifère puis nécrophage. Mortifère car soumettant la libre association à un formalisme démocratique dont l’effet le plus notable fut de domestiquer la volonté collective d’autogouvernement. Nécrophage ensuite, en déglutissant les éléments opportunistes pour les déféquer sous forme de candidats aux élections européennes et de militants associatifs médiocres. Le retour aux sources annoncé au mois de juin ne suffit pas à conjurer le pourrissement. La police ayant repris la plupart des ronds-points et la Gauche ayant remis la main sur l’agenda – c’est-à-dire retrouvé sa légitimité à fixer la temporalité du conflit –, il ne restait aux gilets jaunes qu’à s’enterrer dans le cortège de tête pendant les manifestations de décembre contre la réforme des retraites. En dernière analyse, les militants de gauche n’ont rien trouvé de mieux à faire que déposséder les gilets jaunes pour tenter de conjurer leur propre impuissance. Porter la conflictualité où elle était historiquement nécessaire, sans interférer avec le processus de subjectivation radicale à l’œuvre : voilà le sens que nous, révolutionnaires dans la métropole, avons donné à notre intervention dans le mouvement. Le malaise initial vis-à-vis du recours à la violence s’est rapidement résorbé face à l’expérience sensible de la révolte et de la répression. La couverture médiatique terrorisée,l’hélicoptère présidentiel prêt à décoller et les concessions initiales ont immédiatement donné raison à la violence. Les thèses complotistes désignant les émeutiers comme des provocateurs, des infiltrés, ont pour un temps perdu de leur audibilité. La Gauche, elle, n’a pu exister que par la dissociation.
En finir avec le syndicalisme. Nous avons eu tort d’attendre des syndicats un appel à la grève générale reconductible. Ils n’en ont ni l’ambition ni les moyens. Leurs tentatives de récupération manquent systématiquement de panache. Le seul objectif à la hauteur de leur acéphalie tient dans la reproduction des rituels d’invocation de leur Échec, et du marasme métaphysique qui fait office de constitution mentale aux exploités de la civilisation métropolitaine. Le second mouvement contre la réforme des retraites n’y échappe pas : l’œcuménisme affiché par les directions réunies en intersyndicale n’aspirait à aucune victoire, mais répondait directement à cette nécessité de reprise en main de la contestation, dont on ne peut plus vraiment dire qu’elle tient seulement du mouvement social. Tout comme les efforts des parlementaires, qui s’agitent bruyamment pour tenter de faire oublier leur impuissance fonctionnelle, les efforts des centrales ont surtout visé à juguler et normaliser une situation qui menaçait de devenir incontrôlable. Notre opposition n’a rien de tactique. Toutes celles et ceux qui ont investi les espaces de délibération autonomes pour y défendre comme seule perspective celle du renforcement de la grève, ont fait fausse route. L’hypothèse selon laquelle les révolutionnaires pouvaient y imposer leurs mots d’ordre a échoué deux fois. Le refus du travail ne s’est pas imposé comme le plus faible dénominateur commun, et aucun camp révolutionnaire n’a existé en dehors de l’agenda et des initiatives de l’intersyndicale. On ne fera pas rentrer au forceps le refus du travail dans une contestation qui vise désormais la personnalisation présidentielle du pouvoir. Arrivera-t-on seulement à porter la critique du pouvoir dans sa totalité, et poser la question de l’exercice de tout le pouvoir sur nos vies ? Rien n’est moins sûr. La voie semble libre pour les hypothèses citoyennistes.
Nous détestons la gauche et la démocratie. Nous conspirons contre elles. Nous réfutons l’idée selon laquelle la voie révolutionnaire devrait croiser la voie réformiste. L’hypothèse selon laquelle la possibilité d’une révolution dépendrait de notre capacité à combiner une stratégie insurrectionnelle et une stratégie légaliste est une ineptie sans nom. Représentativité, monopole institutionnel de la politique et de la violence, soumission de l’activité humaine à une logique productive, réduction des rapports sociaux à des actes de consommation, légitimité exclusive de l’appareil d’État à se porter garant de notre survie : les bonnes intentions de la Gauche cachent mal l’enfer qu’elle nous pave. Il faut être aveugle pour ne pas voir. Aucune stratégie commune ne saurait émerger d’un éventuel rapprochement avec cette force conservatrice par nature, qui ne connaît de perspective que la compromission et le renoncement. Nous disons que le Progrès et la Réaction sont les deux faces d’une même médaille. Inversez une proposition réactionnaire, et vous obtiendrez une proposition progressiste. Quand la droite attaque les services publics, c’est toujours au nom d’une certaine vision de l’État et de l’Économie. C’est-à-dire, au nom d’une certaine conception de la forme idéale de la domination. Quand la Gauche revendique une meilleure répartition des richesses produites, c’est toujours au nom d’une certaine conception du rôle de l’État et de la positivité potentielle de l’Économie. C’est-à-dire, au nom d’une certaine conception de la forme idéale de la domination. La démocratie s’est imposée, en France et ailleurs, comme le moyen le plus efficient de réaliser la domination politique. Loin de consacrer le droit du peuple à se gouverner lui-même, elle consacre la suprématie de l’État dans la gestion de tous les aspects de la vie. Les révolutionnaires prônent la mort de la démocratie car la révolution doit, plutôt que faire passer le pouvoir en de meilleures mains, l’abolir. Nous sommes le parti de l’Insurrection ; la Gauche, celui de la Paix. Ce qu’elle désigne comme « notre camp social » n’aspire jamais qu’au renouveau institutionnel. Il préfèrera toujours conserver et faire évoluer la forme de la domination politique, en lui donnant l’armature et les cadres qu’il s’imagine les plus à même d’assurer notre bon gouvernement, plutôt qu’assumer le basculement et mettre sa survie en péril. Pour cause, toute son existence sociale et politique dépend de l’existence d’un monstre froid à conquérir et s’approprier. L’ennemi ne périra pas de lui-même.
