Zine :
Lien original : CrimethInc
En anglais : CrimethInc zine

Au cours de ces deux dernières années, une vague de lois anti-trans et anti-LGBTQI+ a déferlé sur les États-Unis. Des dizaines de propositions de loi ont été présentées dans de nombreux États visant à interdire aux enseignant·es de parler de genre et de sexualité, à empêcher les enfants de rejoindre une équipe de sport – ou d’utiliser les toilettes – correspondant à leur identité de genre, à obliger les travailleur·ses du secteur éducatif à outer les enfants trans à leurs parents, ou encore à interdire à ces enfants les soins médicaux dont iels ont besoin.

Ces textes visent une population vulnérable qui n’a pas accès à la parole politique et qui souffre de taux de suicide déjà disproportionnés, de grandes difficultés d’accès au logement et est souvent la cible de violences ; tout ceci sera exacerbé par ces lois. En parallèle, la Cour suprême est en train de mettre en place les conditions d’une attaque sans précédent contre la liberté reproductive, qui va avoir un impact démesuré sur les personnes transgenres. Compris dans leur ensemble, ces lois constituent une offensive concertée contre le droit à l’autodétermination sexuelle et de genre pour lesquels les mouvements LGBTQI+ luttent depuis des décennies.

Pourquoi est-ce que cela arrive maintenant ? Qu’est-ce que cela signifie dans le contexte mondial ? Et que pouvons-nous faire pour résister ?

Ils ne nous ont donné des droits que parce que nous leur avons donné des émeutes.

Des droits des personnes trans à l’autodétermination du genre

Afin de faire face à cette vague de fascisme de genre, nous avons besoin d’un cadre transformateur pour décrire ce pour quoi nous luttons.

La plupart des militant·es utilisent un discours basé sur les droits pour justifier leur opposition à cette vague de politiques oppressives. Nous proposons un cadre d’analyse différent : l’autodétermination du genre. Plusieurs raisons président à ce choix.

Premièrement, parce qu’il est ouvert. L’autodétermination dépasse la simple défense contre des agressions ou l’obtention de garanties gouvernementales. Il s’agit de définir ce que signifie le bien-être pour nous et d’en créer les conditions dans nos propres termes.

Deuxièmement, il est fondé sur l’autonomie. Il ne dépend pas d’un État ou d’une quelconque forme d’autorité pour accorder ou garantir des « droits ». Les droits sont une construction sociale ; ils ne peuvent exister qu’au travers des autorités chargées de les faire respecter, et il n’existe aucune manière efficace de résoudre les conflits concernant les conditions de leur attribution. C’est pourquoi les « libertés » garanties par l’État et fondées sur des droits prétendument intemporels s’érodent souvent avec le temps. En revanche, formuler nos objectifs en termes d’« autodétermination » permet de focaliser l’attention sur nos propres désirs, compétences et capacités d’action, et sur la construction du pouvoir collectif dont nous avons besoin pour les défendre.

Troisièmement, il est inclusif. Que vous vous identifiez comme trans, non-binaire, ou autrement, les vies de tout le monde s’améliorent lorsque chacun·e est libre de déterminer sa propre relation au genre. Cela ne signifie pas que nous devons rendre moins centrales les voix et les expériences des personnes trans dans cette lutte – au contraire, celleux-ci sont particulièrement bien placées pour savoir quelles sont les formes de violences et de répression patriarcale qui existent dans cette société. Mais cette lutte concerne la liberté de tous·tes, pas seulement celle d’une « minorité ». Plutôt que de se considérer comme des allié·es de luttes qui leur sont extérieures, celleux qui ne s’identifient pas comme trans doivent comprendre que c’est aussi leur propre libération qui est en jeu. Tout comme les attaques contre le droit à l’avortement ne s’arrêteront pas au Texas et au Mississippi, tout ce que les réacs réussiront à faire subir aux personnes trans, iels le feront ensuite subir aux autres personnes LGBTQI+ – puis il s’avérera que certaines personnes hétérosexuelles ne seront plus assez hétérosexuelles pour elleux non plus.

Enfin, cette approche est résonnante. L’autodétermination de genre articule nos aspirations dans un cadre utilisé par de nombreuses autres communautés opprimées et mouvements radicaux. Comprendre que nous nous inscrivons dans un récit bien plus grand que nous-mêmes nous aidera à tirer inspiration et connaissance d’autres luttes à travers le monde et l’histoire.

En déplaçant la question des limites des droits vers l’horizon de l’autodétermination, nous proposons un monde radicalement différent, dans lequel aucune autorité –ni les gouvernements, ni les religions, ni les familles nucléaires, ni rien d’autre –ne peut nous enfermer dans des visions étroites de ce que nous devrions être et de ce que nous sommes en droit de devenir. Ceci est d’autant plus important au moment où l’autodétermination en matière de procréation est également attaquée, avec une série de lois antiavortement qui entrent en vigueur, et l’imminence de l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade1.

Le « choix » et les « droits » ne suffisent pas. C’est de liberté dont nous avons besoin, et il est parfaitement clair que nous ne nous tournerons pas vers celleux qui étaient censé·es protéger nos choix et nos droits pour la gagner.

« Il ne s’agit pas de savoir comment faire en sorte que l’État reconnaisse les personnes trans comme légitimes et accepte de protéger nos intérêts. Il s’agit de savoir comment s’assurer qu’elles aient accès aux ressources dont nous avons besoin, que l’État nous accepte ou non. »

« Même si l’État décidait demain matin d’annuler toutes les politiques anti-trans et de nous donner à tous·tes les soins dont nous avons besoin, nous serions toujours en danger, car notre sécurité continuerait de dépendre des caprices fluctuants de celleux qui détiennent le pouvoir d’État. »


Transphobie et fascisme de genre

Les mesures prises aujourd’hui par les législateur·ices et autres réactionnaires pour réprimer les personnes trans aux quatre coins des États-Unis témoignent de la haine vis-à-vis d’un groupe marginalisé et désigné comme bouc émissaire. Mais cela va plus loin : en tandem avec la vague de nouvelles lois restreignant l’autonomie reproductive, elles constituent un moyen d’extension du contrôle de l’État sur nos corps, nos sexualités et notre vie quotidienne – ce que nous appelons le fascisme de genre.

L’Alabama fournit un bon exemple de ce fascisme de genre. Une loi récemment adoptée fait de la délivrance de soins d’affirmation de genre aux mineur·es transgenres un crime passible de dix ans d’emprisonnement2. L’année dernière, le gouvernement de l’Arkansas avait déjà interdit les soins d’affirmation de genre, mais cette décision avait immédiatement été bloquée au tribunal. En Alabama, la loi SB 184 oblige les professeur·es qui apprennent la transidentité d’un·e élève à læ signaler à ses parents ; la loi HB 322 interdit quant à elle aux élèves de la maternelle au lycée d’utiliser les toilettes conformes à leur identité de genre, ainsi que d’autres installations scolaires. Cette loi interdit également aux professeur·es de maternelle et d’école primaire de parler d’orientation sexuelle et d’identité de genre.

Des projets de loi de ce type ont été adoptés ou sont en cours d’examen dans des dizaines d’États, comme le fameux « Don’t Say Gay » en Floride, qui a donné le coup d’envoi à la désormais populaire stratégie du parti républicain consistant à qualifier les défenseur·ses de la cause LGBTQI+ de groomers3. On pense également à la série de lois passées en Arizona interdisant notamment aux jeunes transgenres de pratiquer certains sports, d’avoir recours à des opérations chirurgicales d’affirmation de genre en étant mineur·es, ou encore interdisant l’avortement après 15 semaines de grossesse – l’ensemble de ces lois a été signé en une seule journée.

Quand elle a signé ces lois, la gouverneure de l’Alabama a déclaré : « Je crois fermement que si le Bon Dieu vous a fait garçon, vous êtes un garçon, et que s’il vous a fait fille, vous êtes une fille ».