Révolution politique ou révolution sociale ? Plus nous permettons la modernisation de l’État, plus il est difficile de s’extraire de ses filets. Nous répétons, comme d’autres avant nous, que l’État moderne n’a pas toujours existé. Nous lui survivrons. Nous avons tout à construire, donc nous devons tout ruiner ; faire table rase et mettre l’État au musée des antiquités, à côté du rouet et des députés de gauche. Cliver, prendre parti et rompre avec les mystifications de la gauche et de la démocratie, constitue la condition première à la formulation de tout horizon révolutionnaire intelligible. Pour y parvenir, nous devons arrêter de nous poser les problèmes à l’envers. En premier lieu, nous devons réfuter la primauté de la révolution politique et son inévitable cortège de confiscation et d’opportunisme. Nous voulons une révolution sociale. C’est-à-dire, un mouvement fondé sur l’élaboration et la multiplication de formes sociales inédites, offrant à chacun la liberté de jouir pleinement de sa vie. Là doit commencer le clivage. Il doit d’abord s’opérer entre nous, entre camarades, pour qu’un nous puisse exister.
Hic Rhodus, hic salta. Il est temps de rompre avec les conceptions de la victoire héritées de la Gauche. Il est temps de penser par et pour nous-mêmes. La restauration de l’État- Providence n’est pas une victoire. Pas plus que l’évolution de la forme politique vers uneRépublique représentative davantage proportionnelle, disposant de plus d’outils référendaires, donnant plus de pouvoir aux régions et nationalisant les secteurs « stratégiques » de l’économie, n’est une révolution. N’en déplaise aux fétichistes de l’organisation, la révolution n’est pas une campagne d’alphabétisation. Elle ne nous rendra pas dépendant de l’État pour subvenir à nos besoins, nous loger, nous déplacer, nous retrouver. La révolution ne se contentera pas du plus petit dénominateur commun. Elle ne bradera pas l’autonomie contre la sécurité. The revolution will put you in the driver’s seat. Pas de limitation de vitesse.
On ne combat pas l’aliénation par des moyens aliénés. Si les slogans sonnent si creux, c’est que le langage de la conflictualité appartient à l’ennemi. Les appels à la « grève générale » appellent en réalité des grèves reconductibles. Nos « émeutes » tiennent souvent d’avantage du trouble à l’ordre public. Les « barricades » sont, au pire des abandons de déchets sur la voie public, au mieux des blocages de la circulation. La détestation de la police est stérile tant qu’elle ne formule pas clairement la volonté de son abolition. Le refus du retour à la normal traduit simplement une augmentation de la demande pour l’agenda des directions syndicales. Cet écart entre signifiant et signifié, entre la puissance symbolique de nos catégories et l’impuissance des réalités qu’elles recouvrent, interroge. Nous avons un siècle de retard. On ne le rattrapera en consacrant, encore et toujours, les formes politiques surannées dont on attend, mouvement après mouvement, la résurrection miraculeuse. Actualiser nos représentations ne résoudra pas le problème : nous devons penser, en actes, les moyens de notre conflictualité et les perspectives de notre victoire. Faire tache d’huile, nous diffuser comme une trainée de poudre ; hors des écrans et des plateaux. C’est curieux, chez les militants, ce besoin de passer à la télévision.
Nous sommes l’Autre. Les « armes » des esclaves modernes sont émoussées. Elles ne les défendent même plus. En dépendre, c’est avoir perdu d’avance. La majorité des révolutionnaires ont observé une stratégie que l’on pourrait qualifier d’accompagnement du mouvement social, cherchant à déborder de ses cadres pour le rendre plus incisif, dans l’espoir que le gouvernement renonce à sa réforme des retraites et que la population soit gonflée à bloc pour partir à l’offensive. Dès le départ, l’offensive était remise à plus tard. Cette attitude mouvementiste cache mal une impuissance collective dont la première conséquence est la subordination des révolutionnaires au personnel politique et syndical de la Gauche. Elle reconnaît leur hégémonie. En consacrant les formes défaites du syndicalisme et de la démonstration politique, on devient malgré soi un rouage du dialogue social. En s’attelant presque exclusivement à renforcer l’existant, on échoue à élaborer l’inédit. Nous refusons d’errer de piquet en manifestation, car nous refusons de devenir les pièces rapportées de la Gauche. Nous ne nions pas qu’on puisse y ressentir et s’y rencontrer. Nous disons simplement que s’en satisfaire, c’est se résigner. Nous sommes en guerre. Tout le monde le sait. Plus que des lieutenants, il faut des armes. Des nouvelles, des chouettes, des brillantes. Nous les forgerons en nous dotant de lieux et de temps de discussion et de délibération, en apprenant à décider par nous-mêmes et à réaliser nos volontés directement, sans intermédiaires. Nous devons devenir une force consciente d’elle-même.
Répandre l’anarchie, vivre le communisme. Un mouvement profond porte des secteurs toujours grandissants de la population à vouloir un changement de la vie dans sa totalité. Il ne lui manque que la conscience de ce qu’il a déjà accompli, et de ce qu’il lui reste à faire, pour posséder réellement sa révolution.
Juin 2023
Quelque part en France