La personne la plus haut placée de l’État nie donc l’existence des personnes trans. Nous avons beau être en 2022, cette rhétorique aurait été tout aussi réactionnaire dans les années 1950. Cela fait maintenant plus d’un siècle que les personnes trans, y compris des jeunes, demandent et bénéficient d’interventions médicales d’affirmation de genre aux États-Unis. Selon Jules Gill-Peterson dans Histories of the transgender child, il a été documenté que dès les années 1930, des jeunes filles trans ont vécu sans incident selon leur genre autodéterminé dans les écoles publiques – et en utilisant les toilettes des « filles » – dans les zones rurales des États-Unis.

Pourtant, dans l’Alabama d’aujourd’hui, c’est la gouverneure républicaine – avec sa marionnette de ventriloque, « le bon Dieu », qui lui sert à légitimer tout ce qu’elle dit – qui décide de votre genre. Et si vous avez un autre avis, vous pouvez finir en prison, tout comme votre médecin, vos parents et vos enseignant·es s’iels décident de vous soutenir.

Il n’est pas exagéré d’appeler cela du « fascisme de genre ».

Un programme suprémaciste blanc

Bien qu’aucune de ces lois ne mentionne explicitement la race, il est difficile de se méprendre. Toutes ces attaques contre les personnes trans sont liées à des courants suprémacistes blancs à l’œuvre dans les lieux de pouvoir. Elles sont la dernière incarnation d’un discours sur la « protection des enfants » dont la longue histoire, raciste, remonte aux lois Jim Crow4.

Ces attaques sont une autre facette de la stratégie visant à empêcher les débats sur la race et le racisme aux États-Unis. Ces lois sont apparues en même temps que (dans certains cas, dans le même projet de loi que) des lois interdisant aux enseignant·es de parler de la « théorie critique de la race » dans les écoles publiques. L’un des principaux architectes des projets de loi anti-LGBTQI+, Christopher Rufo, s’est fait connaître en tant que conseiller du président Trump sur les législations interdisant le débat sur les inégalités raciales. Bien que la plupart des politicien·nes n’aient manifestement aucune idée de ce qu’iels interdisent exactement en s’en prenant à ce qu’iels appellent la « théorie critique de la race », ces lois s’inscrivent dans le cadre d’une offensive plus large contre le mouvement Black Lives Matter, le projet 16195 et d’autres initiatives visant à identifier et à combattre la suprématie blanche structurelle dans les institutions étasuniennes.

Le gouverneur du Tennessee a justifié la promulgation d’une loi interdisant aux enseignant·es de parler des racines racistes des États-Unis en affirmant que « la théorie critique de la race n’est pas américaine. Elle place fondamentalement les communautés au-dessus du caractère sacré de l’individu, qui est l’un des principes fondateurs de cette nation. » Ce qui lui permet de justifier le ciblage de groupes qui s’opposent à la construction de « l’individu » comme pilier du capitalisme, de la suprématie blanche et du patriarcat.

Les réactionnaires à l’origine de cette loi considèrent que la sauvegarde de la suprématie blanche et l’attaque contre les personnes trans sont des combats à mener ensemble dans la guerre culturelle. Comme l’a récemment déclaré Christopher Rufo, « la question de la sexualité fournit un vivier d’émotions plus profond et plus explosif que les questions de race ». Ces démagogues utilisent à la fois le racisme et la transphobie comme carburant pour leur quête de pouvoir. Dans leur logique, la haine les aidera à faire reculer les acquis sociaux d’une centaine d’années ou plus.

L’âgisme et l’oppression des jeunes

Le fait que ces lois visent principalement la jeunesse n’est pas une coïncidence. Les jeunes ont ouvert la voie à des conceptions plus larges, plus autodéterminées de la notion de genre. Tout comme les parents conservateurs qui ont cherché à empêcher leurs enfants de se vacciner contre la COVID-19, ce que permettent les lois anti-trans n’a rien à voir avec la sécurité, et tout à voir avec le contrôle.

De façon perverse, la loi SB184 – la loi antitrans de l’Alabama – a été intitulée « The Vulnerable Child Protection Act » (« loi sur la protection des enfants vulnérables »), alors même qu’elle criminalise des soins médicaux qui peuvent sauver des vies. Kay Ivey, la gouverneure de l’Alabama, a déclaré en la signant : « Nous devons particulièrement protéger nos enfants de ces médicaments et chirurgies radicales qui altèrent la santé, alors qu’ils sont à un âge où ils sont si vulnérables. Concentrons-nous plutôt sur l’aide que nous pouvons leur apporter afin qu’ils deviennent les adultes que Dieu a voulu qu’ils soient. »

Or, rien n’est plus dangereux pour les jeunes que les visions du monde essentialistes et répressives qui cherchent à les forcer à jouer des rôles qui ne correspondent pas à leurs besoins. Les lois et la violence de l’État ne seraient pas nécessaires pour imposer ces normes aux jeunes si celles-ci étaient réellement « naturelles ».

« Si faire appliquer les normes de genre nécessite un effort permanent de surveillance et de censure, cela veut probablement dire qu’elles ne sont pas aussi biologiques ou innées que vous croyez. »


Le contexte mondial

Ces lois étasuniennes ne sont que la manifestation locale d’une vague mondiale de violence réactionnaire et de répression étatique. Les luttes LGBTQI+ ne sont pas seulement des « politiques identitaires » marginales –elles s’opposent à des discours et à des actes qui sont au cœur des stratégies du pouvoir autoritaire au XXIe siècle. Les tentatives explicitement homophobes de Vladimir Poutine pour légitimer l’invasion de l’Ukraine par une « défense des valeurs » en sont un exemple.

Les lois anti-LGBTQI+ et anti-trans se multiplient dans le monde entier. Les politiques des gouvernements d’Afrique et du Moyen-Orient sont les plus médiatisées, en raison du racisme et de l’orientalisme en vigueur chez les chroniqueurs étasuniens et européens. Mais la Hongrie a également récemment adopté une loi anti-trans et interdit l’adoption pour les couples homosexuels ; en Pologne, les députés ont adopté un projet de loi interdisant l’information sur les questions LGBT à l’école et plusieurs municipalités se sont déclarées « zones anti-LGBT+ ». Bien que les gouvernements d’Europe occidentale se positionnent généralement comme de fervents défenseurs des droits LGBTQI+, la France6 et l’Italie sont des bastions du « mouvement contre la théorie du genre », l’un des avant-postes de la réaction mondiale contre l’inclusion des personnes trans.

Ces campagnes anti-LGBTQI+ ne suivent pas toujours l’axe traditionnel gauche/droite. Au Brésil, en Pologne et en Russie, les lois sont issues de régimes autoritaires de droite ; les politicien·nes les associent aux politiques de maintien de l’ordre, au nationalisme et aux politiques conservatrices en général. Pourtant, dans d’autres cas – notamment en Israël, mais aussi dans certains pays d’Europe occidentale – les politicien·nes articulent leur défense des droits LGBTQI+ avec des politiques antimusulman·es, anti-immigré·es, militaristes et nationalistes, dans ce que les militant·es décrivent comme du pinkwashing et de l’homonationalisme. Donald Trump a sciemment utilisé ces deux approches : il a réagi à la fusillade d’Orlando7 en affirmant de manière opportuniste qu’il soutiendrait la communauté LGBTQI+ contre les musulmans et les immigrants, mais il a également fait preuve de complaisance envers sa base conservatrice en prenant des mesures pour réinterdire le service militaire aux personnes trans.

En bref, si les initiatives anti-LGBTQI+ sont toujours réactionnaires, toutes les initiatives qui prétendent défendre les personnes LGBTQI+ ne favorisent pas l’émancipation. Il est primordial de concevoir la lutte non seulement comme un moyen d’améliorer les conditions de vie d’un groupe particulier, mais aussi comme un front indispensable pour la liberté contre tous les systèmes d’oppression.

Une affiche de la France de Vichy sous l’administration de Philippe Pétain, l’allié de l’Allemagne nazie.

Les anarchistes et la libération trans/queer à travers l’histoire

Les anarchistes se battent pour la liberté sexuelle et de genre depuis plus d’un siècle, bien avant les sociaux-démocrates et autres libéraux. Cela nous donne un avantage supplémentaire dans ce combat, et une plus longue histoire de résistance sur laquelle nous appuyer.

Aux États-Unis, les anarchistes ont été les premier·es militant·es à parler d’homosexualité dans un contexte politique, en prenant la défense d’Oscar Wilde après sa condamnation pour « outrage à la pudeur » et en plaidant pour une approche humaine et rationnelle de la diversité sexuelle. En 1916 et 1917, Emma Goldman a parlé favorablement de l’homosexualité lors de conférences à travers tout le pays, changeant la vie de centaines de personnes qui se considéreraient certainement aujourd’hui comme « queer » et qui n’avaient jamais entendu parler publiquement de leurs expériences et de leurs désirs avec compassion. L’un d’entre elleux, le docteur Alan Hart, a été tellement inspiré par les idées anarchistes et pro-queer de Goldman qu’il a pris une mesure sans précédent, en obtenant ce qui était probablement la première chirurgie d’affirmation de genre à avoir lieu aux États-Unis et en vivant le reste de sa vie en tant qu’homme.

De Marie Equi, femme médecin radicale, activiste de l’IWW et féministe, à Eve Adams, qui vendait des publications anarchistes et gérait un bar lesbien clandestin à Greenwich Village, les femmes lesbiennes ont joué un rôle majeur dans le mouvement anarchiste du début du XXe siècle. Les poètes anarchistes gays ont repoussé les limites de la résistance culturelle et politique, de Robert Duncan, figure de proue de la Renaissance de San Francisco, à Charley Shively, le fondateur de Fag Rag et acteur fondamental de la libération gay. L’intellectuel anarchiste majeur du milieu du XXe siècle aux États-Unis, Paul Goodman, qui était bisexuel, a beaucoup écrit sur la libération sexuelle dans des revues anarchistes, mais aussi grand public, et fait entendre une voix radicale dans le mouvement gay et lesbien d’avant Stonewall. Les anarchistes queers du XXIe siècle, de Queeruption à Bash Back!, sont issu·es d’un héritage de plus d’un siècle d’une résistance antiautoritaire féroce aux normes sexuelles et de genre.

Au début du siècle, il y avait peu de visibilité trans ou queer dans les mouvements anarchistes. Ce n’est que dans les grandes villes et pendant les mobilisations de masse où se rassemblaient les « pink blocks » ou d’autres groupes queers radicaux, que les anarchistes trans et queer ont constitué une masse critique. Le paysage a considérablement changé dans les dernières décennies. Une grande partie de celleux qui sont attiré·es par les idées anarchistes aujourd’hui sont trans ou queer ; les textes traitant du genre et de la sexualité sont très demandés. De nombreux·ses jeunes trans et queer considèrent les idées anarchistes comme une voie vers la libération sexuelle et de genre, et de nombreux·ses jeunes anarchistes remettent en question les normes sexuelles et de genre.

Il est donc essentiel pour les mouvements anarchistes de lutter contre cette vague d’oppression visant les personnes trans. C’est une possibilité de soutenir une population ciblée, de relier la libération sexuelle et de genre à d’autres luttes, et de se mobiliser autour d’une problématique qui répond aux priorités et aux besoins des jeunes militant·es.

Comment résister

En tant qu’anarchistes, nous ne nous en remettons pas aux lois, aux tribunaux ou aux politicien·nes pour résoudre les problèmes qu’iels créent. Les avocat·es de l’ACLU, de Lambda Legal et d’autres associations qui mènent des batailles judiciaires pour contrer les effets immédiats causés par les projets de loi ont toute notre reconnaissance. Mais pour nous attaquer à la racine du problème – pour passer de la pétition pour les droits des personnes trans, à l’autodétermination du genre – nous allons avoir besoin d’une approche systémique, et non d’un traitement symptomatique.

Le problème n’est pas seulement ce que ces lois véhiculent sur le genre ; mais aussi que des politicien·nes, juges, autorités religieuses et autres « représentant·es » de l’autorité ont un droit de regard sur nos vies, nos corps et nos relations. Nous devons répondre aux besoins immédiats des jeunes de genre non conforme et des jeunes trans tout en construisant le pouvoir collectif nécessaire pour résister à ces attaques et construire un monde libéré des catégories binaires.

Voici des exemples de ce que nous pouvons faire.

  • Soutenir les jeunes qui s’organisent de manière autonome, en particulier les jeunes trans et queer. Fournir un espace dans votre centre communautaire, maison collective ou autre lieu, pour que les jeunes puissent se rencontrer. De nombreux·ses anarchistes ont beaucoup d’expérience en matière d’organisation horizontale, de prise de décision en groupe, etc. ; proposez-leur des partages de compétences, de la documentation, des outils d’animation, ou d’autres choses dont iels ont besoin.
  • Soutenir les grèves étudiantes. Comme It’s Going Down l’a rapporté, des élèves de la maternelle à la terminale ont organisé des grèves et des manifestations contre les mesures répressives prises en Iowa, au Missouri ou au Montana. Renforcez leurs actions ; mettez-les en lien avec d’autres militant·es qui désertent leur lieu de travail. Comme analysé ici, les grèves étudiantes peuvent gagner en puissance de manière exponentielle lorsqu’elles se mêlent à d’autres luttes sociales.
  • Soutenir l’éducation alternative. Les mesures de censure transphobes et homophobes qui ont de plus en plus cours à l’école sont terribles ; tant qu’à y être, nous pouvons nous demander pourquoi les politicien·nes devraient décider de ce que nous apprenons, et comment et où nous devons apprendre. Soutenez le deschooling, l’unschooling, le homeschooling8 et les autres alternatives au statu quo éducatif. Des initiatives telles que l’Albany Free School défient la mainmise de l’État sur ce que pensent les jeunes, et sur leur vie ; ils offrent souvent de bien meilleurs environnements pour les enfants trans et queer.
  • Soutenir la création d’espaces refuges pour les jeunes trans et queer qui en ont besoin. De nombreux enfants trans et queer se retrouvent sans logement parce qu’iels ne sont pas en sécurité chez leurs parents. Aidez à mettre en place des réseaux communautaires pour qu’iels puissent avoir des logements d’urgence. Soyez conscient·es des risques juridiques, mais faites ce qui est nécessaire pour s’assurer que les jeunes soient en sécurité.
  • S’organiser contre la maltraitance réelle des enfants – et combattre le confusionnisme des réactionnaires qui l’associent à l’accès des jeunes aux soins d’affirmation de genre. La maltraitance des enfants – réelle ou fantasmée – a été une obsession de la droite, depuis les croisades anti-gay « Save our children » (en français, « protégeons nos enfants ») d’Anita Bryant en 1977, jusqu’aux théories complotistes du Pizzagate et de Q-Anon aujourd’hui. Pourtant, comme le savent trop bien celles et ceux qui soutiennent réellement les survivant·es, ce sont dans les institutions telles que la famille nucléaire, les églises et les équipes sportives que les abus sur mineur·es sont les plus susceptibles de se produire ; et les conservateur·ices n’ont aucun intérêt à interroger ces institutions. Écoutez les survivant.es, apprenez des techniques d’intervention pour contrer l’« effet du témoin », laissez de la place aux jeunes afin qu’iels puissent parler librement de leurs expériences, transmettez ce que sont le consentement actif et les limites saines. Renseignez-vous sur le travail d’organisations comme Generation Five, qui ont su faire le lien entre la lutte pour mettre fin à la maltraitance des enfants, à d’autres luttes ayant pour but la transformation sociale révolutionnaire en dehors du système juridique pénal.
  • S’opposer aux politicien·nes. En tant qu’anarchistes, nous ne croyons pas à l’utilité du lobbying, ni à ce que les lois puissent résoudre nos problèmes. Mais nous respectons la diversité des tactiques. Il existe des manières multiples de lutter contre des lois oppressives – et avant tout en leur désobéissant ! Vous pouvez aussi distribuer des tracts, coller des affiches ou des stickers, protester contre les politicien·nes qui promeuvent ces lois et perturber les événements qu’iels organisent, dénoncer et déranger les organisations douteuses telles que l’ALEC, qui rédigent et promeuvent des lois oppressives.
  • Recourir à l’action directe et à la solidarité afin de fournir les ressources que les politicien·nes cherchent à nier aux enfants trans et queer. Soutenez les activités sportives autogérées ouvertes aux personnes trans et queer pour les enfants qui ont été exclu·es de leurs équipes scolaires. Partagez des ressources sur l’identité de genre, la sexualité, et les autres sujets censurés par de nombreuses écoles et parents. Créez des programmes d’aide mutuelle qui distribuent des vêtements, du maquillage, des produits de toilette et de première nécessité à tous·tes celles et ceux qui en ont besoin, quel que soit leur genre. Prévoyez des binders, des perruques, des prothèses mammaires externes, des sacs et des valises, tout ce qui vous paraît pertinent, et surtout qui peut-être fabriqué soi-même et qui soit facilement reproductible. Organisez des ateliers d’autodéfense et de désescalade pour les jeunes trans et queer qui peuvent avoir besoin de se protéger de situations de harcèlement et d’abus.
  • Combattre la surveillance de masse. Avec certaines de ces lois qui obligent les travailleur·ses éducatives à outer les enfants trans et queer à leurs parents, l’expansion déjà préoccupante des technologies de surveillance intrusives dans les programmes scolaires peut avoir des conséquences particulièrement effrayantes pour les jeunes LGBTQI+. Informez-vous, ainsi que votre communauté, sur les technologies de protection de la vie privée et les moyens d’empêcher les logiciels de suivre votre activité en ligne. Si vous faites partie d’un espace communautaire, offrez un accès anonyme aux ordinateurs pour que les personnes puissent consulter des ressources et communiquer d’une manière qui ne serait peut-être pas possible avec leurs ordinateurs personnels ou scolaires.
  • Combattre la transphobie. Pour les militant·es radicales non directement concerné·es qui veulent prendre part à ce combat, renseignez-vous sur comment s’adresser et communiquer avec les personnes trans et non-binaires de manière respectueuse. Interrogez vos propres présupposés sur le genre. Prenez au sérieux les expériences des autres, même si elles diffèrent des vôtres.

Ensemble, nous pouvons empêcher les autorités judiciaires de ruiner la vie des jeunes et faire un pas de plus vers un monde dans lequel chacun·e est libre de réaliser son potentiel selon ses propres conditions. Contre le patriarcat et la violence d’État, pour l’anarchie et la liberté.


Pour aller plus loin

  1. Arrêt de la Cour Suprême étasunienne datant de 1973 et garantissant l’avortement comme droit constitutionnel dans tout le pays. Il a été annulé le 24 juin 2022. 
  2. Le juge fédéral à bloqué certaines parties de cette loi en mai 2022. 
  3. Le grooming désigne le fait d’établir une relation d’amitié et une connexion émotionnelle avec un·e mineur·e, et parfois avec sa famille, pour baisser ses inhibitions à des fins d’abus sexuel. 
  4. Lois qui imposaient la ségrégation raciale dans les états du Sud de 1877 à 1964. 
  5. Projet du New York Times de 2019 qui a pour but de réévaluer les conséquences de l’esclavage dans l’histoire étasunienne, parmi lesquelles le racisme structurel et les inégalités sociales, économiques et politiques. 
  6. Pour la situation en France, voir : https://www.arretsurimages.net/articles/planning-familial-les-anti-trans-cautions-progressistes-des-reacs 
  7. Tuerie de masse revendiquée par Daech, ayant fait 50 victimes dans une boîte LGBT la nuit du 12 au 13 juin 2016. 
  8. Ces termes anglophones ne sont pas simples à définir parce qu’ils incluent des pratiques et des philosophies diverses, et qui plus est plutôt méconnues dans les pays francophones (hors Québec). On peut facilement traduire homeschooling par « instruction à domicile » ; l’unschooling désigne des pratiques d’éducation autogérée : l’enfant décide par ellui-même ce qu’iel veut apprendre, et quand iel veut l’apprendre. Enfin, le deschooling peut désigner un processus ou une période de désaccoutumance des méthodes traditionnelles d’éducation.